L’esprit de revolte, sa pratique… "[...] Dans la vie des - TopicsExpress



          

L’esprit de revolte, sa pratique… "[...] Dans la vie des sociétés, il est des époques où la Révolution devient une impérieuse nécessité, où elle s’impose d’une manière absolue. […] Un besoin de vie nouvelle se fait sentir. […] « […] De ces raisonnements paisibles à l’insurrection, à la révolte, il y a tout un abîme, celui qui sépare, chez la plus grande partie de l’humanité, le raisonnement de l’acte, la pensée de la volonté, du besoin d’agir. Comment donc cet abîme a-t-il été franchi ? Comment ces hommes qui, hier encore, se plaignaient tout tranquillement de leur sort, en fumant leurs pipes, et qui, un moment après, saluaient humblement ce même garde champêtre et ce gendarme dont ils venaient de dire du mal, comment, quelques jours plus tard, ces mêmes hommes ont-ils pu saisir leurs faux et leurs bâtons ferrés et sont-ils allés attaquer dans son château le seigneur, hier encore si terrible ? Par quel enchantement, ces hommes que leurs femmes traitaient avec raison de lâches se sont-ils transformés aujourd’hui en héros, qui marchent sous les balles et sous la mitraille à la conquête de leurs droits ? Comment ces paroles, tant de fois prononcées jadis et qui se perdaient dans l’air comme le vain son des cloches, se sont-elles enfin transformées en actes ? […] C’est l’action, l’action continue, renouvelée sans cesse, des minorités, qui opère cette transformation. Le courage, le dévouement, l’esprit de sacrifice, sont aussi contagieux que la poltronnerie, la soumission et la panique. […] Lorsqu’une situation révolutionnaire se produit dans un pays, sans que l’esprit de révolte soit encore assez éveillé dans les masses pour se traduire par des manifestations tumultueuses dans la rue, ou par des émeutes et des soulèvements, c’est par l’action que les minorités parviennent à réveiller ce sentiment d’indépendance et ce souffle d’audace sans lesquels aucune révolution ne saurait s’accomplir. Hommes de cœur qui ne se contentent pas de paroles, mais qui cherchent à les mettre à exécution, caractères intègres, pour qui l’acte fait un avec l’idée, pour qui la prison, l’exil et la mort sont préférables à une vie restant en désaccord avec leurs principes ; hommes intrépides qui savent qu’il faut oser pour réussir, ce sont les sentinelles perdues qui engagent le combat, bien avant que les masses soient assez excitées pour lever ouvertement le drapeau de l’insurrection et marcher, les armes à la main, à la conquête de leurs droits. » Il se peut qu’au premier abord la masse soit indifférente. Tout en admirant le courage de l’individu ou du groupe initiateur, il se peut qu’elle veuille suivre d’abord les sages, les prudents, qui s’empressent de taxer cet acte de « folie » et de dire que « les fous, les têtes brûlées vont tout compromettre. » Ils avaient si bien calculé, ces sages et ces prudents, que leur parti, en poursuivant lentement son œuvre, parviendrait dans cent ans, dans deux cents ans, trois cents ans peut-être, à conquérir le monde entier, et voilà que l’imprévu s’en mêle ; l’imprévu, bien entendu, c’est ce qui n’a pas été prévu par eux, les sages et les prudents. Quiconque connaît un bout d’histoire et possède un cerveau tant soit peu ordonné, sait parfaitement d’avance qu’une propagande théorique de la Révolution se traduire nécessairement par des actes, bien avant que les théoriciens aient décidé que le moment d’agir est venu ; néanmoins, les sages théoriciens se fâchent contre les fous, les excommunient, les vouent à l’anathème. Mais les fous trouvent des sympathies, la masse du peuple applaudit en secret à leur audace et ils trouvent des imitateurs. A mesure que les premiers d’entre eux vont peupler les geôles et les bagnes, d’autres viennent continuer leur œuvre ; les actes de protestation illégale, de révolte et de vengeance se multiplient. […] Ceux qui, au début, ne se demandaient même pas ce que veulent les « fous » sont forcés de s’en occuper, de discuter leurs idées, de prendre parti pour ou contre. Par les faits qui s’imposent à l’attention générale, l’idée nouvelle s’infiltre dans les cerveaux et conquiert des prosélytes. Tel acte fait en quelques jours plus de propagande que des milliers de brochures. Surtout, il réveille l’esprit de révolte, il fait germer l’audace. L’ancien régime, armé de policiers, de magistrats, de gendarmes et de soldats, semblait inébranlable, comme ce vieux fort de la Bastille qui, lui aussi, paraissait imprenable aux yeux du peuple désarmé, accouru sous ses hautes murailles, garnies de canons prêts à faire feu. Mais on s’aperçoit bientôt que le régime établi n’a pas la force qu’on lui supposait. Tel acte audacieux a suffi pour bouleverser pendant quelques jours la machine gouvernementale, pour ébranler le colosse ; telle émeute a mis sens dessus-dessous toute une province, et la troupe, toujours si imposante, a reculé devant une poignée de paysans, armés de pierres et de bâtons ; le peuple s’aperçoit que le monstre n’est pas aussi terrible qu’on le croyait, il commence à entrevoir qu’il suffira de quelques efforts énergiques pour le terrasser. L’espoir naît dans les cœurs, et souvenons-nous que si l’exaspération pousse souvent aux émeutes, c’est toujours l’espoir de vaincre qui fait les révolutions. […] jadis la répression tuait l’énergie des opprimés, maintenant, aux époques d’effervescence, elle produit l’effet contraire. Elle provoque de nouveaux faits de révolte, individuelle et collective ; elle pousse les révoltés à l’héroïsme, et de proche en proche ces actes gagnent de nouvelles couches, se généralisent, se développent. Le parti révolutionnaire se renforce d’éléments qui jusqu’alors lui étaient hostiles, ou qui croupissaient dans l’indifférence. La désagrégation gagne le gouvernement, les classes dirigeantes, les privilégiés : les uns poussent à la résistance à outrance, les autres se prononcent pour les concessions, d’autres encore vont jusqu’à se déclarer prêts à renoncer pour le moment à leurs privilèges, afin d’apaiser l’esprit de révolte, quitte à le maîtriser plus tard. […] La direction que prendra la Révolution dépend certainement de toute la somme des circonstances variées qui ont déterminé l’arrivée du cataclysme. Mais elle peut être prévue à l’avance, d’après la force d’action révolutionnaire déployée dans la période préparatoire par les divers partis avancés. Tel parti aura mieux élaboré les théories qu’il préconise et le programme qu’il cherche à réaliser, il l’aura beaucoup propagé par la parole et par la plume. Mais il n’a pas suffisamment affirmé ses aspirations au grand jour, dans la rue, par des actes qui soient la réalisation de la pensée qui lui est propre ; il a eu la puissance théorique, mais il n’a pas eu la puissance d’action ; ou bien il n’a pas agi contre ceux qui sont ses principaux ennemis, il n’a pas frappé les institutions qu’il vise à démolir ; il n’a pas contribué à réveiller l’esprit de révolte, ou il a négligé de le diriger contre ce qu’il cherchera surtout à frapper lors de la Révolution. Eh bien, ce parti est moins connu ; ses affirmations n’ont pas été affirmées continuellement, chaque jour, par des actes dont le retentissement atteint les cabanes les plus isolées, ne se sont pas suffisamment infiltrées dans la masse du peuple ; elles n’ont pas passé par le creuset de la foule et de la rue et n’ont pas trouvé leur énoncé simple, qui résume en un seul mot, devenu populaire. Les écrivains les plus zélés du parti sont connus par leurs lecteurs pour des penseurs de mérite, mais ils n’ont ni la réputation, ni les capacités de l’homme d’action ; et le jour où la foule descendra dans la rue, elle suivra plutôt les conseils de ceux qui ont, peut-être, des idées théoriques moins nettes et des aspirations moins larges, mais qu’elle connaît mieux, parce qu’elle les a vu agir. […] Le parti qui a le plus fait d’agitation révolutionnaire, qui a le plus manifesté de vie et d’audace, ce parti sera le plus écouté le jour où il faudra agir, où il faudra marcher de l’avant pour accomplir la Révolution. Celui qui n’a pas eu l’audace de s’affirmer par des actes révolutionnaires dans la période préparatoire, celui qui n’a pas eu une force d’impulsion assez puissante pour inspirer aux individus et aux groupes le sentiment d’abnégation, le désir irrésistible de mettre leurs idées en pratique (si ce désir avait existé, il se serait traduit par des actes, bien avant que la foule tout entière ne soit descendue dans la rue), celui qui n’a pas su rendre son drapeau populaire et palpables ses aspirations et compréhensibles, ce parti n’aura qu’une maigre chance de réaliser la moindre part de son programme. Il sera débordé par les partis d’action. Voilà ce que nous enseigne l’histoire des périodes qui précédèrent les grandes révolutions. La bourgeoisie révolutionnaire l’a parfaitement compris : elle ne négligeait aucun moyen d’agitation pour réveiller l’esprit de révolte, lorsqu’elle cherchait à démolir le régime monarchique : le paysan français du siècle passé le comprenait aussi instinctivement lorsqu’il s’agitait pour l’abolition des droits féodaux, et l’Internationale, du moins une partie de l’Association, agissait d’accord avec ces mêmes principes, lorsqu’elle cherchait à réveiller l’esprit de révolte au sein des travailleurs des villes, et à le diriger contre l’ennemi naturel du salarié l’accapareur des instruments de travail et des matières premières. »
Posted on: Wed, 09 Oct 2013 15:11:02 +0000

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