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REPORTAGE. De Yaoundé à Paris, le périple dun clandestin Eliott veut quitter le Cameroun pour la France. Sans argent et aux mépris des risques, il est prêt à tout. Récit de ce voyage à haut risque dun an et demi. La misère, ma mère malade, besoin dargent et pas demploi, jai voulu tenter ma chance. Au matin du 25 janvier 2012, Eliott (*), jeune Camerounais de 25 ans, décide de fuir son pays natal. À Yaoundé, capitale politique du Cameroun, où il vit avec une partie de sa famille, lemploi se fait rare et la pauvreté est reine. Dernier dune famille de huit enfants, largent manque cruellement. Le besoin dune vie meilleure pour lui et ses proches lui donne la force de tout quitter. Un matin je me suis levé, javais un peu dargent et je suis parti, sans dire au revoir à personne. Jai pris une carte, jai cherché la Méditerranée et jai vu lItalie et la France. Jai choisi un chemin sans trop de frontières à traverser et jai décidé datteindre la Libye. Cétait juste un passage, je voulais aller en Europe. Le jeune homme contacte des passeurs qui lemmènent jusquau Tchad. Arrivé à Abéché, 2e grande ville du pays, il na plus dargent et doit travailler. Faire le ménage, vidanger les toilettes, travailler dans la maçonnerie. Après deux mois de petits boulots, il économise assez pour financer son voyage et envoyer une partie de son maigre butin à sa famille restée au Cameroun. Eliott, guidé par lespoir, part, direction la Libye. Le jeune Camerounais arrive à Mourzouk, au sud-ouest du pays, et sy installe. Il enchaîne les petits boulots sur les chantiers et parvient à ouvrir, au bout de quelques mois, son propre salon de coiffure. LEurope, la promesse dune vie paisible Le 25 décembre 2012, sa route croise celle de journalistes français qui réalisent un documentaire sur limmigration clandestine. Ils proposent à Eliott daller en France et de le suivre dans son périple. Le Camerounais rêve de lEurope et de son confort, dautres avant lui lont fait, il le sait. Son désir de cesser cette vie de combat et de misère au quotidien le pousse à accepter cette offre, persuadé que cette compagnie peut laider dans son périple. LEurope, pour moi, cétait la promesse dune vie paisible. Animé par cette illusion du mythe européen, il décide de se jeter dans linconnu le 26 décembre 2012. Sa première destination est Tripoli à 1 200 kilomètres de Mourzouck. Commence alors la traversée du désert libyen. Un périple éprouvant de 7 jours organisé par des passeurs. Les migrants sont une vingtaine, cachés à larrière dun pick-up, sous des bâches pour ressembler à des vivres frais et éviter de se faire repérer. Les passeurs sont des rebelles en recherche de revenus et ces clandestins constituent de la marchandise plutôt fructueuse. Aux abords de Tripoli, il reste 50 kilomètres quil faut parcourir à pied. Armés de mitraillettes, les passeurs encerclent les immigrés et les encadrent comme du bétail en pleine transhumance, sous les coups de bâtons et les insultes. Une marche qui dure 5 jours, avec des rations alimentaires et en eau limitées. Deux clandestins, déjà affaiblis, meurent pendant le trajet. Les survivants portent les dépouilles de leurs camarades dinfortune et abandonnent leurs corps à lentrée de Tripoli. Arrivé à la capitale libyenne, Eliott retrouve les journalistes français. Après une nuit à Tripoli, un passeur les conduit à Zouara, ville côtière dirigée par des Berbères, ennemis du camp de Khadafi, qui réclament leur indépendance. Cest dans cette ville de pêcheurs que sorganise le réseau de passeurs de la région pour la traversée de la Méditerranée jusquaux côtes italiennes. En cette fin décembre, lhiver fait rage et les traversées en bateau sont périlleuses. Les journalistes préfèrent attendre lété et conseillent au jeune Camerounais den faire autant. La veille, 189 corps sans vie échouent sur la plage Début juin, les journalistes contactent Eliott et annoncent leur retour pour envisager, ensemble, la traversée de la Méditerranée. Pendant ces quelques mois dattente, le jeune clandestin a vendu son salon de coiffure, travaillé sur des chantiers de construction et économisé pour financer le périple qui sélève à 1 000 dinars (environ 600 euros). Quelques mésaventures ont fini de le convaincre définitivement de quitter ce continent - à ses yeux, maudit - pour rejoindre lEldorado européen : un employeur qui refuse de le payer après plusieurs semaines de labeur, un incendie qui ravage le petit entrepôt qui lui servait de couche et autres manipulations et arnaques en tout genre. Eliott trouve un passeur qui accepte les journalistes et leurs caméras. Ce dernier savère plutôt fiable et attend une météo favorable pour la traversée. Certains passeurs, sans scrupules, ne tiennent pas compte des conditions météorologiques. La veille du départ, 189 corps sans vie échouent sur la plage, conséquence du naufrage dun bateau pris en pleine tempête, parti deux jours plus tôt. Des enfants, des vieillards, des femmes enceintes... personne nest épargné. Face à la brutalité de ces cadavres, des doutes sinstallent. Le jeune Camerounais a peur, mais il na plus le choix. Le point de non-retour de sa logique est atteint, et tout ce quil possède est engagé dans cette traversée. Il na plus rien, à part cet horizon. Le jeune homme saccroche aux souvenirs de sa famille et au soutien financier nécessaire à leur survie. Plus que sa vie, cest son honneur quil doit sauver. Eliott veut croire à cette nouvelle vie, quel quen soit le prix définitif à payer. Quand on na plus rien et quon a déjà tout perdu, on se dit quà part la mort ce quil y a au bout du chemin ne peut être que mieux. 300 clandestins embarquent sur le bateau de pêche Le 6 juin 2013, cest le jour J. Un jour gravé en moi, où lespoir est plus fort que la peur de mourir. En pleine nuit, il faut courir dans le désert pour rejoindre la plage, sous les coups de bâtons et de crosses de mitraillettes des passeurs. À 3 heures du matin, les migrants sentassent sur un Zodiac qui les amène vers lembarcation restée au large, à 1 kilomètre. Aucun bagage nest autorisé, ni papiers, ni bijoux. Au total, 300 passagers embarquent sur le bateau de pêche, acheté et retapé par les passeurs. Arrivés à bord, deux personnes désignées doffice sont formées, en quelques minutes, à la navigation de lembarcation de fortune. Après avoir laissé deux bidons dessence, un GPS jetable dune durée de vie de 12 heures, un téléphone satellitaire, les passeurs rebroussent chemin. Une centaine de personnes sentassent dans les cales, deux cents samassent sur le pont. Les passagers doivent rester assis tout au long de la traversée, si certains se lèvent, le bateau peut chavirer. Au bout de quelques heures à voguer sur la mer, les jambes sengourdissent, le sang circule mal et certains ne peuvent réfréner leur envie de se lever. Un des passagers sort alors un couteau et menace ceux qui veulent se mouvoir. Une nécessité pour ne pas risquer de basculer et couler. À laube, le soleil tape déjà très dur, la soif se fait sentir, les enfants pleurent et certains sont malades. Pas deau, pas de nourriture, les gens vomissent partout. Cétait terrifiant. Une femme enceinte de huit mois était allongée en pleurs, au bord du malaise. Et on ne pouvait rien faire. Le calvaire prend fin au bout de 15 heures, au lieu des 30 annoncées par les passeurs. Au loin, Eliott aperçoit la terre, les côtes italiennes, et son coeur se serre. LEurope, enfin, jy suis. Repérés par un hélicoptère de la marine italienne, les gardes-côtes viennent à leur rencontre et distribuent des gilets de sauvetage. On estime quun bateau de clandestins sur deux arrive au large de lItalie, certains font naufrage, dautres se perdent et dérivent dans la Méditerranée.
Posted on: Mon, 25 Nov 2013 09:20:45 +0000

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