Malte et Napoléon : une clé pour la Méditerranée. Par Raphaël - TopicsExpress



          

Malte et Napoléon : une clé pour la Méditerranée. Par Raphaël Lahlou Bonaparte a dit : « C’est dans Mantoue que j’ai pris Malte. C’est le généreux traitement employé à l’égard du général Wurmser qui me valut la soumission du grand-maître et de ses chevaliers1.» Par la canonnade sur les forts et la reddition de Malte, il suit un songe : tenir la Méditerranée. Pour Michel Déon, en signe complice d’attachement aux îles. Malte et la France révolutionnaire. Les finances, les liens de la France et de Malte, la neutralité volontaire de l’Ordre sont mis en péril par la Révolution française de 1789 à 1792. Interdits de dîme, déchus de leur nationalité française (deux tiers des chevaliers), privés de leurs biens français, ses membres sont menacés. Le grand-maître Emmanuel de Rohan espère une issue positive. Il maintient une représentation en France et consigne aux chevaliers de se considérer soumis aux lois françaises. On assiste à un conflit entre jeunes chevaliers libéraux et vieux baillis. A des tensions entre émigrés français et membres portugais ou espagnols ; face à la Révolution, la neutralité joue : les troupes, les galères et vaisseaux sont partiellement licenciés ou désarmés ; mais à la bataille de Fleurus (1794), des membres de l’Ordre, passés dans l’armée de Condé, se replient dans l’île. La population maltaise rejette l’Ordre ou le conteste ; elle aspire à un rôle actif. De 1792 à juin 1797, plusieurs complots républicains et pro-français furent découverts, réels ou non. Malte a été un soutien pour Pascal Paoli dans ses projets maritimes contre Gênes ; des Corses jouent dans l’île un rôle certain, avant même la donation de l’île par Charles Quint à l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem en 1530. Bonaparte, descendant conscient de Corses liés à l’Espagne et à Charles Quint, ne pouvait l’ignorer. Est-ce l’un des motifs de son intérêt pour Malte, qui éclate dans sa correspondance à partir de 1797 ? Cette époque est celle où il prend conscience de son poids militaire, et plus encore peut-être de son ambition politique. Malte est aussi pour lui en bon lecteur de Volney (des Ruines) et d’autres auteurs hantés par l’Orient, une clé pour l’Egypte et l’Inde. En Italie, Bonaparte fait saisir sur un émissaire russe de l’Ordre des dépêches compromettantes ; il recommande de les adresser, le 26 mai 1797, à notre ambassadeur près de Constantinople. La découverte de ces dépêches qui commande la fameuse lettre de Bonaparte au Directoire exécutif par laquelle il recommande une action directe à Malte. Le westphalien Ferdinand Von Hompesch, lié à l’ambitieuse Autriche2, est élu à la charge suprême de l’Ordre le 17 juillet, à l’âge de cinquante-trois ans (il mourut en 1805, isolé). Le Directoire s’en défie. En septembre 1797, Bonaparte était revenu à la charge en ce qui concernait Malte dans une lettre à Talleyrand, nouveau ministre des Affaires étrangères : « Pourquoi ne nous emparerions-nous pas de Malte ? L’amiral Brueys pourrait très bien mouiller là et s’en emparer. 400 chevaliers au plus et un régiment de 500 hommes sont la seule garde qu’ait la ville de La Valette. Ses habitants qui se montent à plus de cent mille sont très portés pour nous, et fort dégoûtés de leurs chevaliers qui ne peuvent plus vivre et meurent de faim ; je leur ai fait confisquer exprès leurs biens en Italie.» Il peut compter sur les vaisseaux et fonds qu’il fait préparer à Toulon, Venise, à Zante, Corfou et Céphalonie, îles dont s’est emparé son compatriote Gentili en juillet. Bonaparte tient plus à ces îles qu’à l’Italie, si l’on se fie à sa correspondance au Directoire (octobre 1797). Puis il envoie à Malte un secrétaire de légation, Poussielgue, susciter des relais (de fin décembre 1797 à mi-janvier 1798). De la conquête française à l’échec final. Dans le même temps, il a fait passer par Venise, Ancône et en France l’ensemble de l’artillerie prévue pour l’Egypte. En novembre 1797, le général donne à Brueys l’ordre de se tenir prêt à embarquer son monde. L’aval du Directoire ne vient qu’en avril 1798. D’abord en vue de la Sicile, l’escadre se présente devant Malte. Bonaparte est à bord de l’Orient, il est 4 heures de l’après-midi, le 9 juin 1798 ; aussitôt, il mandate Junot auprès du grand-maître. Il entend obtenir un ravitaillement d’eau et de vivres. Au bout d’un conseil exceptionnel réuni deux heures plus tard, on ne concède à Bonaparte que l’entrée dans le port de quatre navires à la fois. Devant cette réaction, et sachant peut-être que le 6, en apprenant l’apparition devant Gozo de la flotte portant les troupes de Desaix, Hompesch a mobilisé ses troupes en défense (24 compagnies de 150 hommes), Bonaparte adresse un ultimatum. En fait, il a déjà donné ses ordres pour s’emparer de Malte, à Vaubois, qui doit en être le gouverneur et à Desaix. Vaubois a sous ses ordres les généraux Lannes et Marmont. Dès 2 heures et 4 heures du matin, dans la nuit du 9 au 10 juin donc, Vaubois et Desaix débarquent leurs troupes sur quatre points (trois à Malte, un à Gozo) et marchent sur La Valette et la forteresse. Si le rôle de Hompesch a été longtemps dénoncé comme entaché de traîtrise envers l’Ordre, il faut dire que cela est très exagéré. En revanche, les rôles du trésorier de Bosredon de Ransijat refusant de servir contre une armée française, de plusieurs chevaliers espagnols et français, doivent être considérés comme favorables aux Français. Voici le récit du siège de Malte par l’un des aides-de-camp de Bonaparte, Sulkowski, officier polonais3 : « Je fus du nombre de ceux qui reconnurent le lieu de débarquement. Le lendemain, il s’exécuta dans quatre endroits. Le général Reynier devait attaquer le Goze ; le général Baraguey d’Hilliers la cale de Saint-Paul et les généraux Desaix et Vaubois devaient cerner la cité Valette. Le point de jonction de ces deux dernières divisions était l’aqueduc qui conduit dans la forteresse le seul filet d’eau qui existe […]. « L’ennemi ne défendit que faiblement le débarquement, car il fut surpris […]; mais il fut impossible de le reconnaitre dans un pays barré par un dédale de murailles sèches, qui contournent chaque champ. [...] Les Maltais s’étaient placés derrière l’aqueduc même; […] ils occupaient aussi plusieurs maisons et une muraille leur servait de parapet. […] Je voyais l’instant où l’ennemi enhardi, aurait prolongé sa défense. Sans attendre le reste de la demi-brigade, je perçai avec les grenadiers par un chemin à demi-couvert ; on les joignit ; une décharge à brûle-pourpoint les déconcerte et ils fuient en déroute ; l’habitude de sauter les murailles les préserva du trépas. « […] Marmont […] m’envoya reconnaître la ville. Je m’approche des portes et mes tirailleurs s’engagent malgré moi. Alors, cinq cents hommes qui se trouvaient sur le glacis les serrent et les poussent à leur tour. […] Le soir, les Maltais tâtèrent encore inutilement nos avant-postes, et la nuit, une forte fusillade, du côté de Desaix, nous mit à même de nous convaincre que ce général avait rempli son but […]. « Un événement inattendu vint nous livrer cette place formidable. Les Chevaliers avaient posté l’élite de leurs troupes dans la cité Valette, comme le point le plus menacé. Un quiproquo, qui fit prendre des individus chargés de couper un pont pour un détachement français, ayant engagé une fusillade, plusieurs Chevaliers quittèrent leur porte. A cette vue, le peuple se met en fureur ; […] le bailli, qui commandait, fut massacré, ses compagnons eurent le même sort, et la fuite seule préserva les autres [...]. Cet acte de vengeance fut suivi d’une décharge générale ; après quoi, le peuple laissant les portes de l’enceinte à l’abandon, retourne sur ses pas, et s’empare des faubourgs. […] « Hompesch, digne de combattre pour une meilleure cause, n’en fit que redoubler d’énergie. Il ordonne sur-le-champ de concentrer dans la cité les munitions et les vivres. Il fait braquer du canon sur les insurgés, annonce que l’on se défendra jusqu’à la dernière extrémité; il y eut même des individus qui proposèrent de faire sauter la forteresse dans un cas de détresse ; mais le peuple de la ville ne partageait pas cette ardeur guerrière. « […] Tous les propriétaires, s’assemblent, dressent une requête […]. Le contenu de la requête était la demande de la paix […] et la menace de livrer la ville aux Français […]. Cette requête […] convainquit le grand-maitre qu’il n’avait d’espoir que dans la loyauté de la République française : il capitula dès le lendemain.» Dès les 11 et 12 juin, Bonaparte est maître de l’île, des arsenaux et du trésor de l’Ordre. Il n’attend pas : le 19, il cingle vers l’Egypte. Il a laissé dans ses écrits ultérieurs des traits enthousiastes de descriptions des belles maisons, fontaines, des orangers superbes et du splendide coton de l’île. Surtout, il a pris d’importantes mesures dans sa correspondance sur place : abolition de l’esclavage, égalité des droits, abolition des principes féodaux, réforme complète des institutions maltaises, création d’une autorité municipale – que Malte ne retrouvera qu’en 1993–, division des îles en cantons, réforme de l’enseignement, création d’une école centrale et d’un journal. Bonaparte marque aussi les esprits par un choix immédiat : favorable aux Juifs de l’île, il les autorise à bâtir une synagogue ; cela pouvait augurer un succès durable. Malte, Comino et Gozo sont terres françaises. Le général Brouard contre une révolte à l’annonce du drame naval d’Aboukir en septembre 1798 ; les Maltais se heurtaient déjà à l’administration civile4 des Français, aux rigueurs militaires, aux réformes, agraire et foncière, aux mesures finalement anticléricales ; à divers actes de pillage et surtout au manque d’approvisionnement (deux vaisseaux seulement atteignent Malte de février 1799 à août 1800). Après ce soulèvement, les Maltais font appel aux Anglais et au roi de Naples. Un blocus de vingt-sept mois orchestré par Nelson et Alexander Ball, les Napolitains et la flotte portugaise, piège Vaubois mis par Bonaparte à la tête d’une garnison de trois mille soldats et cinq compagnies d’artillerie. Vaubois est enfermé dans La Valette, ne pouvant tenir la campagne. Fin juin 1799, la garnison est déjà affamée, décimée par le scorbut ou des ophtalmies nocturnes. Divisée aussi entre ses chefs Vaubois et Brouard – qui reprocha à son supérieur sa mauvaise gestion des vivres. Malgré les négociations habiles de Bonaparte avec la Russie, l’Espagne et le Portugal, la situation des Français reste désespérée. La reddition tardive de Vaubois (5 septembre 1800) ne masque pas l’échec, avant celui d’Egypte (où s’engagent Maltais et chevaliers de Malte). L’île devint gage d’échange ou de paix, de négociations sur le papier et avortées pour Napoléon. Lucien, son frère, captif des Anglais, séjourna à Malte. Les Coalisés envisagèrent d’en faire le lieu d’exil de Napoléon avant Sainte-Hélène. Par ses croisières corses, en tenant Malte, Minorque, l’Angleterre se déploie à nouveau en Méditerranée. Napoléon aura à le regretter de 1801 à 1814. Prétexte à la rupture de la paix d’Amiens en 1803, Malte sera anglaise – malgré les engagements de l’article X du traité de 1802 : Londres négligea l’Ordre de Malte que Napoléon s’employait alors à restaurer. Il n’y eut pas plus de concession anglaise envers les Maltais pour gérer l’île. L’Angleterre resta jusqu’en 1964. RL Bibliographie : D. Miège : Histoire de Malte. Grégoir & Wouters, Bruxelles, 1841. W. Hardman, of Valetta: A History of Malta during the period of the French and British occupations (1798-1815). Longmans & Green, Londres, 1909. 1 Il y eut une rente promise. Caffarelli du Falga suppose des trahisons : « Nous avons été bien heureux de trouver quelqu’un à l’intérieur pour nous ouvrir la porte. » 2 Paul 1er de Russie, promu grand-maître de l’Ordre de Malte mais orthodoxe, se rapprocha de Bonaparte en 1800. Son assassinat favorisa les Anglais, et la politique russe changea. Ce qui ne mit pas un terme absolu aux tractations franco-russes sur Malte. 3 Né vers 1770 dans une illustre famille princière de Pologne, il servit dans l’armée de son pays. Naturalisé français (gendre du naturaliste Venture de Paradis), officier en France, il se distingue en Italie sous Bonaparte. Présent à Malte, il sera tué en 1798 en Egypte. 4 Regnaud de Saint-Jean d’Angély, brillant commissaire civil, quitte Malte avant la fin du siège subi par Vaubois. Il s’emploie à convaincre le gouvernement de nos périls.
Posted on: Mon, 08 Jul 2013 22:57:16 +0000

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