Syrie: une approche capétienne Mardi 24 Septembre 2013 - TopicsExpress



          

Syrie: une approche capétienne Mardi 24 Septembre 2013 Politique étrangère Par Bruno Castanier Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, les Etats-Unis, ont mené un nombre impressionnant de « croisades », auxquelles la France s’est, dans la plupart des cas, étroitement associée. La Syrie n’est finalement que la dernière en date, et peut-être la dernière tout court. Beaucoup de conflits, beaucoup d’interventions militaires, de soldats blessés ou tués, de populations qui souffrent, avec des intérêts qui ne sont pas toujours très clairs…quel est le sens de tout cela ? Fallait-il toujours suivre les Américains ? Ces interventions armées étaient-elles bien légitimes, et donc était-il moralement acceptable de suivre notre allié dans ses campagnes ? Il est vrai que la plupart ont été déclenchées sous de faux prétextes, ou de vrais prétextes arrangés : terrorisme, armes de destruction massive, épurations ethniques, famine… Nous avons même été témoins de preuves fabriquées de toutes pièces, avec la complicité des médias, comme les soi-disant camps de concentration serbes des années 90. En Syrie, rien ne prouve que ce soit les gouvernementaux qui aient utilisé des armes chimiques, et les Russes affirment avec force que ce sont des provocations de la rébellion afin de déclencher des frappes américaines. Cependant, ici comme ailleurs, même s’il est avéré que, pour manipuler l’opinion, les raisons officielles sont souvent fausses, il faut prendre garde de ne pas nous y arrêter, car la légitimité de la guerre ne dépend pas que de cela. Rappelons-nous que les Américains ont laissé les Japonais attaquer Pearl Harbour pour décider le peuple américain à accepter la guerre. C’était un mensonge, mais est-ce que leur entrée en guerre est devenue ipso facto illégitime ? Que serait en effet aujourd’hui le monde si les Etats-Unis étaient restés confinés dans leur isolationnisme ? Ainsi, derrière ces manipulations d’opinion, il y a les vrais questions stratégiques, et c’est cela qui est important, car c’est à cette aune, et non pas aux prétextes qui les ont déclenchées, que se mesure la légitimité des conflits. Alors, ayons une attitude équilibrée : si nous avons l’intelligence de ne pas nous laisser abuser, ne tombons pas a contrario dans l’excès inverse, cette indignation théâtrale qui obscurcit le jugement. Il y a pourtant des courants de fond, des lignes stratégiques qui expliquent les événements. L’histoire en fournit de nombreux exemples : la volonté française de rompre l’encerclement du Saint Empire et de revenir dans ses frontières naturelles ; celle des Anglais de s’assurer un débouché continental dans les Flandres et de maîtriser les mers ; ou encore celle de l’empire allemand de conquérir son « Lebens Raum » (espace vital). La politique des Etats-Unis contre la Syrie s’inscrit elle aussi dans une perspective globale, la logique du « containment ». Tout le monde sait bien que, pendant la guerre froide, les Etats-Unis ont cherché à conten ir l’Union soviétique dans son empire, et celle-ci à rompre l’encerclement. C’est une des causes probables de la première guerre d’Afghanistan : les Soviétiques ayant installé un régime communiste, les Américains ont soutenu la rébellion des Talibans, qui a déclenché l’intervention russe en 1979. On aurait pu penser que la fin de l’Union soviétique aurait mis un terme à cet affrontement. En fait, les Etats-Unis ont profité de la faiblesse russe pour grignoter son empire. Depuis 1990, la Yougoslavie s’est disloquée, l’Allemagne communiste a été absorbée par sa sœur fédérale, de nombreux pays de l’est ont rejoint l’UE ou l’OTAN, notamment la Pologne, qui se trouve à la porte même de la Russie. Hors d’Europe, les Américains ont cherché à déstabiliser les Russes en Asie centrale en excitant la rébellion tchétchène en 1991, et en tentant en 2001 d’installer en Afghanistan un régime qui leur soit favorable, déclenchant ainsi la guerre que nous connaissons. Le Caucase a lui aussi été fortement ébranlé avec les événements de Géorgie de 2008, tandis que l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont toujours en conflit ouvert. Cela faisait d’ailleurs bien longtemps que les américains voulaient s’en prendre au régime syrien. Pendant la guerre d’Irak, on en parlait déjà. Leur volonté de frapper la Syrie, sous prétexte d’armes chimiques, n’est donc pas très surprenante. Selon cette grille de lecture, la plupart des conflits énumérés plus haut sont causés, entre autre, par l’affrontement entre Américains et Russes, les premiers profitant de la faiblesse des seconds pour leur prendre des pions dans ce vaste jeu d’échec, les seconds réagissant comme ils peuvent. L’intervention en Somalie avait sans doute de nombreuses causes, comme le pétrole par exemple, à tel point que le nom de l’opération, « Restore Hope » (rendre l’espoir), était ironiquement appelée sur place « Restore Oil » (trouver du pétrole). Mais la Somalie, c’est la corne de l’Afrique qui permet le contrôle de la Mer Rouge et du Golfe d’Aden, et c’est un ancien régime allié…des Soviétiques. Le soutien inconditionnel des Américains envers les Bosniaques musulmans et les Albanais du Kosovo avait clairement pour but de couper les ailes de la Serbie, également sous l’influence historique de la Russie. Et on peut aussi remarquer que presque toutes les dictatures arabes , autrefois alliées des Soviétiques, sont tombées : Tunisie, Libye, Egypte, Irak. A ce tableau de chasse, il manquait la Syrie, qui est sur la sellette, et l’Algérie, où la rébellion islamiste devrait, logiquement, se rallumer. Alors que, au contraire, les monarchies arabes, non seulement celles du Golfe mais aussi la Jordanie et le Maroc, qui n’ont jamais été alliées des Soviétiques, ont été peu ou pas inquiétées. L’attitude française au cours de la guerre d’Irak est assez symptomatique de cet affrontement russo-américain. La France et l’Allemagne sont les deux seuls pays européens à ne pas avoir suivi les Etats-Unis et s’être ainsi alignés sur les Russes. C’est assez étonnant, pour la France en tous cas, celle-ci ayant toujours marché avec les Américains. Or, la France, l’Allemagne et la Russie ont été les principaux pourvoyeurs d’armes de l’Irak par le passé. Et tout le monde sait bien que ces ventes d’armes ont longtemps financé les partis politiques, et notamment le RPR, par le système des rétro commissions. On peut donc se demander si, au moment de l’attaque américaine vers Bagdad, les archives du parti Baas ne sont pas parties chez un ami fidèle, en l’occurrence Moscou, qui les aurait utilisées pour exercer une sorte de chantage. Comprenons nou s bien, cette pression américaine contre les Russes n’est pas nécessairement la seule cause. C’est seulement un fil rouge, une ligne stratégique des Etats-Unis qui explique beaucoup de chose mais ne résout pas tout. Il y a d’autres raisons de fond, l’accès aux ressources énergétiques, la lutte contre le trafic de drogue, la sécurité des lignes de communications, autant d’enjeux stratégiques relevant de l’intérêt vital des nationaux capables de provoquer des guerres. Il y a, en particulier au Moyen-Orient, la question d’Israël et de sa survie, le risque iranien, le problème des armes nucléaires, le terrorisme, mais aussi les pipe-lines, le financement de l’islamisme par les monarchies pétrolières, autant de raisons susceptibles de provoquer des guerres. La géostratégie obéit à des rapports de forces tournant parfois à l’affrontement, pour des raisons liées à la sécurité des nations, à leur accès aux marchés et aux ressources rares, à la protection des voies de communication, mais aussi à des antagonismes ancestraux entre groupes humains, à des exacerbations religieuses, le tout soigneuse ment excité par des intérêts financiers. Il faut donc être modeste et ne pas radicaliser une explication au point d’occulter toutes les autres. Il faut surtout éviter de tomber trop vite et trop radicalement dans des schémas complotistes : les intérêts mercantiles des « lobbies» américains, les visées mondialistes de la finance internationale, ou encore les conflits de diversion pour dégonfler les scandales politiques. Tout cela est bien vrai, mais la portée n’est pas nécessairement celle que l’on croit. On aime bien, en France en particulier, rechercher des causes occultes aux choses. Le succès des romans à la Dan Brown, le montre bien : d’après cette littérature à sensation, l’Eglise nous aurait caché des choses dont la révélation bouleverserait le monde ! Cela nous fait bien rire, mais, quand on entend les théories trivialement anti-américaines, ne s’agit-il pas du même registre ? La géostratégie est complexe et nul ne peut l’appréhender dans sa totalité. Comment dès lors savoir si une guerre est légitime si nous n’en connaissons pas les causes ? C’est là qu’il faut être pragmatique, avoir un esprit « capétien » en se posant la seule questio n qui compte vraiment : où est l’intérêt de notre pays ? Prenons un exemple. En décembre 1992, les Américains et leurs alliés débarquent à Mogadiscio. L’année suivant, la zone française, le long de la frontière éthiopienne a été pacifiée, et, sauf de façon sporadique, nos troupes ont évité le chaudron de Mogadiscio, ou sévissaient les Américains. Sévissaient ? Oui, car, contrairement ce qui était annoncé, ceux-ci ne cherchaient en aucune manière à pacifier la Somalie, mais au contraire à y mettre le feu, pour, selon une thèse assez consensuelle, installer un homme à eux, Aïdid, pourtant désigné comme l’homme à abattre. C’était une espèce de jeu à plusieurs bandes qui a fini par se retourner contre eux. Ceux qui ont vu le film « La chute du faucon noir » visualisent assez bien les combats de 1993. Que faisaient donc les Français dans cette galère ? Il se trouve que les officiers français à l’Etat-major de l’ONU avaient une consigne: remonter toute information sur les actions américaines dans le nord de la Somalie, c’est-à-dire à la frontière de Djibouti, afin de prévenir une déstabilisation de cette région où la France était fortement implantée. L’explication est peut-être très partielle, mais elle permet d’entrevoir quelque chose d’important : il vaut mieux parfois accompagner les Américains, même timidement, afin de préserver nos intérêts, voire de limiter les débordements, que de refuser de les suivre et ne rien maîtriser. Voilà une clef de la légitimité d’une participation militaire, une clef pragmatiq ue, qui regarde les intérêts français, et, plus largement, ceux de ceux qui nous ont fait confiance. D’une manière générale, la prudence capétienne exigerait ainsi de donner aux Etats-Unis un soutien conditionnel, réservé. Peut-on imaginer conserver notre position stratégique dans le monde, avec nos possessions outre-mer, notre domaine maritime, le second plus vaste du monde, notre présence en Afrique, nos accès aux ressources rares comme le pétrole, l’uranium, les métaux, notre accès à l’espace ! Il faut être pragmatique, une alliance américaine suppose des concessions, notamment, bien entendu, la participation, ou au minimum la caution des interventions militaires américaines, que nous accompagnons dans la mesure du possible afin d’en maîtriser les effets. C’est logique. D’ailleurs, depuis la fin de l’Union soviétique, la politique française a toujours été la même, quels que soient les présidents en exercice. C’est bien la preuve qu’il y a un pragmatisme géopolitique auquel il est difficile, voire impossible, d’échapper. Ce qui est étonnant, dans cette affaire, n’est pas que les Français aient envisagé de suivre les Américains ; cela s’inscrivait finalement dans une sorte de continuité. Mais c’est le côté va-t-en-guerre de notre président et d’une large part de la classe politique et médiatique, qui sont dérangeants. Même le très respectable « Le Monde » a tenu dans ces colonnes des propos bellicistes. Il est étrange également de constater que M.Sarkozy, en 2011, avait eu la même attitude pour la Libye. De plus, M. Hollande, en déclarant qu’il fallait attendre le vote du congrès pour attaquer, a fait une extraordinaire faute de communication et est devenu dans l’opinion publique, et dan s celle de nombreux Etats, le valet des Américains. C’est tellement énorme qu’on se demande si ses conseillers ne l’ont pas fait exprès pour le perdre, à mois qu’ils soient eux aussi, comme le Quai d’Orsay, complètement « à l’Ouest ». Tout cela n’est pas très « capétien », mais dénote plus probablement l’amateurisme de nos Présidents, arrivés au pouvoir par accident politique, influencés par les certitudes arrogantes et rigides de technocrates, et, probablement, englués dans quelques clientélismes financiers peu avouables. Cela veut-il dire que nous devrions intervenir à chaque fois ? Non, certainement pas. D’autant que la donne a changé. En effet, face à la Russie, la pression américaine trouve aujourd’hui ses limites. Déjà, en 2008, l’affaire d’Ossétie et d’Abkhazie avait provoqué une réaction violente des Russes en Géorgie, mais il est vrai que c’était sur leur frontière et que les Américains ne se sont pas directement engagés. Les événements de Syrie marquent sans doute un vrai tournant. Pour la première fois, en empêchant les frappes, les Russes sont en mesure de s’opposer à la politique américaine. Ils l’ont fait diplomatiquement en proposant de contrôler le démantèlement des armes chimiques, mais également militairement. Le déploiement impressionnant de la flotte russe en Méditerranée orientale est un avertissement que les Etats-Unis sont obligés de prendre en compte. Il est vrai que la Syrie reste le dernier bastion de la Russie dans la région et Tartous le dernier port militaire ouvert à sa marine. En Syrie, nous avions une carte à jouer. Nous pouvions être les médiateurs par notre alliance avec les Américains, notre amitié traditionnelle avec les Russes et les liens tissés historiquement avec la Syrie et le Liban. Si le régime de Bashar al Assad est une dictature, il reste un facteur de stabilité pour le pays et pour le Moyen-Orient. La chute de son régime ouvrirait la porte aux islamistes, avec les conséquences que l’on imagine. Leur victoire constituerait une progression de l’Islam radical. Elle risquerait de propager le conflit à tout le Moyen-Orient, en Turquie, et jusqu’aux portes de la Russie. Enfin, et peut-être surtout, les Chrétiens de Syrie souffriront en premier de la chute de Bashar al Assad, comme cela a été le cas en Irak et en Égypte. Et cela, tout Français qui se respecte ne peut pas l’accepter. La France avait l’occasion de jouer un véritable rôle de contrepoids dans ce conflit. L’Alliance Royale se veut d’inspiration capétienne, et la politique capétienne a toujours été pragmatique. Ils ont construit pierre à pierre un Etat, ils ont combattu les grands féodaux et les rois d’Angleterre qui voulaient le disloquer, puis ils ont reconquis l’espace naturel de notre pays, jusqu’au Alpes, au Rhin et aux Pyrénées. Ils n’ont pas hésité à faire alliance avec les Turcs pour desserrer l’étau impérial. Ils ne se sont jamais lancé dans de grandes aventures insensés, ou de façon très épisodiques ; même les guerres d’Italie, derrière leur aspect vaguement impérial, s’inscrivait dans une stratégie de désencerclement. Hugues Capet était appelé avec mépris le « Gaulois » car il n’était pas un Carolingien, et n’avait aucun visée impériale. Il a commencé par s’occuper de son domaine. Il a, sans le savoir sans doute, inauguré l’esprit capétien. Qu’est-ce que l’esprit capétien aujourd’hui ? C’est considérer les intérêts fondamentaux de notre pays dans un monde de rapports de force, c’est s’interdire les solutions radicales, mais au contraire toujours garder plusieurs fer au feu, avancer mais toujours se donner les moyens de reculer, négocier nos alliances, et n’en négliger aucune. L’esprit capétien n’est pas idéologique. Il est épris de vérité mais il est capable de voir au-delà des manipulations de l’opinion. Il est patriote mais il n’est pas nationaliste, c’est-à-dire qu’il ne cherche pas à exciter des réactions épidermiques xénophobes. L’esprit capétien ne fait pas de l’anti-américanisme primaire, il considère les Etats-Unis comme ils sont, un grand pays, valeureux, puissant, ami de toujours de la France, mais en même temps arrogant, parfois stupide dans sa compréhension du monde et ainsi capable de provoquer des drames. L’esprit capétien est fidèle dans ses alliances, mais il sait également voir que le monde change et que les alliances en font autant. L’esprit capétien ne se voile pas la face devant le mondialisme et les agissements des puissances financières, mais il n’est pas paranoïaque et ne réduit pas la géostratégie à un vaste complot mondial orchestré par des clubs d’initiés, dont Israël, l’ONU et Wall Street seraient les fers de lance. L’esprit capétien est tourné vers l’avenir, mais avec prudence, il est chargé d’espérance, car il sait que la France, qu’il aime et qu’il défend, est une grande nation, pourvu qu’elle sache se retrouver elle-même et rayonner dans le monde.
Posted on: Sat, 28 Sep 2013 14:00:24 +0000

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