Paru dans Liberation, le 27 Aout 2013 Par FRANÇOIS-XAVIER - TopicsExpress



          

Paru dans Liberation, le 27 Aout 2013 Par FRANÇOIS-XAVIER GOMEZ Israël . Malgré les appels au boycott, le Festival de musique sacrée a offert de beaux moments de dialogue. Un concert à 13 heures, c’est plutôt insolite, sauf un vendredi en Israël : l’horaire doit permettre aux spectateurs croyants de rentrer avant le début du shabbat (vers 20 heures en cette saison), où la vie s’arrête pour vingt-quatre heures dans le pays. La clôture du Festival de musique sacrée de Jérusalem a bien eu lieu, mais pas avec la vedette prévue : Salif Keita, la voix d’or du Mali, avait fait savoir deux jours auparavant qu’il annulait son déplacement (lire Libération de samedi-dimanche), invoquant les pressions de la part d’associations qui prônent le boycott (économique et culturel) pour protester contre les atteintes aux droits de l’homme commises par l’Etat hébreu contre les populations arabes. L’entourage du chanteur avait pourtant confirmé le concert. Et deux jours auparavant, Amadou et Mariam, ciblés par la même campagne, s’étaient produits dans le cadre saisissant de la citadelle fortifiée, au pied de la Tour du roi David. Lui aussi menacé, le couple aveugle a expliqué sa venue avec son habituelle et désarmante simplicité : «Nous avons toujours chanté la paix.» Autre invité, le chanteur de reggae Vivien Jones a, lui aussi, fait la sourde oreille aux demandes de boycott : «Si on m’affirme qu’une personne est mauvaise, je vais à sa rencontre pour forger ma propre opinion.» Craignant des représailles pour la suite de sa carrière, Salif Keita a préféré, au dernier moment, céder au chantage, tout en qualifiant de «terroristes» sur sa page Facebook les associations anti-israéliennes. Logique. Les partisans du boycott argumentent que la citadelle où devait avoir lieu le concert se situe dans la partie Est (arabe) de Jérusalem, dont l’annexion par Israël, en 1967, n’est pas reconnue par la communauté internationale. Et que le festival est financé par le même gouvernement qui persécute les Arabes. Ce dernier point est inexact : la manifestation, née en 2012, s’inscrit dans le cadre de la Jerusalem Season of Culture (JSOC), une initiative privée, financée majoritairement par la fondation philanthropique Schusterman, basée aux Etats-Unis. Qui est en outre le mécène des associations gay en Israël. «La municipalité n’apporte pas d’argent, précise Naomi Bloch Fortis, directrice exécutive du JSOC, mais manifeste son soutien par une aide logistique. Quant au ministère de la Culture et au gouvernement en général, nous n’avons pas de contact avec eux.» Pour les partisans des sanctions contre Israël, dont Roger Waters, ancien guitariste de Pink Floyd, s’est fait le porte-parole, chaque déplacement en Israël d’un artiste est condamnable, même s’il participe à des rencontres avec des musiciens de toutes origines. C’est la même logique qui présidait au boycott culturel imposé par les Nations unies à l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid : étaient mis dans le même sac Tom Jones ou Queen, qui acceptaient de se produire dans des salles interdites aux Noirs, et Paul Simon, qui enregistra Graceland avec les musiciens des townships. Le dialogue entre les communautés et les religions est pourtant la raison d’être du Festival de musique sacrée, qui ne cache pas s’être inspiré de la manifestation du même nom organisée à Fès, au Maroc, en juillet. «Quand on pense à Jérusalem, explique Itay Mautner, le jeune directeur artistique, les premiers mots qui viennent à l’esprit sont religion et politique. Nous aimerions y ajouter la culture.» Le musicien Gil Ron Shama, un des programmateurs, ajoute : «Nous recherchons la paix depuis plusieurs décennies, et les politiques ou les religieux n’y sont pas parvenus. Pourquoi ne pas nous écouter, nous les artistes ?»Personnalité médiatique, fils d’un des fondateurs de la compagnie Batsheva, pionnière de la danse contemporaine dans le pays, cet idéaliste a mêlé musiciens arabes et juifs dans le disque Souff, qui s’est taillé un beau succès. A l’ombre de la Tour du roi David, il a présenté son nouveau projet, Ras Sinai, toujours basé sur les rencontres multiculturelles. Avec les aléas inhérents : l’invitation du joueur de oud jordanien Basal Khoury a supposé un casse-tête administratif, même si Israël est en paix avec le royaume voisin. Mélopée. Dans les quatre jours de programmation, la présence de musiciens arabes, d’Israël ou des Territoires palestiniens a été rare. Les organisateurs ont pourtant multiplié les initiatives. Gil Ron Shama confie : «Depuis quinze ans, je tisse des liens avec des musiciens de Jérusalem-Est ou de Cisjordanie. Mais quand je les ai sollicités pour le festival, ils m’ont tourné le dos.» Itay Mautner rêve d’inviter le Trio Joubran, le groupe palestinien le plus célèbre dans le monde, mais ne se fait guère d’illusions sur ses chances d’y parvenir : très militants, les trois frères de Nazareth, virtuoses du oud, ont jusqu’à présent refusé tout concert organisé par des institutions israéliennes. Pas à pas, le festival fait pourtant bouger les choses. En témoigne un moment fort, survenu lors de la «ballade nocturne» : une nuit blanche avec vingt concerts, de minuit au lever du jour, dans différents espaces de la citadelle. A 3 heures, dans la salle voûtée dite «des Templiers», 150 privilégiés ont pris part à un fikhr,cérémonie soufie où la répétition des différents noms d’Allah emmène le fidèle jusqu’à la transe. Avant le début, il était demandé au public de ranger appareils photo et téléphones. Accompagné de percussions, un chanteur musulman se lance dans une majestueuse mélopée hypnotique. Les assistants, assis sur des tapis, sont invités à se lever et, en se prenant par la main, à répéter le nom divin. Un homme portant kippa s’approche de la scène et mêle son chant en hébreu : c’est un hazzan, chanteur de synagogue. Moment intense, trop court pour atteindre l’extase, mais dont on sort dans une sorte d’ivresse et de bien-être. Les clés nous en seront livrées plus tard : le chanteur soufi est un guide religieux connu, qui ne souhaite pas que son nom soit rendu public (d’où l’interdiction de photographier). Et le risque qu’il prend à chanter avec des juifs est réel. Toutes les communautés appellent au dialogue, mais quand celui-ci a lieu, c’est presque dans la clandestinité. Pour le moment. Le chemin vers la lumière commence dans les catacombes.
Posted on: Tue, 27 Aug 2013 21:20:04 +0000

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