« Lucie, je viens de faire un compte rendu de ton histoire et de ton passage dans notre institution. Tu en connaitras d’autres. Tu as 6 ans et tu n’es pas au bout du dédale que les travailleurs sociaux, les juges, et les soignants vont tracer, souvent de travers à ton intention. Je suis en colère quand je pense à toi et à ta maman. Non-assistance à personne en danger. Ta maman a fait ce qu’elle a pu avec ce qu’elle avait comme bagage psychique, pour t’élever et t’aimer. Ce fut chaotique, maladroit, parfois maltraitant, mais elle a l’excuse de ne pas pouvoir davantage, de ne pas pouvoir mieux. Mais nous ? Qu’aurait-il fallu faire quand, petite plante rabougrie arrivée le matin, tu repartais le soir, plus droite, comme une fleur arrosée, vers ta maison on t’attendait une vie qui te rendait plus folle de jour en jour ? Nous ne comptions pas les jours ou nous nous sentions maltraitantes en te mettant dans le taxi. Tu attendais une main tendue. Mais nous avions tous le bras trop court pour te sortir du trou où tu étais. Où tu es encore. Avec de la confiance et de la stabilité, tu aurais pu pointer le bout de ton nez et goûter la vie avec malice. Mais tu as préféré t’enfermé dans ton tourbillon effréné : tes cris, tes larmes, ta morve. As-tu compris que personne n’a assez de temps pour écouter ton silence ? Erreur de casting. On t’a posé là et oublié. Qui te tendra la main pour te sortir du tunnel de ta vie ? Tu es un oiseau libre mais tu ne le sais pas. Depuis que tu es partie de l’unité, je songe à e partir aussi. Parce que l’impuissance me terrifie. Ne pouvoir rien faire, à un certain point c’est être complice. Je le refuse. Mais les murs institutionnels sont épais. Tu en sais quelque chose. J’espère que tu trouveras avant moi la faille dans le mur pour t’envoler. »
Posted on: Sat, 29 Jun 2013 21:05:39 +0000
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