Pendant dix ans j’ai été archéologue spécialisé dans le - TopicsExpress



          

Pendant dix ans j’ai été archéologue spécialisé dans le préventif, c’est à dire les travaux d’aménagement du territoire. Payé pour détecter, évaluer et analyser de l’antique j’ai été, comme mes collègues bas-normands, plus que souvent confronté à l’archéologie de la bataille de Normandie. Incroyable la quantité de ferraille coupante et densément lourde qu’on retrouve sur un terrain pilonné par les obus ou bombardé. Non seulement ça perturbe la lecture des sols mais parfois c’est intact et alors il faut téléphoner au déminage en espérant qu’un curieux ne viendra pas se faire sauter la gueule pendant le week-end parce qu’il est hors de question de ramener la chose dans le coffre. Les conducteurs de pelleteuses qui bossaient avec nous nous racontaient que souvent, les entreprises ne s’encombraient pas à immobiliser leurs moyens et que moyennant un petit billet ou une bouteille, hop, on mettait la ou les munitions dans un remblai avec son mouchoir par dessus. Je connais des talus d’échangeurs fourrés au 88 de chez Krupp qui pourraient être encore ludiques dans 50 ans. Mais officiellement ça n’existe pas. En 1996 ma collègue Karine, quand nous travaillions sur le site du centre commercial Mondeville 2, était partie faire un petit pipi entre deux tas de déblais. Elle termine son affaire et se rend compte qu’elle s’était accroupie sur un objet métallique copieusement arrosé. Un truc genre obus de mortier mais avec une binette originale qui ne disait rien à personne. Coup de bigo au déminage. Les deux gars déboulent, vont examiner la chose et donnent leur verdict : -« Bon, on évacue tout le monde. On ne peut pas la déplacer. On la fait sauter sur place. » -« Et c’est quoi ? » -« C’est une SD 1, une mine antipersonnel lâchée par grappes en avion. Ca explose au moindre contact en projetant des billes. Le corps est en bakélite, c’est indétectable, ça ne rouille pas. » Karine a eu un rire blanc. Il est des scènes qu’on a du mal à se représenter. La chance parfois vous sourit. Ce que nous avons eu souvent et qui est plaisant à fouiller, ce sont les trous d’hommes, creusés par les soldats des deux camps un peu partout. Parfois on trouve les conserves consommées, des bouteilles de coca (j’en ai une dans ma cuisine) ou des bouteilles étiquetées en gothique, des douilles et une fois un fer à repasser Thompson. En novembre 1994 j’avais eu pour ma première responsabilité d’opération un chantier dans la Manche près de Carentan. Un balnéaire romain et un bout de galerie de façade de bâtiment. Un jour que deux gars de l’équipe étaient en train de dégager le sol de la galerie, ils vinrent me chercher tout excités : il y avait du bronze ou du cuivre en grande quantité. Nous vîmes rapidement qu’il s’agissait d’une bande de cartouches et d’emballages de café lyophilisé, abandonnés par je ne sais quel para qui avait à son insu creusé son trou à l’endroit précis de la porte d’entrée du bâtiment romain. Pour vous montrer que je ne suis pas que mythomane je vous joins une photo ! Je profite de cette thématique sur les épaves pour vous narrer des anecdotes arrivées à des anciens collègues dans les années 90. Des amis avaient pour la première fois dans la région l’occasion de fouiller une tombe gauloise de type enclos circulaire. A l’origine un tumulus entouré d’un fossé, arasé depuis longtemps, mais qui pouvait encore contenir des objets en son centre (chambre funéraire) ou dans les fossés comblés. Ils n’ont pas été déçus. En plein milieu de la tombe (diamètre d’environ trente mètres) un squelette, bien conservé, des bottes et un vélo indiscutablement germaniques et militaires. Le hasard n’existe pas. Les 50 000 morts de la bataille sont encore éparpillés un peu partout et cette banalisation amène parfois des confusions hâtives. Un agriculteur excédé avait encore trouvé un allemand dans son labour. Ni une ni deux, il convoque les employés du cimetière militaire de la Cambe pour procéder à la ré inhumation du corps. Comme il est pressé il décide de faire les choses lui même. Il prend sa pelle et amène son boche au cimetière. Celui-ci est inhumé vite fait bien fait. Mais quelque chose chiffonne les gens du cimetière. -« Dites donc, il n’y avait d’objets avec votre corps pour aider à l’identification ? » -« Ben si, je vous les amène ? » C’est ainsi que le cimetière de La Cambe a eu pendant un temps dans son effectif un présumé teuton qui chassait avec des flèches en silex et une hache polie en dolérite. Pour finir, une histoire pas rigolote que j’ai déjà racontée mais qui a sa place ici. En 1992 nous étions deux archéologues et un pelleteur à sonder l’emplacement d’une future autoroute au nord de Falaise. Nous avions découvert un menhir et des indices funéraires gaulois. Soudain des os et du métal apparaissent sous le godet de la machine. On élargit mécaniquement, et on attaque les vestiges à la main. On a très vite compris ce que c’était. Eparpillés sur 5 m2 un fer de pioche, des lames chargeur de cartouches non tirées, des lambeaux de tissus, du cuir de ceinture, un bidon et des esquilles d’os. Un morceau de mâchoire humaine avec quelques dents et une chaussure. Dans la chaussure un pied et un morceau de tibia. On a traité les vestiges très techniquement, avec un maximum de finesse exécutoire. Le conducteur est descendu pour ramasser quelques cartouches. C’était en Juillet il faisait une chaleur orageuse, nous étions en short, les genoux dans la poussière. Quand nous avons eu terminé le nettoyage, on s’est regardé. La loi, on la connaissait : un mort « récent » implique une déclaration à la gendarmerie. Ce qui fut fait. Au téléphone les gendarmes annoncèrent leur venue le lendemain avec un type des cimetières militaires. En partant nous avons recouvert les restes avec de la bâche agricole en plastique. Précaution scientifiquement inutile mais ça avait quelque chose de gênant de « le » laisser à l’air. La nuit qui suivit j’eu du mal à dormir. C’est pas tant le fait de trouver de l’humain qui posait problème que sa contextualisation. Du squelette j’en ai manipulé de la tonne, du païen, du chrétien, toujours découvert ritualisé, mort on ne sait comment mais avec le cursus complet. Les traces du funéraire étaient toujours lisibles. C’est pas que ces morts là ont plus de sens ou ont eu moins de souffrance, c’est juste qu’ils s’inscrivaient dans un processus achevé. Quand le type des cimetières militaires est arrivé on est revenu voir comment il faisait. On a failli le cogner. Avec un sac poubelle 100 litres et une pelle U.S. il a arraché comme un goret tout ce qu’on avait sorti avec respect pour tout balancer dans le sac, matériel et os en vrac. En deux minutes l’affaire était entendue. J’ai appris plus tard en lisant ce qui était arrivé à ce mort. Après la prise de Caen, en Juillet, les Canadiens descendaient vers Falaise pour faire leur jonction avec les Américains. Les troupes au sol avancent vite, en avance sur les plans de Montgomery. Les véhicules soulèvent une épaisse poussière ocre. Des bombardiers arrosent ces hommes en pensant toucher les allemands. Les Canadiens ont 800 morts en quelques minutes. Les cratères sont rebouchés avec les débris après la bataille par les agriculteurs qui veulent en urgence remettre les parcelles de blé en culture. Notre Canadien pulvérisé est resté dans cette grande poubelle. Il y avait dans ses affaires une petite médaille en aluminium. Côté face la vierge, côté pile « ora pro nobis », priez pour nous. Ce jour là, Marie était sourde.
Posted on: Sun, 24 Nov 2013 10:14:20 +0000

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