Pour toi Figaro... Cétait une après-midi de septembre. Un - TopicsExpress



          

Pour toi Figaro... Cétait une après-midi de septembre. Un dimanche. Comme dhabitude, la pluie tombait sur Maroch. Y a t-il autre chose que de la pluie et de la boue en Bretagne? Connaissent-ils le soleil? Je ne pense pas. Je nai jamais vu de région plus déprimante. Mon rêve? Men aller dici et filer vers le Sud. Carpentras : troisième ville la plus ensoleillée de France. Deux cent trente jours de soleil par an. Maroch : vingt-neuf mille dix septième ville la plus (?!) ensoleillée de France. Soixante dix-neuf jours de soleil par an. Quand tout va bien... Parce que là, ça fait deux ans quon ne la plus vu le soleil. Quest-ce que vous choisiriez vous? Mon choix est tout fait. On sennuie le dimanche à Maroch. Le dimanche? Non. Rectification, on sennuie tous les jours à Maroch et particulièrement le dimanche, parce quil y a encore moins à faire quen semaine. En semaine on va au collège. Pas génial mais au moins le temps passe. Lever : 6h15, petit déjeuner, toilette et puis hop, sac à dos bourré à craquer sur lépaule (au moins quinze kilo jen suis sûre), et cest parti pour larrêt du car scolaire devant chez la grand-mère de Pierre, le fils du voisin. Sous la pluie bien sûr, sinon ça naurait aucun charme. Aucune voiture. Rien. Personne. Le vide total. Ah tiens non, sur le côté de la route vers Pistiagon des lapins samusent. Ils ne savent pas ce que cest quune voiture. A se demander pourquoi ils ont construit une route. Sur une année scolaire, aller et retour, si on voit dix voitures cest énorme. Arrêt du car à 7h. La tension est palpable entre Pierre et moi. Si sa grand-mère nétait pas là pour surveiller quil prend bien le car, on se battrait comme des chiffonniers. Il me déteste. Pourquoi je nen sais rien. On sentendait bien avant. On jouait au badminton. On allait lun chez lautre. Et tout à coup, paf, il sest mis à me détester. Peut-être parce que son père voulait des voisins Bretons. Pas de bol, on nest pas Bretons, donc on est infréquentables. Arrivée du car à 7h15. Je monte la première. Comme chaque matin je dis bonjour au chauffeur. Comme chaque matin il ne me répond pas. Je ne suis pas Bretonne. Pierre monte, il lui dit bonjour en rigolant. Jai limpression de monter dans une cage remplie de fauves. Si la place avant est libre, cest génial, je fais le trajet en paix. Sinon, cest la galère pour trouver une place. Pierre a monté tout le monde sur moi, du coup personne ne veut que que je masseye à côté de lui. Le chauffeur démarre avant que je ne sois assise. Pierre menvoie son sac dans les jambes ou me fait un croche-pieds. Jarrive quand même à masseoir pendant que le car fait demi-tour dans un grincement damortisseurs. Et les insultes commencent : Et grosse vache, cest toi qui as cassé les amortisseurs!. Et cest parti pour un tour. Je commence à avoir lhabitude. Je pourrais répondre. Je devrais répondre. Mais voilà : je souffre du syndrôme dAsperger et je suis incapable de répondre. Incapable de parler. Incapable de me défendre. Je voudrais me fâcher mais rien ne sort. Je voudrais hurler Vos gueules! mais je ne peux pas. Le chauffeur lui entend tout mais ne dit rien. Il rigole. La plupart des élèves aussi. Les autres, ceux qui ne trouvent pas ça drôle nosent pas me défendre. Ils ne vont pas risquer de perdre leurs amis pour moi. Ils ne savent pas que je suis autiste. Pour eux je suis la débile qui ne sait pas mexprimer. Arrivée au collège à 8h47. Jenvoie un sms à ma mère pour la rassurer, puis jentre au collège. Cest tous les jours pareil. Personne ne me regarde. Au début jessayais de faire connaissance. Ce nest pas facile de faire connaissance quand on est autiste. On se demande ce quon doit faire, ce quon doit dire et à chaque fois on tombe mal, on dit des choses inappropriées. Alors forcément, on se fait mal voir et rejetter. Et finalement, on me priait jusque sur ma page Facebook de ne pas mincruster. Mincruster. Les autres parviennent à faire connaissance et à se lier à des groupes déjà fait alors que moi, on me reproche de mincruster. Bon et bien tant pis. Jai fini par prendre un livre et masseoir à lécart. Je nai jamais autant lu que depuis que je suis au collège. La journée se passe, tant bien que mal. Ca dépend des jours. Sil y a des évaluations orales, cest lhorreur. Jai tout le monde sur le dos. Les profs me reprochent de ne pas essayer de vaincre ma timidité. Comme si lautisme cétait de la timidité et comme si je pouvais dire autisme : sors de mon corps! Parfois même ils me disent que je fais des caprices. Jai la gorge sèche. Tout mon corps tremble. Mon coeur bat à du cent à lheure. Jai envie de fuir, de disparaître. Je me sens aussi mal que possible. Aucun son ne parvient à sortir de ma bouche, mais certains pensent que je fais des caprices! Les élèves eux me reprochent de faire baisser la moyenne de la classe. Attention! Les parents des élèves du collège de Gourron, ville provinciale inconnue de 4000 habitants, sont persuadés que leurs enfants sont scolarisés dans un établissement côté et une petite autiste comme moi fait descendre la moyenne de la classe. Ca les dérange. Alors ils se plaignent. Je ne peux pas rester dans ce collège. Il faut menvoyer en professionnelle. Je ne peux pas rester en générale. Je dois apprendre à changer les couches des vieux ou à nettoyer chez les gens. Je nai pas le droit de faire des études générales parce que du coup, comme je descendrais le niveau, leurs enfants auront un CV moins reluisant... à cause de moi! Elitisme oblige! Au fil du temps, les profs se font de plus en plus pressants. Entre les cours, à la fin des cours, à la récréation : Va en professionnelle, ce sera plus facile pour toi... Et moi jachève de perdre mes illusions. Je ne vaux rien. Je nai pas ma place au collège. Je nai pas ma place dans cette société. La preuve : je ne peux même pas choisir mes études. Pour que dautres puissent dire Moi je sors dun collège côté, je devrais faire toute ma vie un métier que je naime pas. Faire semblant davoir plus facile. Me lever tous les matins jusquà lâge de la retraite pour faire des choses que je naime pas. Jusquà cette après-midi de septembre où, connaissant ma passion pour les chevaux, ma mère nous a proposé, à mon père et à moi, de nous rendre à la journée portes ouvertes du poney club du de la Vallée à Maroch. Jaime les chevaux. Jai toujours préféré les animaux aux êtres humains. Les animaux ne vous jugent pas. Ils vous donnent de lamour gratuitement. Quand on est arrivé, la pluie sest arrêtée de tomber. Jai visité les écuries. Jai vu les chevaux. Il y en avait de toutes les sortes, de toutes les couleurs, de toutes les tailles. Pendant une demi-heure, jai regardé les élèves du poney club sentraîner, des visiteurs faire des essais. Et puis, finalement, je me suis lancée. Jai réussi à dire Oui quand la monitrice (japprendrai plus tard quelle sappelle Nathalie) ma proposé de faire un essai. Elle ma demandé si javais déjà monté. Je lui ai répondu que non. Jétais stressée. Je rêvais dapprendre à monter, mais je savais que javais le vertige et aussi que japprends plus difficilement que les autres. Jai des difficultés avec labstrait et le premier degré, donc pour moi les consignes cest souvent du Chinois. Cest pour ça que jai hésité. Mais pas longtemps. Cétait un rêve trop ancien pour que je passe à côté. Nathalie ma dit quon allait prendre Figaro. Cétait le plus vieux cheval du poney club et il était le meilleur pour les débutants car il était très doux et obéissant. Je suis montée sur lui, pas très à laise, mais Nathalie est une bonne monitrice et Figaro un cheval merveilleux. Lessai a été magnifique. Je suis montée sur un ange. Je lai aimé dès le premier jour. Mon Figaro. Je ne sais pas montrer mes sentiments, mais je lui ai envoyé tellement de pensées damour quil na pas pu faire autrement que le sentir. Je navais plus envie de descendre. Je voulais rester avec lui. Rien quavec lui. Oublier cette méchanceté tout autour de moi. Rester sur son dos et faire le tour de la terre. Pour la première fois de ma vie, je parvenais à déconnecter, à ne plus me laisser envahir par toutes ces pensées, à avoir lesprit libre, vide, serein... Mais toutes les bonnes choses ont une fin, et lessai aussi. Mes parents mont inscrite au poney club, mais je nai pu commencer que le mois suivant car je suis tombée malade. A chaque rentrée des classes je tombe malade pour 15 jours. A chaque fois une angine. Je ny ai jamais coupé. On ne pouvait pas choisir notre cheval, mais la plupart du temps javais Figaro pour ma leçon. Jai lu sur le site du poney-club que cétait un poney Highland. Jattendais le dimanche avec impatience. Je supportais les méchancetés des élèves et lincompréhension des profs parce que je savais quà la fin de la semaine, lamour de Figaro me consolerait. Et quand il arrivait que je navais pas Figaro, jétais vraiment malheureuse. La tristesse me poursuivait tout au long de la semaine suivante. Je ne vivais que pour le voir, pour monter sur lui et on me donnait un autre cheval. Ca me faisait mal. Ca me rendait malheureuse. Limite même furieuse. Comment Véronique ne comprenait-elle pas à quel point javais besoin de Figaro? Il me donnait la force de continuer. Mon rêve était de le racheter et de lemmener dans le Sud, parce quil était allergique à un moucheron en Bretagne qui lui donnait la gratte. Et ça lobligeait à porter une couverture anti mouches. Le pauvre. Je ne suis pas très habile de mes mains. Javais très difficile à mettre le licol et la selle. Et ne parlons pas du mors. Je faisais mon possible, mais jétais toujours obligée de demander de laide. Et je voyais bien que ça embêtait certains élèves. Les autres avançaient plus vite que moi. Ils arrivaient sans problème à seller leur cheval. Ils comprenaient directement les consignes de Nathalie. Moi pas. Les consignes étaient trop floues, trop abstraites. Il fallait me montrer en vrai ou sur un dessin. Combien de fois Nathalie na pas imaginé que jétais paresseuse, que je ne faisais pas defforts, limite même que jétais capricieuse parce que je narrivais pas à avancer au même rythme que les autres. Des élèves arrivés après moi me dépassaient. Et moi je restais toujours dans le groupe des débutants, même parmi les débutants. Pourtant je me donnais à fond. Jai fait un stage pendant les congés de Toussaint pour essayer de maméliorer, mais mes progrès nont pas été fulgurants. Et puis, un jour où je ne montais pas Figaro, je suis tombée. Le cheval a eu peur dun tracteur et il ma jeté à terre. Je ne lavais pas vu venir et je nai pas su me retenir. Je me suis fait super mal au dos. Pourtant jai fait semblant de rien et je me suis relevée. Je suis remontée à cheval, mais finalement jai du arrêter car javais trop mal. Jai été à lhôpital. Ils mont dit que ce nétait pas grave. Un muscle froissé. Mais ça risquait de durer assez longtemps. Effectivement ça a duré longtemps. Jai raté plusieurs séances et puis je suis retournée malgré mon mal. Javais besoin de voir Figaro. Il me manquait trop. Alors je remontais, mais mal. Mal parce que javais mal, mais aussi parce que javais peur après ma chute. Je ne me sentais pas à laise. Jétais quand même heureuse parce que javais reçu des bonnes nouvelles. Véronique a discuté avec mes parents et elle leur a dit quelle mettrait sans doute Figaro en vente lannée prochaine. Elle leur a expliqué que javais encore beaucoup de choses à apprendre, par exemple à devenir plus ferme pour que mon cheval ne me domine pas. Elle leur a aussi dit quelle serait daccord pour me prendre en stage si je faisais mon Bac élevage de chevaux, à condition que je travaille à fond. Cétaient les deux plus belles nouvelles de lannée. Et jy ai vraiment cru. Un peu après, au collège : coup de massue sur ma tête! Un garçon me dit que la soeur de son ami allait raconter partout que je maltraitais les chevaux. En fait, la fille en question, Anaïs, était dans mon groupe au poney club. Cest une fille qui aime bien parader, se montrer, se faire entendre, jouer les chefs. Elle est excellente en équitation et elle veut que ça se sache. Elle pense aussi que ça lui donne le droit de dominer et de critiquer les autres. Et elle aime parler pour ne rien dire. De toute la leçon, on nentend quelle. Elle parle sans arrêt. Mais ce que je ne savais pas, cest quelle parlait sur moi. Je ne comprends pas parce quil ne sest jamais rien passé entre nous. On na jamais eu de dispute, ni même de problème. Pourtant, jai bien du me rendre à lévidence. Elle avait raconté à son frère, pendant mon absence du poney club, que je maltraitais les chevaux. Et son frère lavait raconté à un ami, qui lui lavait répété au collège. Résultat : on me détestait encore plus! Mon père a été demander des explications à sa mère qui les a fait venir tous les deux : Anaïs et son frère. Anaïs a reproché à son frère davoir été raconter au collège ce quelle lui avait dit. Mais elle na rien pu faire dautre quavouer quelle avait bien dit ça. En fait, elle ma accusé de maltraiter les chevaux comme ça, pour rien. Parce quelle estimait que je ne me débrouillais pas assez bien pour mettre la selle, le licol, le mors et que je ne faisais pas assez de progrès en équitation. Pour elle, comme je ne venais quune fois par semaine, je ne pouvais pas progresser. Mais en quoi ça la regardait? Que savait-elle de ma vie? Mon père ne pouvait pas me conduire deux fois par semaine au poney club parce quil travaillait tout le temps. Et le seul jour où il pouvait me conduire cétait le dimanche. Et je ne savais pas y aller à pieds. Jai essayé un jour, mais cétait vraiment trop loin. A partir de ce moment là, lambiance a vraiment changé. Tout le monde a été différent avec moi. Je ne me sentais plus du tout à laise. Les élèves ne me parlaient plus ou presque plus. Jarrivais, jallais chercher Figaro, je le brossais, je le sellais et puis voilà. Comme si je ne faisais plus partie du groupe. Ca ma fait mal parce que je pensais vraiment avoir trouvé un endroit où javais ma place. Je navais plus envie de continuer à monter à cheval. Du moins plus comme ça au poney club. Javais seulement envie de racheter Figaro et de le ramener chez moi, et ensuite de lemmener dans le Sud pour quil guérisse de la gratte et quil passe la plus belle retraite quun cheval ait jamais passé. Et puis, nouvelle déception pendant les grandes vacances. Mes parents mavaient offert un stage déthologie. Mais je venais de me faire soigner une carie et javais eu un abcès. Et par malheur, le dentiste était parti en vacances et aucun autre dentiste ne voulait passer au-dessus dun collègue. Il a fallu que mon père insiste vraiment pour quun dentiste accepte de me prendre. Mais en attendant, jai raté deux jours de stage. Donc, malgré mon problème de communication, je téléphone à Véronique, par politesse, pour la prévenir que je ne viendrai pas et quelle ne doit pas préparer de cheval. Sa réponse ma terriblement choquée : Bon, mais tu ne seras pas remboursée hein! Zut alors! Je ne pensais pas du tout à largent ni à être remboursée. Je pensais quelle me dirait quelque chose de gentil comme Soigne toi bien! ou Jespère que tu nauras vite plus mal! Mais non. Elle ne pensait quà largent alors quelle ne mavait même jamais laissé récupérer mes heures de cours manquées, malgré que je laie chaque fois prévenue avant. Quelle déception! Et enfin, déception finale : japprends par une fille qui connaît Anaïs quelle aurait raconté que Véronique avait dit que jamais elle ne me vendrait Figaro. Affreusement triste, je contacte Véronique sur sa page Facebook. Jespérais que Anaïs mente une fois de plus. Mais non, cétait bien vrai. Véronique ne ma pas dit explicitement quelle ne voulait plus me vendre Figaro, mais elle a prétendu quil irait en retraite chez une amie à elle, avec interdiction totale de le monter. Alors quil est toujours parfaitement montable. Jai expliqué à Véronique que jétais autiste Asperger pour quelle comprenne mes problèmes de communication, mes difficultés, le fait que je sois plus lente que les autres, et puis jai changé mon compte Facebook. Je ne veux plus jamais avoir de contact avec eux. Je ne comprends pas lhypocrisie. Ca me fait bien trop de mal. Figaro, pour toi jai fais des efforts surhumains pour sortir de ma bulle. Tu avais réussi à faire de moi une autre fille. Tu mas fait connaître des instants de bonheur que je noublierai jamais. Je voulais devenir écrivain pour gagner de quoi te racheter et déménager dans le Sud pour te débarrasser de ta gratte et te gâter, te faire passer une merveilleuse retraite. Pour toi je voulais passer mon Bac élevage de chevaux. Tu aurais été la mascotte de mon élevage. Je ne te reverrai sans doute plus jamais, mais en moi je hurle mon amour pour toi. Figaro, je taime comme jamais un cheval na été aimé. Tu me manques. Je ne toublierai jamais. La méchanceté humaine nous a séparé mais tu seras toujours dans mon coeur. Adieu Figaro.
Posted on: Tue, 03 Dec 2013 15:33:18 +0000

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