L’OMNI EMIR PORTRAIT DE SON EXCELLENCE LE CHEIKH Al-Thani Si - TopicsExpress



          

L’OMNI EMIR PORTRAIT DE SON EXCELLENCE LE CHEIKH Al-Thani Si on se livre à l’exercice impossible d’oublier l’argent, le Qatar est un pays nain, une terre dérisoire grande comme une fois et demie le département du Maine-et-Loire. La population des Qataris « de souche », soit les familles ins- tallées dans le pays depuis 1930, se monte à environ 150 000 âmes. Le chiffre exact est un secret d’État. Pour rester dans la comparaison hexagonale, Son Excellence Cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani règne donc sur un peuple aussi important que celui de la ville d’Angers intra- muros, la dix-huitième de France. L’infiniment petit du Qatar est forcément géné- rateur de blagues. On affirme que, lors d’un voyage de l’émir à Pékin, le Premier ministre chinois lui aurait posé cette question : « Combien d’habitants comptez-vous au Qatar ? — Plus de 150 000. — Alors pourquoi ne pas les avoir amenés tous avec vous ? » aurait repris l’iro- nique Le vrai peuple de l’émir, sa force, est volatil. Il se compte en mètres cubes cachés au fond du North Field, la troisième réserve de gaz naturel au monde, après celles de la Russie et de l’Iran. D’ailleurs le Qatar fait champ commun avec l’Empire perse des ayatollahs, les voisins de la rive d’en face. Les deux États pompent dans la même et gigantesque nappe qui se cache sous leur détroit commun. Quelques ingénieurs mal-pensants affir- ment même que Doha ne se prive pas de lancer ses pompes jusque sous l’off-shore des fous de Dieu... C’est donc sur cette grosse bulle que règne d’abord l’émir. Ce manque de peuple explique aussi sa volonté de conquérir celui des autres. Pour jouer sa comédie du pouvoir, l’émir a besoin de public. À la manœuvre, le cheikh Hamad Al-Thani est partout, dans le Golfe et au Moyen-Orient, où il se vit en maître. En juin 2011, il donne un gouver- nement au Liban, qui en attendait un depuis des mois. Il est le moteur de la Ligue arabe à laquelle, par des promesses de crédits, il impose sa loi. Doha est devenu un tribunal de simple police où l’on peut régler en un tournemain les conflits du monde entier. Ainsi la poussiéreuse capitale de la presqu’île se croit le centre du monde. Pour l’émir et son équipe, l’orgasmique « printemps arabe » est une apothéose. Cet infaillible ami d’Israël a même entrepris, en Palestine, de transformer le Hamas. Aidé de ses amis turcs, également impliqués dans cette tentative, Hamad Al-Thani veut convaincre le mouvement religieux de changer de nature. Le parti de Dieu deviendrait celui des Frères musul- mans de Palestine, dont le siège serait à Amman. Le Hamas renoncerait à sa charte, qui prévoit la victoire par les armes, et accepterait de reconnaître Israël. Ainsi, glisse l’aimable et pacifique cheikh à l’oreille des leaders palestiniens portant barbe, le Hamas pourra devenir un « partenaire fréquen- table » auquel on rendra raison. Bien évidemment, le roi de Doha n’a pas demandé l’avis de son confrère Abdallah de Jordanie, qu’il déteste. Les amis d’Al-Thani pré- parent d’ailleurs un plan, la solution absolue au drame palestinien. Il consisterait à destituer cet Abdallah à demi anglais pour instaurer à la place de son royaume hachémite une république, mais sur le mode islamique. Puis à placer à sa tête Khaled Mechaal, le leader du Hamas, un « révo- lutionnaire » dont la fougue a été domptée par l’émir et qui somnole désormais à Doha. Ainsi donnerait-on la Cisjordanie à Israël, les Palesti- niens passant de l’autre côté du Jourdain. Voilà comment, quand ils s’ennuient, le roi et sa cour jouent au Monopoly avec les pays des autres. La perspective, pour le Hamas, d’échanger sa poli- tique contre de l’argent ne fait pas l’unanimité en son sein. Ahmad Jaabari, chef militaire du parti religieux, s’oppose à l’« ouverture » suggé- rée par Doha. Mais un missile opportun, tiré par Israël, a éliminé à temps le mauvais coucheur. Ceux qui pensent comme lui ont compris le mes- sage. Le 23 octobre 2012, quelques jours après une nouvelle offensive de Jérusalem contre Gaza, l’omni-émir, accompagné de la princesse Moza, débarquait dans l’étroite bande de terre sous blo- cus. Tambours et fanfares, il annonce l’arrivée d’un virement de 450 millions de dollars. Très exacte- ment la somme qui fait défaut à Abou Mazen, le président de l’Autorité palestinienne claquemuré à Ramallah, pour renflouer ses caisses. Le message est limpide : si vous n’empruntez pas le chemin de la religion, votre destin est sans espoir1. À la même période de l’année 2012, Son Altesse rend visite au roi du Maroc. Pas vraiment un ami puisque le royaume chérifien est une chasse gardée des frères ennemis saoudiens, et que Mohamed VI, en tant que « Commandeur des croyants », a ten- dance à se prendre pour le Prophète. Ce qui agace le « Qarmat ». Lors des élections au Maroc, Al- Thani a malgré tout donné un coup de pouce à son collègue roi en guidant le vote des travailleurs marocains émigrés à Doha vers le parti islamiste courtisé par Mohamed VI. Cette fois, c’est dans la région d’Essaouira que des projets, forcément grandioses, se dessinent en commun. Mais l’émir Hamad n’aime guère cette partie nord-ouest de l’Afrique où il est rarement le bienvenu. Quelque temps avant de se rendre au Maroc, Hamad Al-Thani a posé son jet à Nouakchott, en Mauritanie. Hélas, avec le président Mohamed Ould Abdel Aziz, la conversation monte de plu- sieurs tons quand le roi de Doha, sans se démon- ter, demande au premier mauritanien de « restituer au Conseil national libyen les avoirs que Kadhafi a prudemment abrités en Mauritanie ». La recherche des fonds du colonel est une des obsessions d’Al- Thani. Aimable, il offre même de se charger du transport des millions. Ould Abdel Aziz répond sèchement qu’il ne lui fait pas confiance et l’envoie paître. En expert des droits de l’homme, l’émir attaque alors la Mauritanie et dénonce «son absence de liberté ». Déclaré indésirable, Hamad est contraint de reprendre son jet plus vite que prévu et sans cash dans la soute. Début janvier 2013, les marrons de la dinde encore chauds, Hamad Al-Thani est à Alger. Une étape critique tant la détestation est réciproque. Abassi Madani, l’ineffable chef du Front islamique du salut (FIS), qui en 1991 a mis l’Algérie en état de guerre civile, n’est-il pas réfugié à Doha ? Depuis Londres, son fils anime une télévision financée par le Qatar qui pilonne Alger. Dans un livre particu- lièrement clairvoyant, Le Printemps arabe, une manipulation?, le politologue Naoufel Brahimi rapporte une anecdote qui se serait déroulée à Oujda, au Maroc1. C’est ici que la chaîne qatarie Al-Jazira aurait, à l’aide de figurants, filmé de fausses scènes d’émeutes. Le but étant de diffuser ces séquences plus tard, en situant la « révolte » en Algérie. Et un ambassadeur du Maghreb en Europe affirme que, toujours en prévision d’un « printemps algérien », cinq cents téléphones portables, capables de prendre des vidéos, ont été distribués par le Qatar à de jeunes Algériens. Pour la mise en ligne de ces images de la révolte, Facebook devra encore attendre un peu... L’arrivée de l’émir à Alger est aussi chaleureuse qu’un débarquement sur la banquise. Chacun met les formes. On parle d’un « large échange de vues », de « coopération ». Au terme de la visite, on réchauffe un vieux projet ambitieux, un vaste com- plexe sidérurgique lancé à Jijel. On comptera vingt mille emplois et dix milliards de dollars d’économies pour la balance des paiements algérienne. Entre deux portes, Bouteflika conseille à son «frère» l’émir « de mettre un frein à l’aide qu’il apporte aux jihadistes rassemblés au Nord-Mali »... En Égypte, les Frères musulmans seraient-ils à la peine, ne parvenant pas à boucler leur budget ? Pas de problème entre disciples : le Qatar consent un apport immédiat de 5 milliards de dollars. Avec ce prêt islamique sans usure, le président Mohamed Morsi pourra montrer à son peuple combien la gouvernance religieuse est efficace et généreuse. Ce sont les sous et non les forces armées du Qatar qui expliquent le rôle éminent joué par le petit émirat. « Les forces qataries non seulement apparaissent modestes (11 800 hommes), note Jean- Loup Samaan, chef du département Moyen-Orient de l’Otan, mais leurs compétences techniques sont évidemment limitées. Leur arsenal “missilier” et leur parc de chars vieillissent1. » En 2011, quelques Exocet européens ont modernisé l’équipement, mais la défense aérienne et la couverture radar ne valent guère mieux. La seule force de frappe de l’émir du Qatar tient donc dans les 210 milliards de fonds souverains. Si on le voit beaucoup en photo ou en vidéo, l’homme qui règne en monarque absolu sur ce petit monde et sa manne reste mystérieux. Il ne prononce que très peu de discours, d’une iden- tique langue de bois. Les interviews de Sa Majesté ne nous indiquent que l’heure et le temps qu’il fait. Est-ce l’espoir d’obtenir de nouvelles faveurs qui habite ses interlocuteurs ? Ceux-ci restent muets. Plus étrange, ceux qui ont été écartés ne sont pas plus bavards, comme saisis par une peur durable... Au demeurant, pourquoi poser des questions à propos de ce monde puisqu’il est certifié enchanté ? Le député français Jean-Christophe Lagarde, élu de droite, n’a-t-il pas purgé toute forme d’énigme en lançant cette « fatwa » : « Cri- tiquer le Qatar, c’est faire du racisme antimusul- man » ? Une épidémie de silence qui touche aussi bien les hommes et femmes politiques que les sportifs, les hommes d’affaires, les jeunes de ban- lieue et, hélas, trop d’universitaires. Ces malheureux doivent bien trouver des crédits pour financer leurs recherches et instituts. Et, dans ce peloton de savants, Tariq Ramadan, nous le verrons bientôt, n’est que le champion le plus visible. Chez les islamo-politologues, le Qatar ne compte que des amis, sentiment justifié puisque l’émirat n’est jamais ingrat envers ceux qui savent l’aimer. Ces quelques gravures orientales tracées, qui donnent un échan- tillon du désir qu’a Doha d’imposer le poids de son règne de Damas à Dakar, le moment est venu de pousser la porte du sérail. Hamad bin Khalifa Al-Thani est né à Doha le 1er janvier 1951. Le peu d’attention que l’on prête aux femmes dans son pays se confirme : aucune biographie du futur souverain n’indique l’identité de sa mère. Alors que c’est une très honorable bourgeoise, une Al-Attiyah, la famille des guerriers et du vainqueur du Paris-Dakar 2011. Notre Hamad n’est alors qu’un prince parmi d’autres, il a un demi-frère aîné, Abdelaziz, et n’est pas des- tiné à régner. Sa vie de jeune homme est celle des trains qui arrivent à l’heure. Il est sage, réservé et pieux, mais sans plus. Son père Khalifa destine l’immense Hamad (on suppose 1,90 m, mais sa taille est aussi un secret) à l’art militaire. Même si papa adore de Gaulle, c’est en Angleterre, pays du colonisateur, qu’il envoie le prince, notamment à l’académie militaire de Sandhurst. En 1971, il sort de ce Saint-Cyr britannique avant la fin des classes. Pas grave, papa fait son coup d’État. Promotion étoilée pour le jeune militaire qui, en cinq ans, passe du grade de lieutenant à celui de major général et devient le patron de l’armée. Il ne commande qu’une poignée de bidasses, mais dans un bel uniforme. Il va l’étrenner au feu – ou pas loin – en 1986, lors d’une querelle avec Bahreïn, qui laisse des morts sur le sable. Avec une rechute en 1992 où, cette fois, les balles s’échangent avec le voisin saoudien. En 1995, il est toujours mili- taire, mais aussi ministre de la Défense. C’est en casquette et boutons dorés qu’il part en guerre, cette fois contre son père. Un père dont il est l’exact contraire. Pour Hamad, pas de fêtes à Paris ou Londres. D’une santé précaire, souffrant d’une insuffisance rénale qui l’obligera, en 1997, à subir une opération d’un rein dans un hôpital américain, il lutte en diabé- tique contre une obésité peu ordinaire. Gourmand, peu après s’être emparé du pouvoir, il envoyait parfois depuis Doha un avion lui chercher un pla- teau de fruits de mer... à Nice. Une batterie de soins et de sévères thalassothé- rapies, pratiquées notamment à Quiberon, permet- tront à l’émir de perdre plus de cinquante kilos. Sa stricte observance de l’islam, une vocation récente, le pousse désormais à une frugalité d’anachorète. Miracle à propos de ce roi religieux, un Saint-Louis de l’islam, nous avons pu obtenir le témoignage d’un homme qui le fréquente depuis trente ans : « Ce n’est pas un bavard. Il est courtois, aimable, mais entêté. On ne peut pas dire qu’il ait une intel- ligence supérieure mais il est très malin, il a du pif et de la chance. Enfin, pour faire ce qu’il a envie de faire, il sait s’entourer, déléguer. Sa religiosité nouvelle est étrange. Il y a vingt ans, il était encore nassérien et supporter du très laïc parti Baas. On ignore ce qui s’est passé, mais aujourd’hui il est convaincu d’être une sorte de moine politique, comme vous avez connu, en Europe, les moines- soldats. Il a repris le flambeau des Saoudiens qui voulaient aussi imposer le wahhabisme pour le bien de l’humanité. » Ce roi ne se signale par aucune exubérance et déteste les courtisans. Lors de l’inauguration d’un fameux musée, construit par Pei à Doha, l’émir manifeste un réel mécontentement en découvrant que l’entrée de ce haut lieu de l’art mondial est ornée de son portrait géant : « Là, c’est vraiment trop », aurait-il dit. « Personnellement, je déplore ce virage religieux de notre émir, poursuit notre témoin désabusé. Je pense que le Qatar, qui est mon pays, est en train de se faire de nombreux ennemis et pour long- temps. C’est ainsi. Notre roi est devenu un authen- tique chevalier de la foi qui vibre aux récits anciens, quand les musulmans s’installaient de Médine à Poitiers. L’émir souffre réellement des territoires perdus de l’islam. On a parfois l’impres- sion qu’il souhaite être un instrument de recon- quête. Du rétablissement d’une fierté islamique. » La chasse est la seule pratique qui puisse lui faire oublier le destin du monde. Parfois il dispa- raît quinze jours, le plus souvent avec ses faucons. Le roi chasse dans tout le Moyen-Orient et ailleurs, dans certains pays avec lesquels il n’est pas en har- monie, comme l’Algérie. Jadis, c’était dans les plaines d’Irak. On voyait arriver une nuée de 4 × 4 et de camions lourdement chargés. Dans les engins tout-terrain, des spécialistes de la vénerie traitaient avec amour des faucons à 100 000 euros la bête. Des oiseaux à la tête encapuchonnée afin de les rendre momentanément aveugles, des chasseurs sagement alignés sur les perchoirs, les fauteuils de cuir des 4 × 4 faisant, au-dessous, office de ramasse- crotte. Des ouvriers silencieux dressaient en quelques heures un village bédouin en version luxe, avec groupe électrogène et climatiseurs. L’amour des voitures, l’émir l’exprime plus dis- crètement. Si le roi aime conduire, il ne passe pas des heures à se détruire les vertèbres en roulant dans les dunes. Ses joies sont plus simples : faire quelques kilomètres dans la dernière McLaren, Ferrari ou Aston Martin. Puis les regarder alignées dans un garage qu’il ne montre jamais. Jadis, il aimait écouter le bruit de ses moteurs V10 et V12 en compagnie de son ami Bachar el-Assad, assis à ses côtés, sourire aux lèvres et l’avenir devant eux. Comme tout homme du désert, Hamad Al-Thani aime aussi les chevaux, qui supportent mal ce cava- lier trop grand, trop lourd. Il les apprécie quand même, mais pas autant que son jeune frère le prince Abdallah, qui fut Premier ministre de 1996 à 2007, et qui sponsorise le prix de l’Arc de Triomphe couru chaque année à Longchamp. Pour ce qui est de la vie familiale, sentimentale et pourquoi pas amoureuse, le Coran élargit le champ des possibles quand il autorise un homme à avoir quatre épouses en parallèle. L’unique condi- tion étant de « les traiter de façon équitable ». Ne doutons pas que les trois moitiés de l’émir sont toutes nourries et vêtues correctement, mais recon- naissons que leur saint mari, pour qui se réfère au texte sacré, prend quelque liberté : il ne met en scène que la princesse Moza, et rien qu’elle. Alors que nous ignorons tout des deux autres, Miriam bint Mohamed Al-Thani et Noora bint Khalid Al- Thani, qui sont certainement des épouses intelli- gentes. Et charmantes, elles aussi ? La réponse est dans le jugement d’un expert de cette monarchie polygame : « Moza est d’abord un magnifique outil politique. » Outre Dieu, l’émir aime donc l’argent pour le pouvoir divin qu’il donne. En dépit de promesses répétées, les siennes empilées sur celles de son père, nous l’avons dit, il n’existe toujours pas de frontière dans le secret des caisses dites « publiques ». Aucun partage clair entre les revenus de la « nation » et les siens. Les « lois », et le Qatar n’en compte guère, ne sont pas davantage des obstacles susceptibles d’arrêter l’action du roi. Il a violé la plus « sacrée », celle qui prévoyait que le prince héritier devait être choisi tout simplement et sans plus de précisions « parmi les garçons de la famille Al-Thani ». À cette injonction historique le monarque a ajouté une res- triction : désormais le prince héritier ne pourra être qu’un fils de l’émir. Le seul droit qui s’exerce à Doha est divin, appliqué par un homme qui se prend pour Dieu. Un indice. Lors d’une réception donnée à Doha en l’honneur d’une douzaine de jeunes élus des banlieues françaises, rencontre que nous détaille- rons plus loin, l’émir a clairement insisté auprès d’eux sur « leur devoir de pratiquer la religion », d’être de « bons musulmans ». Difficile de savoir ce que redoute l’émir : le déclin de l’islam ou la perte de son pouvoir ? Et que veut-il ? Diriger une partie du monde ou simplement garnir les rangs de la Oumma, la communauté des croyants ? Per- sonne n’a encore répondu à ces questions. Dans tout le Moyen-Orient, et même dans le Golfe, l’émir Hamad est le seul responsable à avoir fait construire une mosquée dédiée à Mohamed Ibn Abd Al-Wahhab, un maître qui appartient lui-même à la tradition d’Ibn Hanbal, la plus rigide des écoles juridiques de l’islam. Si l’on en croit les ouvrages savants, le wahhabisme se définit comme un sunnisme « salafiste », ce der- nier étant une référence aux «trois premières générations de l’islam ». Pour les wahhabites, il n’est pas de salut hors du wahhabisme. Aucune place pour l’acharisme, le soufisme et, pis, le chiisme, ressentis comme de vrais choléras. Ce complexe qu’il ressent d’un islam mal aimé s’ajoute aux humiliations qu’il a ressenties jeune homme, lors de ses voyages à l’étranger. Où le musulman était brocardé et le Qatar un pays qui n’existait pas. Aussi a-t-il éprouvé un plaisir enfan- tin quand, il y a quelques mois, un ami français lui a rapporté cette anecdote : « À Paris, ma boulangère m’a demandé si elle devait me livrer du pain pour le lendemain. Je lui ai répondu : “Non, je pars pour le Qatar.” Et ellea répliqué : “Ah oui, le pays arabe qui a acheté le PSG !” » Sur le plan des idées, sa façon d’administrer les hommes, le souverain n’a rien de l’« autocrate éclairé » que ses thuriféraires s’échinent à dépeindre. L’émir Hamad est clairement et foncièrement réac- tionnaire. La vie et l’avis des autres, il s’en moque. Il aime l’ordre sans la loi, ne partage aucun pouvoir et interdit toute critique de sa personne. Émettre un bémol dans la louange de l’Excellence relève du blas- phème, l’offense suprême en pays d’islam. Depuis sa prise de pouvoir en 1995, Hamad bin Al-Thani n’a qu’un seul ami, l’Amérique. C’est à l’ombre du grand parapluie des États-Unis que le jeune homme de quarante-quatre ans a pu renver- ser son père. Bien sûr, ce dernier, en 1991, n’avait pas été assez fou pour refuser de participer à la guerre du Golfe. Mais son engagement contre Sad- dam Hussein ne fut que symbolique. Trois mois après les bombardements de l’Irak, Khalifa recons- truisait des lycées à Bagdad. Pour Washington, cet émir trop absent, insaisissable, n’est plus un ami totalement sûr dans une zone où la confiance doit être absolue. Ministre des Affaires étrangères dès 1995, Hamad bin Jassim bin Jaber Al-Thani, dit « HBJ », cousin du prince héritier, joue le premier rôle dans ce coup d’État. Pas très compliqué de monter un « coup » dans ce pays dont c’est la culture. Mais comment obtenir la « neutralité positive » de Washington et celle du voisin saoudien ? Le très malin HBJ prend langue avec un Libanais qui fait commerce à Doha. Cet homme d’affaires très implanté aux États-Unis lui propose une solution : « Je me rends en Amé- rique pour discuter avec les membres les plus puis- sants de l’Aipac, l’association qui représente le lobby juif auprès des parlementaires américains. Voici mon plan : je demande à ces amis de plaider la cause de Hamad auprès de Bill Clinton afin qu’il le laisse renverser son père en douceur. La contre- partie sera l’engagement, par le nouveau monarque, de reconnaître Israël1 et de faciliter le règlement du conflit avec les Palestiniens. » Marché conclu, le commis voyageur part pour Washington. Son plan fonctionne. Le département d’État accepte, permet- tant au passage de donner une petite leçon à l’Ara- bie saoudite, qui renâcle contre la présence de troupes américaines sur son territoire. À l’instant fatidique, les arrogants Saoudiens, qui détestent Hamad, sont bel et bien contraints de regarder ailleurs. Intérêt subsidiaire, sans le dire à HBJ, Washington a l’intention de faire du Qatar « un laboratoire du monde arabe »... Khalifa, malgré ses malles pleines de milliards, perd son trône, Hamad est calife. À la promesse faite à l’Amérique, le nouveau roi ne se dérobe pas. Même si, parfois, la tentation d’agacer le maître qui règne sur les rives du Potomac existe. Hamad 1. Le site Al-Manar.lb rappelle que le quotidien israélien Yediot Aharonot du 28 mars 2013 a rapporté les propos d’un ancien patron du Mos- sad, Shabtaï Shavit. Selon lui, le Qatar « a joué un rôle historique en faveur d’Israël [...] plus important que celui de la Grande-Bretagne ». La politique étrangère du Qatar est décrite par Shavit comme le levier arabe des politiques de Tel-Aviv et Washington. Le pronunciamiento encore tout chaud, Doha reconnaît l’existence d’Israël et ouvre des représentations diplomatiques. Une révolution dans le monde arabe et singulièrement dans le Golfe. Sans parler de l’Arabie saoudite, qui voit dans cette politique « les effets du satanisme ». En 2009, l’émir lui-même se rendra à deux pas du Mur des lamentations. Une visite « secrète » répondant à une invitation de Tzipi Livni, ministre des Affaires étrangères et cheville ouvrière de l’opé- ration « Plomb durci » (le bombardement de Gaza qui a provoqué la mort de 1 330 Palestiniens, dont 895 civils et 350 enfants). Hélas, une vidéo est tour- née pendant la rencontre et mise en ligne sur You- Tube. Double peine, ce sont les fourbes de WikiLeaks qui reproduisent les propos tenus par le roi qatari à John Kerry, le malheureux candidat démocrate à la présidence des États-Unis, qui joue les Monsieur Bons offices dans la région et rem- place aujourd’hui Hillary Clinton : « Les dirigeants israéliens doivent représenter le peuple d’Israël, qui lui-même ne peut faire confiance aux Arabes. C’est compréhensible, puisque les Israéliens sont mena- cés depuis très longtemps. » L’émir s’estime donc capable de « pousser le Hamas et de jouer un rôle précieux en tant qu’intermédiaire... Reste que les Israéliens devraient être félicités pour avoir le mérite de toujours vouloir aller vers la paix ». Cette publication des intimes convictions du cheikh Hamad fait beaucoup de malheureux parmi les internautes musulmans, qui voyaient en lui «l’espoir des croyants ». Dans son aventure avec Israël, l’émir poursuit sa politique du grand écart schizophré- nique. Comme en 2009, alors qu’il se trouve à Jéru- salem tel un voyageur clandestin et présente ses hommages à Tzipi Livni... alors que sa femme, la cheikha Moza, affecte de réunir des soutiens afin de poursuivre cette ministre des Affaires étrangères devant la Justice internationale pour crime de guerre.
Posted on: Sat, 29 Jun 2013 16:02:12 +0000

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