Mathieu Bock-Côté - 9 septembre 2013 Pauline Marois semble - TopicsExpress



          

Mathieu Bock-Côté - 9 septembre 2013 Pauline Marois semble avoir fait une promesse: la Charte des valeurs n’entrera pas en contradiction avec la Charte canadienne des droits et libertés. Manière comme une autre de s’incliner devant le texte sacré de l’ordre constitutionnel canadien et d’en reconnaître implicitement la pleine légitimité. Et pour cela, ajoute-t-elle, il ne sera pas nécessaire d’utiliser la clause nonobstant. Étrange déclaration qui confirme à quel point le souverainisme, malgré son indispensable virage identitaire, a souvent l’allure d’un frondeur paralytique, comme l’aurait dit Jean-François Revel. Avec cette déclaration, Pauline Marois vient reconduire l’interdit autour de cette clause, en laissant croire qu’y faire appel relèverait d’une transgression insoutenable et inimaginable. Cette clause serait-elle à ranger au musée des horreurs? Il n’en a pas toujours été ainsi. On en a encore le souvenir, René Lévesque n’hésitait pas à dénoncer ce qu’il appelait la «maudite Charte de Trudeau». Il voyait dans le gouvernement des juges une négation grossière de la démocratie. Robert Bourassa lui-même a déjà utilisé la clause nonobstant pour protéger les lois linguistiques, torpillées par la Cour suprême. Pauline Marois, dans ce débat, accepte non seulement d’évoluer dans les paramètres étroits de la constitution de 1982, mais elle en accepte l’esprit, en consentant à l’idéologie qu’elle véhicule. Elle refuse d’utiliser une clause pourtant inscrite au cœur de la constitution qui protège les pouvoirs du parlement et qui représente la dernière poignée du politique pour éviter le gouvernement des juges. Renoncer à la clause nonobstant, c’est non seulement endosser la constitution de 1982, mais c’est en accepter son l’interprétation la plus radicale. C’est endosser sans le vouloir la vision qu’en ont les trudeauistes les plus militants, qui ont toujours considéré la clause nonobstant comme un archaïsme qu’il faudrait un jour liquider, comme si la démocratie progressait en déconstruisant politiquement la souveraineté populaire. Renoncer par principe à la clause nonobstant, c’est accepter la conception multiculturaliste des droits de la personne et la neutralisation de la souveraineté démocratique. Dans une société qui s’exaspère de son impuissance démocratique, est-ce vraiment avisé? Faut-il vraiment chanter le transfert du pouvoir des élus vers les juges? Faut-il vraiment, je le redemande, renoncer au politique? Cela n’est pas un détail, car un enjeu fondamental du débat entourant cette charte des valeurs, à bien des égards, est justement la revalorisation d’une conception riche de la démocratie devant ceux qui voudraient la réduire à la seule question des droits individuels ou des minorités, comme s’il n’était plus légitime de légiférer sur la chose commune. Avec elle, on commencera peut-être à se déprendre d’un interdit idéologique majeur, qui empêche pour l’instant la remise en question du multiculturalisme d’État. Les souverainistes devraient se rappeler qu’ils n’ont pas à faire de zèle idéologique dans l’adhésion à la constitution canadienne. Que veut dire une gouvernance souverainiste qui se refuse à l’avance de critiquer les fondements idéologiques de l’ordre constitutionnel canadien? N’est-ce pas la preuve, malheureusement, que l’ordre de 1982 a profondément influencé les souverainistes eux-mêmes? La constitution conditionne la psychologie d’un peuple. Au Québec, les souverainistes semblent hypnotisés par l’idéologie d’un régime dont ils prétendent vouloir extraire leur peuple. L’histoire nous éclaire. La constitution de 1982 trouve son origine dans la volonté de Trudeau de mettre en tutelle l’Assemblée nationale. Trudeau croyait que la souveraineté populaire conduisait à la tyrannie de la majorité et qu’il fallait la neutraliser. Faut-il mentionner aussi qu’il croyait que les Québécois, laissés à eux-mêmes, seraient autoritaires? Pourquoi endosser un ordre politique reposant sur cette vision? Car ce ne sont pas les droits individuels que protège la Charte: c’est le pouvoir des juges à se situer au sommet de l’ordre politique. En fait, la constitution de 1982 a surtout ouvert la porte à la judiciarisation du politique, qui représente à bien des égards une négation de la démocratie. Les grandes orientations de notre collectivité ne sont plus fixées en ultime instance à travers la délibération démocratique mais en se tournant vers un pouvoir non-élu, dont l’importance a gonflé considérablement en 30 ans. Une chose est certaine: ceux qui répètent en boucle que la question constitutionnelle est secondaire sont les premiers à se draper dans la constitution canadienne pour justifier leur opposition à une sortie du multiculturalisme et à l’interprétation déformante des droits et libertés qu’elle contient et propose. Le débat sur les accommodements raisonnables a la grande vertu de nous rappeler que la constitution est une question fondamentale qu’il ne faudrait pas oublier. La constitution relève du domaine des «vraies affaires». Sur la question fondamentale de l’intégration des immigrants, c’est la constitution qui distingue ce qui est possible et ce qui impossible et conséquemment, qui distingue le pensable et l’impensable. Autrement dit, si les Québécois entendent sérieusement sortir du multiculturalisme d’État à la canadienne et privilégier un autre modèle d’intégration nationale, comme la convergence culturelle, par exemple, ils devront se préparer à prendre au sérieux la question constitutionnelle. Il faut rouvrir la question du régime. Dans ce débat qui s’annonce plus âpre qu’on ne l’aurait souhaité, les compromis inutiles dictés par la peur seront perçues comme des signes de faiblesse chez les adversaires du gouvernement. C’est qu’ils s’imaginent en croisade contre «l’exclusion» et croient avoir le monopole du bien. Inversement, la population a tendance à se moquer de ceux qui se gonflent les muscles pour mieux reculer ensuite devant la peur d’une bataille politique. Le courage dans la tempête n’est pas déshonorant et est à l’origine de grandes victoires. Il ne s’agit pas de jouer au radicalisme pour le simple orgueil de l’intransigeance. Ce serait insensé. Une question de cette importance doit être débattue à la bonne hauteur – c’est qu’elle touche aux fondements de la cité. Mais les souverainistes n’ont pas intérêt à sacrifier des choses essentielles pour éviter les étiquettes qu’on leur collera peu importe ce qu’ils feront. La peur de faire peur n’est jamais à l’origine des grands changements indispensables au relèvement d’une société.
Posted on: Mon, 09 Sep 2013 22:21:15 +0000

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