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MEDIAPART - Egypte: larmée met la main sur les secteurs clés de léconomie 18 novembre 2013 | Par Claire Talon Autoroutes, logements, énergie, métro du Caire... Depuis le renversement du président Morsi, larmée égyptienne a engagé de spectaculaires grands travaux. Au passage, elle devient le véritable pilote du capitalisme égyptien. Le Caire, correspondance C’est une soirée sous couvre-feu ordinaire en Égypte. Les Frères musulmans se terrent, les tôliers se lamentent de n’avoir plus de clients, les commerçants pleurent sur leur chiffre d’affaires, les libéraux se consolent avec le dernier discours du général Sissi, les jeunes se morfondent sur Internet. Bref, tout le monde végète chez soi dans l’attente de jours meilleurs. Tout le monde, sauf les milliers de conscrits qui, à la nuit tombée, s’agitent sur des dizaines de chantiers nocturnes. Ces « héros » du BTP se démènent en toute discrétion pour qu’au réveil, « le premier peuple du monde » ouvre les yeux sur un miracle digne d’un conte de fées : de nouvelles routes sans embouteillages, des chaussées refaites à neuf, des ponts, des tunnels, des écoles, des hôpitaux, des stades, des stations d’épuration d’eau, des logements sociaux, des puits sortis de terre comme des champignons. Fleurons de ces projets : « l’autoroute Tantawi » au nord du Caire, le « pont de l’Armée » à Suez et la construction d’un nouvel axe qui relie le Caire au canal de Suez. Ces « cadeaux » de l’armée au peuple égyptien sont parsemés de plus de 200 panneaux géants concoctés par le Comité aux affaires morales des forces armées : « À nos pieds tombe l’impossible et fleurissent la virilité et les hommes » ; « L’armée et le peuple : une seule main », ou encore : « La sécurité, c’est la vie ». « Puissent les services du gouvernement travailler avec le même sérieux que les militaires ! », s’est exclamé le président Adly Mansour, accouru fin octobre célébrer ces prouesses. « Les forces armées égyptiennes ont construit deux autoroutes et trois ponts en 145 jours, pendant le couvre-feu ! » « La construction de ces infrastructures coûte aux forces armées des milliards de livres », a renchéri le général Taher Abdallah Raha, chef de l’unité d’ingénierie de l’armée, venu en guise de bonne foi remettre un Coran au président de la République sous l’œil des caméras nationales. Ce ne sont pas les automobilistes cairotes, grisés par le nouvel asphalte impeccablement lisse du pont du 6-Octobre au cœur du Caire, qui le contrediront. Ni les ministres et les gouverneurs qui, depuis le 30 juin, comme saisis d’une soudaine urgence, en appellent régulièrement à l’armée pour réaliser des travaux publics qui vont droit au cœur du citoyen. Entretien des routes, des ponts, problèmes d’environnement, de pollution, débordements d’égouts : les ministres des transports, de l’irrigation et de l’agriculture rivalisent de zèle depuis la destitution de Mohamed Morsi pour appeler les forces armées à la rescousse de situations qui pourrissent pourtant depuis des années. Ces travaux qui rehaussent la popularité de l’armée sont-ils entrepris dans le cadre de commandes de l’État, à la suite dappels d’offres ? Sont-ils rémunérés par les gouvernorats ou décidés et financés par l’armée sur ses propres deniers ? Quelles sont les conditions de travail des conscrits ? Aucune information officielle ne filtre quant à ces détails. La situation est d’autant plus opaque que le gouvernement, mis en place par les militaires au lendemain de la destitution de Mohamed Morsi, a opportunément émis un décret généralisant le recours à la « commande directe » (Al Amr Al Moubashir), un mécanisme juridique qui permet aux hauts fonctionnaires de désigner dans l’urgence un prestataire de services, privé ou public, sans appel d’offres. Cela ouvre un véritable boulevard à la corruption, une procédure dénoncée notamment par l’Union des entrepreneurs égyptiens qui s’alarme que ces marchés tournent systématiquement a l’avantage « du secteur public ou semi-public au détriment du secteur privé ». « Les mécanismes de décision sont plus opaques que jamais, commente Robert Springborg, chercheur et spécialiste de larmée égyptienne, pour Mediapart. Tout ce que l’on sait, c’est que les militaires contrôlent tous les sujets clés, y compris en matière de politique économique. On a désormais l’impression que l’armée fait ce qu’elle veut, que ce soit avec ses propres fonds ou avec ceux de l’État, étant donné qu’il n’y a plus qu’une frontière très légère entre les deux. » À la fin du mois d’octobre, les fonctionnaires du ministère du logement ont ainsi découvert quune cité de 6 000 logements sociaux dans la ville dHelwan, opportunément baptisée « L’armée et le peuple », et dont la construction avait été confiée par l’État à l’armée, resterait la propriété de membres des forces armées. Initialement, elle devait être remise gracieusement au ministère pour la vente aux particuliers. L’armée, qui avait annoncé après la révolution son intention de construire 20 000 logements sociaux, en a sans doute déjà construit plus du double. Le ministère du logement, où les généraux à la retraite pantouflent discrètement, continue à couvrir un nombre croissant d’opérations immobilières réalisées « en coopération avec les forces armées », qui posséderaient plus de soixante entreprises civiles spécialisées dans l’habitat. L’armée, qui exerce un droit de regard et de préemption sur la quasi-totalité des terrains du pays, construit aujourd’hui sans vergogne comme bon lui semble des « logements sociaux » sans le moindre contrôle gouvernemental. Fin octobre, les militaires ont encore décidé unilatéralement de construire 16 000 logements sociaux, avec les commerces attenants, à Dachour, sans plus de détails sur la commercialisation des appartements. Le métro du Caire dans lescarcelle Construction, transports, énergie : depuis la révolution, l’armée égyptienne a considérablement étendu ses activités industrielles pour s’imposer comme un acteur majeur du développement du pays. Elle a entrepris, depuis le 30 juin, de piloter la « reconstruction » en l’absence de toute institution élue et de tout contrôle sur le budget de l’armée. Au point d’annoncer officiellement qu’elle prenait le pilotage de la mission de développement du Triangle d’or, une vaste zone d’extraction de minerais située entre Saffaga, Qusayr et Qena. Les militaires ont également engagé toute une série de grands travaux visant à désenclaver le sud du pays et à développer la zone du canal de Suez, la côte méditerranéenne et le Sinaï, à travers des projets industriels comme la construction d’un aéroport international à Sohag, censés créer des milliers d’emplois. De plus en plus impliquée dans le secteur privé, que ce soit à travers ses propres entreprises ou celles de ses officiers, l’armée multiplie les partenariats avec des multinationales étrangères (dont beaucoup d’entreprises du Golfe) auxquelles elle assure, entre autres services exclusifs, la sécurisation de leurs sites industriels dans un contexte sécuritaire tendu. Ces partenariats lui garantissent désormais une présence dans les secteurs stratégiques à fort rendement que sont les transports et les hydrocarbures. Les militaires, qui régnaient déjà sur la construction de rails, contrôlent aujourd’hui une large part du transport maritime et aérien. Au mois d’août, la gestion de la sécurité du métro du Caire a elle aussi été confiée à Queen Service, une compagnie privée contrôlée par l’armée. À cela, sajoutent des investissements massifs dans les domaines énergétique et environnemental, en pleine expansion. « Dans le secteur de l’énergie, l’armée exerce presque autant de pouvoir que le ministère du pétrole », affirment Shana Marshall et Joshua Stacher, dans une étude réalisée pour le Middle East Research Center au printemps 2012. Les forces armées égyptiennes, qui sont partenaires de la seule entreprise publique d’exploration pétrolière du pays (Tharwa Petroleum), et de la plus grosse entreprise de fabrication de pipelines de la région, se sont également lancées dans des projets de traitement de l’eau, d’énergies renouvelables, solaires et éoliennes avec des compagnies étrangères. Il ne fait aucun doute que ces activités sont hautement profitables. En décembre 2012, le Conseil supérieur des forces armées a prêté 1 milliard de dollars à la Banque centrale égyptienne et a versé des bonus mensuels de 400 dollars par mois à ses officiers de rang intermédiaire depuis la révolution. Mais ces projets assurent surtout à l’armée un rôle central dans le développement du pays et son avenir économique. « Depuis la révolution, les généraux ont ancré leurs entreprises si solidement qu’elles en sont devenues inamovibles. Ils ont désormais le pouvoir de désigner les gagnants et des perdants au sommet du capitalisme égyptien, et ils garderont ce pouvoir longtemps après le retour à un pouvoir civil, concluent Shana Marshall et Joshua Fischer. Ce qui est en revanche totalement inédit, c’est le vaste consensus populaire et politique qui entoure aujourd’hui la montée en puissance de l’armée dans l’économie. » Depuis le 30 juin, libéraux, socialistes, nationalistes et islamistes, comme emportés par une vague néo-nassériste, regardent avec une satisfaction affichée les militaires partir à l’assaut de l’économie égyptienne en l’absence de toute instance représentative élue. « Les chefs militaires croient vraiment qu’ils peuvent mieux faire que les civils et que l’armée est le véritable constructeur de la nation, renchérit le chercheur Robert Springborg. Les intérêts politiques et économiques de l’armée sont présentés comme étant ceux de la nation. Que le processus enrichisse au passage les officiers, cela ne préoccupe pas vraiment l’institution. » Ni la majorité des Égyptiens. mediapart.fr/journal/international/181113/egypte-larmee-met-la-main-sur-les-secteurs-cles-de-leconomie?page_article=1
Posted on: Tue, 19 Nov 2013 22:47:09 +0000

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