POINT FINAL Il - TopicsExpress



          

POINT FINAL Il fallait bien conclure. Merci d’avoir tenu jusque ici. Paul ! Mon chéri ! téléphone...C’est Paris, m’informe Annie en soutien-gorge et petite culotte, toute excitée. Je ne sais pas pourquoi mais, pour elle, tout ce qui vient du vieux continent est béni. La France en particulier s’auréole d’un mystère, d’un charme fantastique qui la laisse pantelante à chaque fois. Pour moi c’est synonyme d’ennuis car j’ai encore quelques vieilles casseroles accrochées à mes basques et je regarde le combiné dans sa main comme si c’était un vieil étron puant. Pourtant, je me décide à le prendre. — Mr Andrade ? Une voix bien dressée, qui sent la secrétaire d’huissier. Dans un réflexe incontrôlé, je raccroche sous le regard surpris d’Annie. — Un faux numéro, bougonne-je en retournant à ma vieille Remington. Peine perdue. Cinq minutes plus tard, Annie crie à nouveau à travers le salon. — MARC ! MON CHERI ! PARIS ! — DEMANDE QUI S’EST ? Hurle-je à mon tour en mâchouillant un vieux bout de cigare mouillé. Silence. Une voiture freine violemment sous la fenêtre de mon bureau suivi d’un coup de klaxon. — Le Livre Contemporain, mon bébé. Liquéfié de surprise, je fais un bond par dessus mon bureau. Dans le salon, j’arrache le combiné des mains d’Annie, effrayée par cet empressement soudain. — M. Andrade ? fait une voix. — OUIIIIIIIIII ! — Ne quittez pas, s’il vous plaît ! Série de déclics. — M. Andrade ? Avant même de pouvoir confirmer, un voix bien stylée déclame. On a reçu votre manuscrit. Il nous intéresse. J’en avale presque mon cigare. Pourriez vous passez nous voir…Demain, par exemple, dix heures. Je ne vous donne pas l’adresse, HA ! HA ! vous connaissez…Demandez le responsable de la publication à la secrétaire dans le hall. Bonne journée . Nouveau déclic. La voix a raccroché. Je regarde le combiné aussi surpris que si j’avais reçu une communication de l’Élisée. Annie, à mes côtés, m’interroge du regard. Encore sonné, jexplique. — Demain dix heures... Rue St Denis. Cest léditeur dont je tai parlé... — Demain, dix heures, rue St Denis... répète-t-elle bêtement. Je confirme. — La rue St Denis, cest à Paris ? Silence. Annie me regarde fixement. Un ange passe et s’en va, découragé… * Le soir, au lit, je raconte à ma compagne. Blottie contre moi, elle boit chacune de mes paroles. De temps en temps, je m’envoie une lampée de J.B. — D’abord, impossible de trouver le numéro. Puis d’appeler. Tu te souviens, par mesure d’économie, l’international, je l’ai fait couper. Donc je vais à la poste…Je raconterais une aventure intergalactique à Annie qu’elle serait tout autant fascinée. Bon. J’attends mon tour et quand on me donne une cabine, j’ai une secrétaire en ligne. J’explique que j’habite au Brésil. Que cest difficile pour moi darriver aussi vite... j’attends. Un clic, puis deux, puis une autre secrétaire. Je transpire dans la cabine, autant pour la chaleur que pour la peur dêtre coupé. Annie frétille d’impatience. En faisant durer mon plaisirs, je tire sur mon cigare. — ENSUIIIIIIITE… Je me fends d’un large sourire. — C’est arrangé, ma puce. Annie hurle de joie. Dans son enthousiasme, elle se lève et saute sur le lit en cadence, moffrant une vue imprenable sur le haut de ses jambes. Émoustillé, jessaye de l’attraper. Elle s’échappe en riant. — Fini de raconter, vieux cochon, tu auras ta récompense, après. Je me cale contre l’oreiller, un peu essoufflé. C’est plus de mon âge ces bêtises, me dis-je tristement en m’envoyant une bonne lampée de whisky. — Alors ! — On part samedi. Ma compagne fait un bond démentiel à percer le matelas. Après un vol plané sidéral, elle me tombe dans les bras. J’ai juste le temps de poser mon cigare et d’écarter le verre avant dêtre couvert de baisers. Puis, d’un geste sec, elle écarte ma chemise. — LES BOUTONS ! Cest le dernier de ses soucis. Lentement la masse ondulante de ses cheveux descend. J’attends. Et quand elle n’est plus en situation de parler, je continue. — Tous frais payés…Très bon hôtel…Une semaine entièeeeere... * A Orly, je donne l’adresse de la maison dédition au chauffeur de taxi. — HA HA, un nouveau Bukowski !se bidonne-t-il aussitôt. Annie me regarde, surprise. — Excuses, explique lautre rigolo en me regardant du rétro. Mais t’as la même allure. Avec ta môme, on s’y croirait…Je l’ai déjà conduit tu sais, ajoute-t-il pour m’impressionner. — Mouais. C’est ça. Mais tu t’es gouré. Moi, c’est Zola. Allez. Regarde où tu vas ! Fâché de se faire rembarrer, il déboîte, freine, accélère brutalement. Annie, serrée contre moi, nen a cure. Quand nous sommes sur le périphérique, elle regarde l’entrée triste et grise de la capitale. Il pleut. Je devine à peine le trait d’acier acéré qui raye la grisaille. — Regarde ! Et quand elle aperçoit le symbole universellement connu, elle sourit. Pas besoin qu’elle me dise où on va aller cet après midi. * — Bien, c’est ici que ça se passe, dis-je une fois tous les deux sortis du taxi devant la façade de l’immeuble, gros gâteau crémeux à l’angle de l’avenue. — Oui, fait une jolie secrétaire, dans le hall. Je donne mon nom. — Au fond du couloir, cinquième étage. M. le directeur de la publication vous attend. Dans l’ascenseur, je fais un clin d’œil à Annie. — En route pour les sommets, mon bébé. Enfin on débarque dans un immense bureau. Et tout au bout, un grand mec en costard rayé, la cinquantaine grisonnante, fonce vers nous, la paluche en avant. Devant Annie, il se penche. Ma compagne recule, surprise. Puis avec un temps de retard, elle se prête finalement au jeu quand elle comprend. Le baise main, ce nest pas une coutume courante en Amazonie. Quand c’est mon tour, il me démonte l’épaule. Sans doute un joueur de tennis. — Mon cher ami, quel plaisir de vous connaître enfin. Avez vous bien voyagé ? Le Brésil, comme c’est charmant. Nos auteurs, vous savez…ont des goûts… Charmant ? il faudrait qu’il voit la taille des moustiques. On s’assoit. Autant entendre ses divagations assis. — Bien, il fait en retournant derrière son bureau. Un whisky ? un café ? Je penche pour le whisky. Le coup de coude dAnnie me fait changer davis. Je croise les jambes. Pendant quune vieille maigrichonne pose les tasses, le grisonnant me regarde, silencieux, en souriant. Jattends. A ce petit jeu, on peu y passer des heures. Confiant je souris, bien calé dans mon siège. — AU COMITE DE LECTURE, ILS ONT TOUS ADORE... On sursaute, Annie et moi. J’en renverse ma tasse. Qu’est ce qu’il a ce grand imbécile à crier comme s’il me demandait un arriéré d’impôt. — CA FAIT LONGTEMPS QU’UN LIVRE N’A PAS FAIT, DANS NOTRE CHEEEEERE MAISON, UNE IMPRESSION AUSSI GRANDE… Je me tasse dans mon siège, buvant du petit lait. Plus tranquillement, il continue. Nous souhaiterions, bien sûr vous éditer, évidemment. Le plus rapidement possible, cela va de soi. Après quelques petites corrections, ho très très mineures, ajoute-t-il pour prévenir ma grimace. Vraiment, trois fois rien. Le titre, surtout, minaude-t-il en souriant d’un air de confidence à Annie. Qu’en pensez vous, hum… cher ami ? — S’il n’y a que le titre, dis-je, faiblement. — Exactement. Le titre. Pas assez marketing. Imaginez ‘Vacances en Italie’ Trop peuple…Hum…Pour un jeune auteur comme vous, hum…hum… Je voulais dire : qui n’a pas encore été publié…Il s’arrête, me scrute, s’esclaffe devant ma mine ahurie. Mais parlez voyons ! je vous en prie, je vous écoute, propose-t-il avec un grand sourire. Tout à coup mal à l’aise, pour garder contenance, je regarde Annie. Pour elle, tout baigne. Ce nest pas le cas de mon interlocuteur. Pressent-il une embrouille ? Prudemment, il tâte le terrain. — Nous pourrions peu être garder le titre…Si c’est une question de principe fait-il, à tout hasard. Mon silence linquiète. il s’agite. Il réfléchit. C’est les droits ? C’est ça ! Les droits ? Où avais-je la tête ? Sa face manucurée s’éclaire, se sentant de nouveau sur un terrain solide. Pour une première impression de « Vacances… » hum… que diriez vous de… hum… hum… Je ne sais pas où il a sa tête mais moi, mon unique certitude pour linstant, c’est où sont posées mes fesses. Et puis, il me gonfle avec ses vacances en Italie. J’ai jamais rien écrit sur les vacances. Ni en Italie ni en Amazonie. J’ai horreur des vacances…C’est bon pour les ploucs, les travailleurs sans joie. Devant mon refus absolue de répondre, le distingué se jette sur l’interphone. — Juliette, mon petit. S’il vous plaît, le manuscrit… oui…c’est ça ! Les vacances…Tout de suite. Et comme il me voit toujours aussi effaré, pour gagner du temps, son doigt pointe vers la bouteille de whisky. * Cinq minutes plus tard, l’embrouille est éclaircie. — C’est une erreur, une affreuse erreur. Je ne comprends pas…La première fois…UNE REGRETABLE ERREUR DE CLASSEMENT… éructe-t-il en consultant un petit carnet qu’il tient bien en évidence devant son nez. Voyons voir, Andrade, sans h… Son doigt file à toute allure et tourne les pages. Hum ! Voilà ! Je l’ai, fait-il avec un sourire satisfait. Une confusion, croyez moi ! UNE TERRIBLE CONFUSION…Son doigt s’arrête. Voilà ! Mémoire d’un analphabète. HA.HA.HA…Paul Andrade. Après un moment de flottement, il continue. Votre manuscrit, hum… vous a été renvoyé…hum… Refusé… Je suis désoléeeeeeeee, me dit-il avec lair de celui qui mannonce la perte de toute ma famille dans un accident d’avion.… La déception me couvre comme une lame de fond. Elle m’anéantit. Je nose regarder l’autre abruti, en face de moi, le nez toujours dans son carnet. La tête au carré, en suppositoire, il va continuer à le lire… — Et pour mes frais ? me décidé-je enfin à demander d’une voix altérée. Le grand distingué me regarde, surpris. Pendant quelques secondes, il mévalue. — Hum…dans ce cas…hum…vous comprenez…hum…cher mon-sieur…il m’est difficile de prévoir …hum…un quelconque…défraiement. Un ange passe en agitant la bannière de toutes les injustices de la terre. — Annie, s’il te plaît, va m’attendre dehors. Elle reste assise, indécise. — ANNIE ! VAS M’ATTENDRE DEHORS. Elle se lève, résignée. Et là, plus de baise main, plus de café, que le regard angoissé d’un directeur de publication qui regrette parfois de ne pas travailler au P.T.T. * — Alors, demande-t-elle anxieuse quand j’apparais dans le hall une poignée de minutes plus tard. En silence, nous regagnons la rue. Sur le trottoir, jexplique sans montrer ma déception. — C’est arrangé, je fais, impérial, en lui prenant le bras. Elle me regarde admirative en se serrant contre moi. — TU VAS ETRE PUBLIÉ ! s’écrie-t-elle comme j’appelle un taxi. Je l’embrasse sur le front. Annie me prête parfois des pouvoirs de persuasion inconnus. — Non, mon bébé. Elle se rembrunie. — Mais alors… je mets la main dans la poche intérieure de mon manteau. Jen ressors un chèque qui s’agite au vent. — Les frais, jexplique sobrement. Devant sa déception, je me dépêche d’ajouter. — L’avion... remboursé évidemment. L’hôtel pour nous deux et de la menu monnaie pour ne pas mourir de faim durant une semaine. Pour le reste, c’est moi qui t’invite, ajoute-je, grand seigneur devant ma petite femme qui reprend des couleurs. Pour accumuler encore plus de points, je lui chuchote à l’oreille. Que dirais-tu de déjeuner sur le dos d’une vieille dame ? Devant sa mine surprise, j’explique. * Dans le taxi qui nous amène vers la tour Eiffel, Annie ne peut s’empêcher de me demander. — Mais pourquoi tu t’acharnes à écrire autant, tous les jours ? A ton âge… Mais non, bébé, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, se dépêche-t-elle dajouter devant mon air figé. T’es mon vieux, mon adorable vieux. Tu es toute ma vie, ajoute-t-elle en se collant contre moi. Mais reconnais…vouloir commencer une carrière littéraire maintenant… c’est pas commun, conclut-elle, à cours d’argument. Elle a raison. C’est pas commun. Mais quoi ! Ce n’est pas parce que nous naissons tous à neuf mois qu’il faut ensuite, tout au long de notre vie, traîner nos différentes misères à l’heure ou la règle et le bon sens nous recommande de les faire : le bac à dix huit ans, le premier boulet… pardon, boulot à vingt cinq, un héritier à trente et, la sacro-sainte retraite à soixante. Je n’ai pas le droit, à l’âge ou tant de personnes aspirent à poser les valises, de me sentir un peu créateur alors que toute ma vie je n’ai été qu’exécutant, avec parfois, il faut le reconnaître, un peu de talent. Je calcule, alors que le taxi, par des chemins détournés, nous mène vers la vielle tour en acier, qu’il me reste encore, sans accident de parcours, un peu moins d’une vingtaine d’années avant de sombrer, au mieux, dans la maladie et la sénilité. Pourquoi ne pas profiter de cet ultime répit avant le grand plongeon pour m’éclater et me croire, un instant, le roi de la prose…Je ne fais de mal à personne sauf peut-être à celui, qui par malchance, dans un comité de lecture, a été désigné pour me lire…Et puis, rien ne l’oblige à aller jusqu’au bout de mes histoires délirantes. Sans effort, sans dommage pour ses neurones fatigués, sa main peut se tendre, ces doigts s’ouvrir vers la plus proche corbeille… Le trajet jusqu’à la tour est trop court pour expliquer tout cela à Annie. Mais une fois confortablement installés tous les deux devant quelques huîtres et un bonne bouteille, avec les avenues de Paris à nos pieds, je me promets de lui dire tout cela. Elle est intelligente Annie, et, sur beaucoup de points, malgré les presque trois décennies qui nous séparent, beaucoup plus intuitive que moi. Elle va comprendre, en vaillant petit soldat de notre minuscule armé qui ne compte, ni homme de troupe, ni général. Et comme par le passé, je suis sûr qu’elle va continuer son indéfectible appui…SON AMOUR INFINI… FIN
Posted on: Thu, 21 Nov 2013 22:47:19 +0000

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