L’étrange destin des alaouites syriens "Au moment - TopicsExpress



          

L’étrange destin des alaouites syriens "Au moment d’instaurer leur mandat sur la Syrie et le Liban (1920-1946), les Français adoptèrent le terme « alaouites » pour les désigner. Préserver cette minorité religieuse et remédier à son arriération économique et sociale n’était pas leur seul but : ils voulaient aussi, et surtout, la séparer des nationalistes musulmans sunnites — diviser pour mieux régner. La Syrie fut morcelée et les alaouites se virent dotés d’un territoire autonome, qui devint en 1922 un Etat avec Lattaquié pour capitale, avant d’être rattaché à la Syrie en 1939." En 1903, le jésuite belge Henri Lammens rendit visite à un chef religieux nosairi de l’Antiochène — région de l’actuelle Turquie — afin de le « faire causer ». Comme d’autres orientalistes avant lui, il s’était pris d’intérêt pour ce peuple aux origines obscures qui professait des doctrines religieuses empreintes d’archaïsmes et de syncrétisme, telles la transmigration des âmes ou la croyance en une trinité (Mohammed, le prophète ; Ali, son gendre ; et Salman, l’un de ses compagnons) ; qui célébrait également des cérémonies chrétiennes ainsi que des fêtes aux allures plus païennes, et rendait un culte à des saints locaux sans pour autant avoir de mosquées où prier. Les secrets de la religion des nosairis se transmettant aux seuls initiés, ils constituaient autant de mystères à percer pour les orientalistes et les missionnaires. Lammens avait d’abord cru voir dans les nosairis d’anciens chrétiens, mais il allait se raviser après un entretien avec le cheikh, qui se réclamait clairement de l’islam chiite. Celui-ci refusa par ailleurs l’idée d’une absorption des nosairis par les sunnites, et se plaignit des mauvais traitements que leur avait infligés l’Empire ottoman, dont la province dépendait avant la première guerre mondiale. Ce peuple était selon lui sans défense, car privé des protections extérieures dont bénéficiaient d’autres confessions. « Et si vous deveniez chrétiens ?, lui suggéra Lammens. Cette démarche conférerait aussitôt à la France le droit d’intervenir en votre faveur (1)… » (...) Leur religion s’est constituée au sein du chiisme, entre le IXe et le Xe siècle, sous le nom de son fondateur, Mohammed Ibn Nosair. Elle se rattache aux groupes appelés ghulât (« extrémistes »), accusés d’exagérer le culte voué à Ali jusqu’à le déifier (2). Après une phase d’expansion en Orient, ses adeptes se replièrent dans la montagne, et elle se développa en vase clos, puisant dans les croyances et les rites locaux. Religion initiatique, elle s’entoura de secret et cultiva une voie ésotérique, gnostique, mystique, en marge de l’islam, de sa loi et de ses rites. Aussi fut-elle taxée d’impiété, notamment par le fameux juriste du XIVe siècle Ibn Taymiyya, et les nosairis furent rejetés hors de l’islam. Un passé pétri de misère (...) Les nosairis vivaient alors principalement dans les villages de la montagne (Jabal Ansarieh) et dans le sandjak d’Alexandrette (4), où ils étaient plus urbanisés et bénéficiaient d’un accès à l’éducation, ainsi que dans le nord du Liban — où, depuis le début du soulèvement en Syrie, des affrontements quotidiens les opposent à des groupes sunnites à Tripoli. A partir des années 1910, des dignitaires religieux nosairis nouèrent des relations avec des confrères chiites duodécimains (5) de l’actuel Liban sud et de l’Irak. Certains commencèrent à se présenter comme « alaouites », afin de se rattacher à la figure d’Ali et au chiisme, et de se distancer du terme « nosairi », devenu péjoratif. Au moment d’instaurer leur mandat sur la Syrie et le Liban (1920-1946), les Français adoptèrent le terme « alaouites » pour les désigner. Préserver cette minorité religieuse et remédier à son arriération économique et sociale n’était pas leur seul but : ils voulaient aussi, et surtout, la séparer des nationalistes musulmans sunnites — diviser pour mieux régner. La Syrie fut morcelée et les alaouites se virent dotés d’un territoire autonome, qui devint en 1922 un Etat avec Lattaquié pour capitale, avant d’être rattaché à la Syrie en 1939. Si certains notables et chefs de tribu avaient favorablement accueilli l’entreprise française, l’un d’eux, Saleh Al-Ali (1884-1950), y avait résisté par les armes dès décembre 1918, ralliant d’autres chefs pour mener le combat dans la montagne avant d’être vaincu en 1921. Il fut d’ailleurs le premier insurgé de toute la Syrie, et fut reconnu dès 1946, par le premier gouvernement indépendant, comme un héros national. Une autre figure se distingua : celle de Soleiman Al-Mourchid, berger thaumaturge qui se déclara prophète, voire dieu. Il finit pendu pour trahison par la Syrie indépendante en 1946. Ses adeptes formèrent une secte (6). Al-Mourchid étant partisan de l’autonomie des alaouites, les autorités françaises s’en firent un allié. (...). Au cours des discussions qui précédèrent la signature du traité franco-syrien en 1936, la question de l’appartenance des alaouites à l’islam fut posée. Les chefs religieux alaouites eux-mêmes étaient divisés entre défenseurs de l’autonomie de leur communauté et partisans de l’unité syrienne. Derrière la figure de Soleiman Al-Ahmad (1866-1942), ces derniers clamaient leur adhésion à l’islam. En 1936, ils publièrent un texte affirmant leur identité arabe et musulmane, puis sollicitèrent le mufti de Jérusalem, Amin Al-Husseini. Celui-ci émit une fatwa : pour la première fois, une autorité musulmane incluait les alaouites dans l’oumma, la communauté des croyants. Lors de l’indépendance de la Syrie, les alaouites représentaient 11 %de la population, et 80 % d’entre eux habitaient dans la montagne. Sous le mandat français, ils avaient commencé à s’installer dans les bourgs et les villes côtières. Le mouvement se poursuivit et, pour échapper à la pauvreté, ils se fixèrent surtout à Homs ou à Damas, où ils exercèrent de petits métiers. L’armée fut un autre débouché : déjà surreprésentés dans les troupes françaises du Levant, les alaouites, comme d’autres minorités, intégrèrent l’Ecole militaire à la fin des années 1940. Ils allaient ensuite former une base de recrutement du parti Baas, parti nationaliste arabe se réclamant du socialisme. Soutenus par les autorités religieuses des chiites duodécimains résidant en Irak, ils fondèrent des institutions religieuses, construisirent des mosquées, publièrent des ouvrages sur leurs doctrines, et leurs clercs obtinrent en 1952 d’être reconnus comme jafarites, autrement dit chiites, par le mufti de Syrie. Le processus de rapprochement avec le chiisme allait s’intensifier sous Hafez Al-Assad, père de l’actuel président : un important chef religieux libanais, Moussa Sadr, les qualifiait en 1973 de musulmans, et des écoles religieuses chiites furent ouvertes à Sayyida Zaynab, dans la banlieue de Damas. Des rumeurs de « chiitisation » du pays circulèrent dans les années 2000, sur fond d’alliance avec le Hezbollah libanais et l’Iran. Après le coup d’Etat militaire baassiste de 1963, les alaouites purent accéder aux positions-clés dans l’armée. Hafez Al-Assad, qui se débarrassa de ses rivaux en 1970, poursuivit cette politique en leur distillant ce message : « Tu es avec Assad, tu es avec toi-même (8). » Ce pacte vaut toujours, et résonne à la fois comme une promesse et comme une menace. Toutefois, l’ascension des alaouites dans l’armée et le Baas, leur conquête de l’Etat et de la capitale par leur infiltration dans les institutions et leur confiscation des ressources, méritent d’être nuancées (9). Pour parvenir à ce contrôle et à ce maillage de la société, Assad père s’appuya sur d’autres stratégies clientélistes ou territoriales, d’autres forces et d’autres communautés : la communauté majoritaire d’abord, les sunnites (notamment dans l’armée, puis dans l’économie), et les autres minorités (chrétienne, druze, etc.). Au gré des moments de crise ou de relative détente, le régime oscilla entre le repli sur son assise alaouite, ainsi que sur l’appareil sécuritaire, où les membres de la communauté sont très nombreux, et l’ouverture aux autres. M. Bachar Al-Assad aménagea cette politique à sa manière, dans le cadre d’un néolibéralisme qui vira à l’affairisme."
Posted on: Mon, 23 Sep 2013 23:41:45 +0000

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