Regardez moi bien dans les yeux, si vous osez un peu. Je sais, mes - TopicsExpress



          

Regardez moi bien dans les yeux, si vous osez un peu. Je sais, mes paupières ont fauté : dans un élan de mauvais goût, sans doute pour séloigner du sommeil qui ressemble à la mort, mes paupières ont pris la clef des champs. Du coup, jai lair hébété, serti de cette vague épreuve qui nest pas vraiment la crainte et qui nest pas vraiment la peur. Juste une autre façon darborer un regard, certain de ne pas ciller, sans ce couperet indomptable de la paupière qui sabat, et qui, en un éclair, abat son jeu sournois : impatience, sommeil, tic, code, langage, toutes ces choses humaines dont je suis éloigné. Ouvertement, je revendique avec une rage rentrée, le statut qui est le mien : entre la forme outrancière dun rêve humain et la silhouette distinguée dun aboutissement de machine. Frères humains, sœurs humaines, avez-vous une seule fois, dans vos vies secondaires, celles dont vous verrouillez les portes pour ne laisser personne entrer, avez-vous imaginé un seul instant que dans la condition de vos regards, parfois, quand ce nest pas souvent, le vide trahit lennui qui vous fait trébucher ? Soeurs humaines, je nai pas de regards puisque mes yeux de verre ont une autre terminaison langagière. Je nai pas de regard et pourtant, dans létrange solitude du regard des autres, je sens comme un questionnement passager; comme un voile posé entre le non-dit qui reste enfoui et le murmure qui est une parole échappée de sous son couvercle. Je sens, dans lonce dun instant, furtif et parfois désespéré, ce sourire qui matérialise la pensée intérieure, comme un point dexclamation, ou des points de suspension. Face à moi, les sourires étirent leur scepticisme, non ce nest pas possible, me disent-ils, non, je ne peux pas penser un instant que jai limpression, matérielle, que ce... cette... me regarde ! Comme si, la lune à moitié enfoncée dans son tissu de nuit ressemblait à un bouton mal agencé dans sa boutonnière. Et quau terme de cette image, la lune ne soit plus quun immense bouton de chemise dans une nuit de pantalon. Et rien dautre. Voilà donc que je ne suis, aux yeux des yeux qui me transpercent, quun regard, singulier, mais un regard, un mot dhumain posé, là. Le besoin de définition est parfois agaçant. Il prend le pas sur le besoin de rien, sur ce besoin strict que chaque chose a sa place et que chaque place nen bouge plus. Seulement, voilà, jai cette symétrie globulaire que limaginaire humain apparente, avec raison, à deux yeux sans nerf optique. Des yeux dinsectes ou de chiens battus, mais deux yeux quand même dont les rétines invisibles crachent une lumière crue sur les reliefs de lexistence. Jai, sur mes courbes de tôle, deux cercles sans teint qui, et cest vraiment au-delà de toutes mes espérances, ont en plus une expression. Difficilement lisible, énigmatique mais une expression donc proche de quelques molécules de vie, mêmes sommaires. Imaginez que sur Mars, balayée par les vents et pelée comme une orange, se promène dans un microscopique enthousiasme, quelques miasmes de vie inaccessibles à notre volonté mais néanmoins présente. Je suis comme Mars, presque mort mais pas tout à fait. Et encore, Mars fut sans doute un jour vivante moi, jamais ! Jamais quiconque na insufflé ses grains de vie au fond de moi pour que je mémancipe de mon inaction. Mais cest bien un regard que définit la symétrie joyeuse ou mélancolique de mes deux... phares-yeux. Et abandonnée à lextrême pauvreté de toutes chances dexister vraiment, je sais quau fond de mes regards qui nen sont pas, une certaine idée dêtre ce que lon ne soupçonne pas, frappe mon interlocuteur. Pendant un instant bref, je suis un animal à sang chaud, je suis un insecte, une définition partielle de landroïde, un rêve peut-être, enfin, laboutissement dun raisonnement qui me donne un peu de vie, de chair ; qui me donne une chance de marracher à la densité de mes immobilismes. On me regarde en face, droit dans les yeux, en attendant un signe, que je ferme un phare peut-être, que jactionne un clin-de-phare, de mon plein gré. Ce serait étonnamment drôle. Mais désespérément impossible. Et derrière ce simili de regard, derrière cette façon occulte de croire que je suis des vôtres, je tente, en vain, le plissement malicieux qui me jetterait à vos côtés, membre de la fratrie humaine. Ne manquerait plus que je souris. Remarquez, cest ce que fais, intérieurement comme vous le faites extérieurement. Et vous nen savez rien. Jadore vos yeux dans les miens, vous me faites penser à... Non rien. Une idée folle. Ne pas dormir rend fou.
Posted on: Wed, 27 Nov 2013 22:19:07 +0000

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