Panya Bula Bula devait avoir 39 ans. C’est du moins l’âge - TopicsExpress



          

Panya Bula Bula devait avoir 39 ans. C’est du moins l’âge officiel de cet homme pour qui fiction est réalité n’étaient que les deux faces de la même médaille. Discoureur esthète sur les arts et la littérature, esprit éthéré, amoureux du café comme de Grec archaïque, polyglotte… Est-ce que tout ça ne relevait pas plus de la mythologie personnelle, qu’il aimait tant à cultiver comme un petit jardin, que de la réalité plus modeste, mais tout de même exceptionnelle, qui est celle d’un Africain parlant comme personne le français, mais aussi l’allemand et l’anglais? Oui, je peux en témoigner, je ne connais pas beaucoup d’amis qui sont capables en une conversation avec un inconnu qui cherche une adresse dans le cafouillis des rues de Kinshasa, de parler trois langues européennes : le français, l’anglais puis l’allemand. Je connais encore moins des personnes à Kinshasa capables de me traduire une page de livre sur l’art du tchèque en français, je connais peu de Congolais qui lisent des Bibles écrites en grec. Je me rappelle ce jour où nous sommes partis pour acheter du matériel artistique dans un magasin, «New Shop», sur le Boulevard du 30 juin : il aborde la vendeuse en portugais, celle-ci répond qu’elle est Roumaine, Papy la salue en roumain. On voit s’ouvrir les jolies lèvres de la Blanche : « Mais qui êtes-vous donc ? –Des artistes ! » qu’on lui répond. Elle est heureuse, excitée. Elle nous dit qu’elle connait mieux la littérature que les arts plastiques. Alors on commence une conversation sur Tristan Tzara et Dada. A Kinshasa, en plein climat tropical, 35 degrés à l’ombre, au Congo Pseudo-Démocratique, pays très endetté… Surréaliste ! Papy aimait le café, moi aussi. Plus que moi. On était assis au salon, dans notre QG de l’avenue Pépinière, vue imprenable sur le monument au Héros nationaux de l’Échangeur de Limete qu’un «malpropre» fit faire, sur un triangle en friche, à l’ «architecte des chefs d’États», le franco-tunisien Olivier Clément Cacoub. Nos conversations commençaient autour de 11 heures du matin et finissaient difficilement avant 10 heures du soir. On était désœuvré et sans le sou. On écoutait le jazz sur la RTBF ou des émissions littéraires quand il y en avait sur la RFI. On n’avait plus faim, on se droguait au café, un mauvais café mélangé sans doute à de la mauvaise herbe – je n’ai pas dit : à de l’ «herbe »… On s’en foutait, on était heureux de ce miracle de parler des choses interdites quand on est trop pauvre : les livres, les tableaux d’art, la philosophie. Nous avions le sentiment de poser un acte hautement subversif – et de fait les yeux ahuris de nos amis nous indiquaient que nous venions de prendre là un dangereux virage à 180 degrés par rapport aux usages dans les milieux d’ignorance crasse - ou du moins ceux où la connaissance est approximative et la culture exigüe. Il est la première personne que j’ai entendu parler de plus de dix livres dans une conversation au coin d’une rue, évoquer l’antiquité grecque, le mysticisme égyptien ou tel buste de Nerfertiti vu dans tel musée d’ Europe. Et avec quel naturel ! Papy serait né en Europe d’une jeune-fille blanche, elle-même née d’une mère aussi blanche que la neige, une allemande. Mais ca ne l’empêchait pas d’être d’un noir d’ébène. C’était le point où se brouillait son identité, où celle-ci basculait dans la fiction. Le reste est à lire dans sa biographie romancée : «Martin, kimboiseur», que j’avais commencé d’écrire quelques mois avant qu’il nous quitte sans dire au revoir. De ce Socrate moderne, on gardera sans doute peu ou pas de textes, il a consumé toute sa pensée dans maintes conversations sur les terrasses bruyantes de cette ville qui part en couille. J’en suis maintenant le dépositaire. De lui j’ai pu conserver une nouvelle brève intitulée « Le Barbier de Séville » que je compte faire publier. Je la lui ai fait écrire presque de force en 2007 pour le concours littéraire « Fureur de lire » organisé en Belgique où je me suis rendu la même année pour une résidence au château du Pont d’Oye, mieux connu pour être celui de l’écrivaine belge muti best-seller, Amélie Nothomb. C’est d’ailleurs à Papy que je dois ma première lecture de «Stupeur et tremblements», l’un des titres de cette écrivaine né un jour au Japon. Panya restera pour moi ce météore qui a traversé ma vie et électrisé mon intelligence. Ma reconnaissance vis-à-vis de lui est infinie. Homme de très haute culture, voilà l’image que je conserve de lui. Bye bye, cher ami !… Ici les «Malebo » tombent comme des saules pleureurs… entre Kinshasa et Brazzaville…
Posted on: Sat, 06 Jul 2013 10:10:27 +0000

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