Napoléon III, une politique étrangère éclipsée… Entretien, - TopicsExpress



          

Napoléon III, une politique étrangère éclipsée… Entretien, dans l’un des hors-séries de la revue « Diplomatie » (été 2008) avec Raphaël Lahlou, historien, auteur de Napoléon III ou l’obstination couronnée, Bernard Giovanangeli éditeur : Paris, 2008, 223 p. Lorsqu’il accède au pouvoir en 1848, Napoléon III ne dispose pas d’une marge de politique extérieure très importante. Napoléon III accède au pouvoir dans des conditions extrêmement particulières : il a conspiré dans les années 1830, a passé une bonne partie de sa jeunesse tantôt en France, tantôt l’étranger, et faisant partie du clan des Bonaparte, il ne constitue donc pas aux yeux des puissances européennes un personnage éminemment rassurant. Après le coup d’État de 1851 cet homme a pour vue et pour principe – d’autant qu’il l’a affirmé dans ses études lorsqu’il était emprisonné au Fort de Ham – la remise en cause des traités de la Sainte-Alliance de 1815, c’est à dire l’Europe telle qu’elle était définie depuis 1815. Dans les premières années de son mandat de président, Napoléon III nourrit-il une vue politique précise ? Dispose-t-il de l’autorité suffisante pour mettre en conformité ses vues et son action ? Très largement élu au suffrage universel masculin en 1848, Napoléon III est à la fois c’est le premier président de la République française et le premier à avoir été élu au suffrage universel – ce qui laisse penser qu’il disposait des moyens de son action. Or, ce n’est pas le cas, du moins jusqu’au coup d’État, car il se trouve tenu par différents gouvernements issus du milieu parlementaire qui lui mettent de ce point de vue là un certain nombre de bâtons dans les roues. La crise italienne et la question de Rome entre 1848 et 1849 en sont l’illustration parfaite : il a fait acte d’autorité en plusieurs occasions, sans pouvoir imposer de vue politique équilibrée qui lui appartienne en propre (ce fut bien davantage celle de ses gouvernements successifs). Sur le plan diplomatique, Napoléon III a t-il nourri une idéologie spécifique ? Celle-ci consiste, selon ses propres termes, à vouloir conduire une certaine « politique européenne », autrement dit à reprendre les idées de son oncle dans le Mémorial de Sainte-Hélène : créer un agglomérat des nations d’Europe sous l’égide de la France qui soit assorti d’une une sorte de « nationalité européenne (1) », ou du moins former un ensemble de nations européennes cohérentes dotées de vues comparables. Paradoxalement, Napoléon III compose à la fois un héritier incontestable et un personnage animé de vues extrêmement personnelles. Ainsi, lorsqu’il écrit dans Des idées napoléoniennes : « la politique de l’Empereur consistait à fonder une association européenne solide en faisant reposer son système sur des nationalités complètes et sur des intérêts généraux satisfaits », il reprend les idées de son oncle mais les pense sincèrement. Réduire sa pensée à une désastreuse politique des nationalités - certes très généreuse mais incohérente – revient à oublier que dans le même ouvrage, il ajoute la phrase suivant : « dans les faits contemporains comme dans les faits historiques, on peut trouver des leçons, rarement des modèles (…). On ne saurait copier ce qui est fait parce que les imitations ne produisent pas toujours des ressemblances ». Cela montre bien que Napoléon est certes l’héritier revendiqué du Mémorial de Saint-Hélène, soucieux de détruire la définition politique issue du Traité 1815, mais que, contrairement à ce que l’on a dit, il n’entend pas le faire uniquement par la guerre ou par des moyens extrêmement violents. Il n’entendait pas non plus y parvenir avec une idée révolutionnaire : il est à la fois un héritier de la révolution et temporisateur du principe des idées nationales telles qu’on peut les voir à l’œuvre en Italie avec Garibaldi. Il se rapproche ainsi de Cavour plutôt que de Garibaldi car il voit en ce dernier une menace révolutionnaire pour l’équilibre des puissances d’Europe. Son objectif est de redéfinir la carte européenne afin de donner à l’Europe un équilibre nouveau. Au lendemain du coup d’État, il déclare dans le célèbre discours de Bordeaux : « L’Empire, c’est la paix ». Pour obtenir une révision des Traités de 1815, Napoléon III opère un net rapprochement de l’Angleterre, ce qui fait de lui l’un des organisateurs, sinon l’organisateur essentiel, de ce qu’on appellera en 1904 « l’entente cordiale » dans sa forme nouvelle. Son rapprochement d’avec Victoria, également très amical, aura quelques répercussions différentes au fil du règne, dont une conséquence qu’il n’avait pas tout à fait prévue : la guerre de Crimée. Il s’aligne sur la ligne anglaise en 1854 et en Crimée jusqu’en 1856, non par volonté de faire la guerre ni par souci expansionniste ou colonial, mais par désir de se rapprocher de la politique anglaise et de donner à la France par ce moyen une position forte. De même, si la guerre d’Italie est pour lui davantage sentimentale et si elle est fidèle à ses engagements de jeunesse du côté de ses sympathies carbonari (bien qu’il n’ait pas été apparemment membre du mouvement) il agit selon une vue extrêmement concrète et un projet bien plus cohérent qu’on ne l’a dit. On a notamment dit qu’il ne savait pas choisir entre le Pape et l’unité italienne… Il n’a fait que saisir la difficulté de la situation italienne. Évêque en 1831, Pie IX avait aidé Napoléon III dans sa jeunesse à fuir face à la menace autrichienne qui le poursuivait pour avoir activement conspiré. Napoléon III a souhaité à son tour défendre Pie IX – et l’en a d’ailleurs fait part à Cavour et à ses successeurs. Il voulait récupérer les États du Pape et il tâchait de mettre aux yeux de l’Europe le Pape dans son tort de manière à justifier son action aux yeux de l’Europe. Cela fait-il de lui un cynique ? Effectivement, mais en partie seulement. Napoléon III fut à la fois un cynique sincère et un sentimental, ce qui rend le personnage à la fois sympathique et paradoxal. Les guerres de Napoléon III ? Il a mené des guerres moins « heureuses » dans leur conclusion, notamment la dernière contre la Prusse. Napoléon III craignait la Prusse et n’en était pas dupe. Il s’inquiétait de sa puissance militaire et a tenté de donner à la France les moyens militaires de faire face au danger après Sadowa, notamment dans la réforme de l’armée Française du maréchal Niel. Il admira également Bismarck mais ne fut pas suivi lorsqu’il tenta en 1867 de modifier l’organisation militaire française. Les républicains de l’époque étaient virulents et considéraient que modifier l’armée, lui donner une puissance jugée excessive n’était pas acceptable. L’un des plus célèbres de ces orateurs républicains, Émile Ollivier assène au maréchal Niel en plein débat fin 1866 : « Niel vous voulez faire de la France une caserne ! », ce qui lui vaut la réplique immédiate de Niel : « Une caserne, une caserne, craignez d’en faire un cimetière ! ». Les républicains de l’époque n’ont pas compris l’importance d’une tentative de réorganisation militaire et on l’a payé portement en 1872 et au-delà. Les élites françaises, et pas seulement Napoléon III, se partagent donc la responsabilité de la guerre de 1870. La politique de Napoléon III fut-elle incohérente et peu claire ? Je n’en suis pas sûr. On a beaucoup jasé et on glose depuis très longtemps sur l’affaire du Mexique, dont le résultat fut nul pour la France, et qui a coûté fort cher en hommes et en dépenses. N’oublions pas la responsabilité des financiers, l’importance des « créances Jecker » même si elles sont à relativiser assez fortement quant au projet direct de Napoléon III (il y eut d’autres tentatives françaises avant lui, et des liens entre les indépendantistes mexicains et des émissaires de Napoléon, dès 1810), autrement dit le poids de financiers quelque peu magouilleurs comme Morny. La grande idée du siècle, était-ce bien cela ? Selon l’expression de Rouher, la grande idée du règne était de créer un contrepoids possible face au développement d’une Amérique du Nord qui bien qu’empêtrée dans la guerre de Sécession nourrissait visiblement des velléités et des vues précises depuis la doctrine de Monroe sur l’ensemble de l’Amérique latine et de l’Amérique du Sud. Le but était donc de créer un contrepoids latin et « européen » - c’est-à-dire français, autrichien et espagnol. Napoléon III fut-il sur le sujet la proie de son entourage comme on l’a souvent dit ? Rien n’est moins sûr. Dans le cas du Mexique, il avait des vues très précises et très anciennes : il suffit de se reporter à sa jeunesse et ses complots pour constater qu’il connaissait bien les États-Unis. Il a rédigé d’ailleurs dans sa jeunesse quelques lettres tout à fait éclairantes sur ce point. Il faut se rappeler également ses velléités d’organiser un canal au Nicaragua. Je pense d’ailleurs de manière plus anecdotique que s’il avait choisi un autre pays que le Mexique pour cette tentative d’« empire latin », ou du moins de présence latine et européenne en Amérique du Sud, centrale ou latine, il aurait pu réussir. Le Mexique fut visiblement un mauvais choix, d’ailleurs en partie imposé par quelques rapports diplomatiques locaux qui semblaient orientés et l’ont mal renseigné, et la part non-négligeable sans doute d’Eugénie, de l’ancien ministre Walewski et d’une certaine partie de la frange catholique française tous soucieux de tenir une revanche sur la question italienne (ces dernières influences ont sans doute joué mais pas de manière aussi déterminante qu’on l’a dit). Napoléon III et la paix : quel bilan ? Il faut mettre à l’actif de Napoléon III que si la guerre est parfois inévitable, elle n’a jamais été pour lui une solution acceptable, ce que montre d’ailleurs la manière dont il la clôt rapidement - la paix de Villafranca en 1859 le montre très bien. Il avait horreur des effusions de sang. La guerre était parfois nécessaire, mais elle ne pouvait pas être prolongée de manière très longue. Mais surtout faire de Louis-Napoléon ou de Napoléon III l’organisateur ou le responsable des grands conflits mondiaux qui ont suivi, et notamment à cause de la perte de l’Alsace-Lorraine le responsable de la guerre de 1914, revient à juger le personnage de manière tout à fait fausse. En l’occurrence, il a toujours essayé - il l’a dit et écrit - à différentes époques de sa vie, de ne susciter que des 7conflits limités. Il a toujours refusé des conflits d’envergure pouvant avoir des conséquences internationales très grandes, c’est-à-dire les guerres larges, européennes et mondiales comme on les a connues et connaît encore aujourd’hui. C’est un pacifiste fervent, ce que montrent ses prises de position en 1863. Il est essentiel de s’en souvenir pour ne pas le cantonner au rôle d’apôtre des nationalités : la politique des nationalités ne saurait à ses yeux contrebalancer ou justifier un abandon des intérêts de la France. Il l’a dit, notamment à Émile Ollivier dans des termes très nets à la fin de son règne, alors que ce dernier allait devenir ministre, « les nationalités ce n’est pas tout », et il faut que les membres d’un pays puissent vivre ensemble en parfaite harmonie avec des intérêts bien compris, une langue commune, etc. En ce sens, il rejoint quelque peu cette notion du bien-vivre ensemble qui crée « l’Idée nationale » chez Renan. Il rejoint également, de manière plus inattendue mais tellement plus concrète, ce projet d’un arbitrage européen et mondial des conflits nationaux et des litiges que voulaient Victor Hugo ou Garibaldi. En l’occurrence les rapprochements sont plus surprenants qu’on ne pourrait le croire entre les trois personnages. Napoléon III constitue donc un personnage très étonnant, qui a nourri par ailleurs le goût des négociations secrètes - Plombières en est un exemple - mais a refusé chaque fois qu’il le pouvait d’entraîner la France dans des conflits qui ne servaient pas ses intérêts. On lui a beaucoup reproché de ne pas être intervenu en Pologne (bien qu’il fût très sensible à la question polonaise), non plus que dans d’autres nations européennes en formation. Il avait répondu sans ambages qu’il n’était pas question de mettre en péril l’équilibre européen et les intérêts de la France dans des causes, certes justes, mais qui n’avaient pas de solution possible sans conflit majeur. Je considère que de ce point de vue, on lui a fait énormément de reproches qui n’étaient pas entièrement justifiés. Les unions politico-monétaires, qu’en dire ? Sur le plan diplomatique, on doit à Napoléon III la mise en place de l’Union monétaire latine (ou Union latine) (2) - sans doute un peu irrationnelle dans le contexte de l’époque. Parmi les autres projets, qui ne furent pas irrationnels mais n’ont pas été très suivis par la suite, Napoléon III a nourri une politique arabe et orientale de la France à l’origine, à mon avis, de certaines prises de position de la France encore actuelles. Bien que l’Algérie fasse alors partie de la France, il a offert à deux reprises (1863 et 1865) la citoyenneté française complète aux Arabes et aux Algériens (3). En ce qui concerne l’Italie, on ne pas rapprocher (comme on l’a souvent fait) la situation de 1914 ou 1918 à celle qui voit Napoléon III à la fin du conflit de 1859 négocier avec l’Autriche : il n’a visiblement pas le souci de l’écraser ni de l’anéantir. Il négocie en termes très francs et très directs avec François-Joseph et en ce sens n’est pas le Clémenceau de 1918 qui cherchera à annihiler totalement l’Autriche (4). Napoléon III est peut-être moins inconséquent et incohérent qu’on l’a dit. La grande idée « étrangère » (5) du règne politique vaut pour ses rapprochements avec Damas comme pour l’ensemble de sa politique proche et moyen-orientale : c’est une politique méditerranéenne accrue, une grande idée de la politique latine de la France et méditerranéenne. Napoléon III a nourri une politique plus conséquente qu’on ne le fait aujourd’hui, plus suivie historiquement et plus logique. Il n’avait pas perdu de vue, lui, que la Méditerranée commence à Gibraltar et se termine aux limites de la mer Noire et va donc beaucoup plus loin que ce qu’on le veut penser aujourd’hui. L’exercice du pouvoir, dans la sphère de la politique étrangère, fut-il une affaire suivie ? Napoléon III fut-il suivi par ses diplomates et par ses élites politiques ? La question est autrement plus difficile. Il a été à la fois entouré de conseillers très importants, notamment Édouard Thouvenel, qui fut un remarquable ministre des Affaires étrangères. Il n’a cependant pas toujours été suivi par ses ministres et ses diplomates, certains d’entre valant bien mieux que la réputation qui leur est faite. Le comte Vincent Benedetti n’est pas qu’un malheureux négociateur : il fut aussi l’un des grands diplomates de l’affaire italienne et de la guerre de Crimée. L’Empereur est un personnage très secret. Lorsqu’il accorde sa confiance, il l’a donne presque définitivement, mais il rencontre des difficultés à trouver sur sa route des soutiens très fermes. Ses opposants ont souvent fait de lui un être chimérique, ce qu’il ne fut pas. Il a beaucoup hésité à soutenir la Confédération sudiste bien qu’il ait trouvé que l’esclavage n’était pas défendable. Il ne trouvait pas que les États-Unis étaient complètement en tort dans cette affaire-là, et nourrissait des sympathies « européennes » pour le Sud. Mais il n’a pas basculé dans ce conflit, car il se doutait bien qu’il s’agissait d’un conflit majeur. Il était d’accord sur ce point avec Thouvenel, mais des diplomates comme Drouin, ou d’autres dans certaines autres occasions furent fortement en désaccord avec sa politique. Lorsqu’il a effectivement été très seul, il lui fut tout à fait difficile de trouver des émissaires directs, légaux et légitimes pour appuyer sa politique. C’est la raison pour laquelle, il a négocié souvent seul, notamment à Plombières à titre personnel ou avec des émissaires plus secrets comme le docteur Conneau ou Leonetto Cipriani (souvent liés avec ses entourages corses). Quel bilan de sa politique ? Le Second empire s’achève certes avec la guerre de 1870, dont il n’est pas le seul responsable et qu’il a tout fait pour éviter autant qu’il le pouvait tant il était persuadé que la France allait la perdre : il l’a dit de manière très nette. N’oublions pas sa maladie : depuis 1860, l’Empereur est un homme très malade (6), il est probablement plus faible qu’il ne l’était au début de son règne ou jusqu’au Traité de Paris, des temps où il fut l’arbitre de l’Europe. A-t-il réussi à dégager la France des Traités de 1815 ? Oui. A-t-il suscité une entente cordiale avec l’Angleterre ? Oui. A-t-il été le responsable d’une guerre de trop ? Il est l’un des responsables mais pas le seul. Quel bilan tirer des ambitions et de la vision Napoléon III ? Il a été l’organisateur de la Marine la plus moderne du point de vue français qu’on ait vue jusqu’à présent et qui se prolongera pratiquement jusqu’au sabordage de la flotte en 1942. Il est l’organisateur, sans être colonialiste et en étant beaucoup plus moderne que la IIIe République sur ce point, du futur grand empire colonial français. Du point de vue diplomatique, les influences actuelles de la France y trouvent leur source. Napoléon III fut incontestablement l’un des précurseurs de la vision d’une puissance mondiale que la France incarne encore, comme l’a bien compris par certains aspects le général de Gaulle en 1858. À la différence de son oncle, il s’est lié le moins possible aux héritiers de la Révolution et essaya d’éviter de l’exporter à coups de baïonnettes. Il fut parfois plus diplomate qu’on ne l’a dit et quelquefois moins incompris qu’on ne l’a dit - là encore il conviendrait d’apporter toute une série de nuances et de souligner toute une série de paradoxes. Napoléon III ne fut pas seulement le prince chimérique et incohérent, responsable de guerres ou d’errances diplomatiques qu’on l’accuse d’être. Sa politique des nationalités serait d’ailleurs à réévaluer tout au fil de son règne : il l’a nuancée beaucoup et dans ses écrits et dans ses paroles. Il n’a pas été qu’un partisan béat de nationalités en formation et a toujours essayé d’en contenir les effets les plus révolutionnaires. Parlant des événements d’Espagne, entre 1850 et 18960, il disait « c’est 1848 et 1793, mêlés ensemble et ça n’est pas souhaitable pour l’Europe ». On constate donc que même avant 1869 et les lettres à Émile Ollivier relativisant le principe des nationalités, il n’a pas été aussi inconséquent qu’on a bien voulu le croire. Napoléon III, personnage en creux par rapport à Napoléon Ier ? Voilà, hélas pour Napoléon III, tout le problème : par rapport à Napoléon Ier, Louis-Napoléon Bonaparte est président de la République, s’est débarrassé de ses contradicteurs les plus évidents et surtout des menaces qui pesaient sur lui. On ne peut évoquer le coup d’État, sans évoquer également le fait qu’à peu près toutes les factions politiques de l’Assemblée conspiraient contre le Président. Mais aux yeux des régimes qui ont suivi, de la IIIe République jusqu’à la Ve, l’image de Louis-Napoléon se limite à celle du putchiste qui étrangle la République - ce qui est beaucoup dire car elle était par bien des côtés déjà morte depuis les massacres de juin 1848 où il ne prit aucune part. Il a eu contre lui des adversaires peu doués politiquement mais extrêmement doués du point de vue de la plume. Je pense notamment à Victor Hugo. Avoir contre lui la voix de Hugo ! Lorsque Victor Hugo déclame en juillet 1851 son célèbre discours de séparation avec le Prince Louis-Napoléon, il dit : « Quoi ! Après Auguste, Augustule ! Quoi ! Parce que nous avons eu Napoléon-le-Grand, nous aurions Napoléon-le-Petit ! ». Dans le même discours, il évoqua pour la première fois également ce qui fit rire tout le monde : « Les États-Unis d’Europe ». Or les États-Unis d’Europe constituaient chez Victor Hugo un concept bien plus chimérique encore que chez Napoléon III. Quoi qu’il fasse, aux yeux des républicains français, Napoléon III restera l’homme du putsch de 1851 et de la défaite de 1870 – ils oublièrent au passage leurs propres responsabilités dans le déclenchement de la guerre et dans l’impréparation politique de la France. De manière plus lucide et plus exacte, aux yeux d’autres spécialistes et dignitaires diplomatiques, il est l’homme de la crise du Mexique. On condamna l’ensemble de sa politique étrangère - ou du moins sa vision de la politique étrangère - alors qu’on s’en réclame parfois sans même le savoir, aujourd’hui. Mais, on condamna tout autant sa politique sociale, pourtant l’une des plus avancée de l’Europe d’alors. Ne nous fions pas trop à l’image posthume d’un personnage aussi complexe, sympathique et contradictoire en même temps. Je ne pense pas en revanche que la ligne, longtemps choisie pour mettre au rabais « Napoléon-le-Petit », soit très justifiée et serais tenté, de rappeler ce mot de Victor Cousin (7) à l’un de ces élèves : « Victor Hugo est fou avec son Napoléon-le-Petit, le petit c’est celui de la colonne ! ». Victor Cousin avait tort en un sens, mais pas complètement… Rappelons qu’Abd El-Kader, que Louis-Napoléon en tant que prince avait libéré de sa prison, respectant en cela les engagements non-tenus de Louis-Philippe et de ses enfants, et qu’il avait fait Grand-croix de la Légion d’honneur, eut cette formule lorsque le régime tombe en 1870 et que Napoléon III s’exile près de Londres : « Que vos majestés se rassurent, il n’y a que la Lune et le Soleil qui connaissent des éclipses ». Eh bien, l’éclipse de Napoléon III notamment en politique étrangère touche sans doute à sa fin du moins en termes de recherche et d’étude… Notes : (1) Terme de l’auteur. (2) Cette union n’avait rien à voir avec l’euro actuel (3) Malgré tout l’intérêt que je prends à certaines analyses fortes et récentes de Philippe Seguin sur Napoléon III, je ne peux pour cette raison le suivre complètement dans sa définition « gaullienne » ou « gaulliste » de la politique étrangère de Napoléon III, même si, par ailleurs, il est arrivé au général de Gaulle de s’en rapprocher ou de s’en référer. (4) La France paiera d’ailleurs chèrement d’avoir annihilé le tampon autrichien et Jacques Bainville l’a bien montré dès 1900. (5) Bien qu’à l’époque, je précise que l’Algérie était française. (6) Malade de la « maladie de la pierre », il avait un « caillou » dans la vessie. (7) Bien que les rapports de Victor Cousin avec le Second Empire aient été plus ambigus que ceux de Victor Hugo.
Posted on: Tue, 03 Sep 2013 08:41:18 +0000

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