Te tandem tibi restitue, disait Pétrarque : « rends-toi enfin à - TopicsExpress



          

Te tandem tibi restitue, disait Pétrarque : « rends-toi enfin à toi-même ». Dans les pages de son Zimbaldone consacrées à l’étymologie, Leopardi fait le rapprochement entre medeor (soigner) et meditor (méditer), en soulignant la continuité entre les deux attitudes, car méditer une chose revient à en prendre soin d’une autre façon. « Le dialogue avec nous-mêmes – commente Carlo Ossola – est donc notre premier souci » et c’est lui qui ouvre ce « continent intérieur », mais notre époque est peu propice à l’exercice, elle qui nous a privé de nombreux accès à ces topographies intimes. Poursuivant l’enquête sémantique, l’auteur relève la parenté entre la méditation et la contemplation, celle-ci ajoutant à la pensée assidue et prudente qu’est la méditation l’élan de l’amour. Avoir trop souvent dissocié les deux a conduit à laisser – je cite « la première devenir le territoire exclusif des « médecins » de la psyché, de Freud à Lacan ». Les deux dimensions de l’intimité en éveil sont présentes dans cette série de « stations », égrenées au fil des parutions du supplément culturel dominical du quotidien italien l’Avvenire, qui en passa la commande au titulaire de la chaire de Littératures modernes de l’Europe néolatine au Collège de France. Et de paraboles en éloges, de méditations en portraits, l’auteur lève un coin du voile sur ce continent intérieur qui est le sien, traversé de figures familières ou plus secrètes, de haut-lieux, de paradoxes et de symboles où chacun pourra reconnaître le « legs de sens » que les générations passées « nous transmettent au sein même de nos mots, lorsque lentement nous les auscultons ». Ces « exercices spirituels » portent la trace de l’occurrence dominicale de leur livraison. Mais s’il est vrai que le modèle de la méditation contemplative a longtemps été illustré par les hommes de foi et les mystiques, on croisera « chemin faisant » d’autres manières de « parvenir à soi », consistant comme chez Montaigne à poursuivre sans relâche, jour après jour, le dialogue intérieur. Te tandem tibi restitue, disait Pétrarque : « rends-toi enfin à toi-même ». Comme l’indique Carlo Ossola, « le cheminement vers l’intérieur n’est pas aussi aisé que la contemplation du paysage ». Certaines dispositions de l’esprit inspirent plutôt le dégoût. Qu’importe nous dit-il, car la répugnance conduit au sentiment, tendanciellement tourné vers l’universel, de la compassion, laquelle conjugue comme dans l’amour la profondeur de l’âme et les élans du cœur. S’attardant sur la riche métaphore du cœur, « précieux simulacre » de l’intériorité, il rappelle que la « peinture des sentiments » fut pendant des siècles plus importante que la peinture des paysages, et qu’elle était gouvernée par l’idée qu’à la vue de ses difformités morales l’homme saurait s’amender. On parle avec son cœur, dit-on, en privilégiant l’organe au détriment de ceux qui ont été élus pour la phonation, et François Lamy faisait observer dans son essai sur la connaissance de soi-même que « nos idées ne nous modifient point (…) au lieu que nos sentiments et les inclinations du cœur sont de vraies manières d’être et de vraies impressions formées, pour ainsi dire, dans sa substance ». Le cœur a ses raisons, vous connaissez la suite… Changement d’échelle et de registre : pour les mystiques, comme Angelus Silesius – le pèlerin chérubinique – le cœur sera plus grand que l’univers lui-même : « Dieu, diable, univers, tout veut être en mon cœur ». La révélation chrétienne a facilité ce changement d’échelle, faisant de Dieu un homme, et de l’homme une étincelle du divin crépitant à toute époque et en tous lieux. Carlo Ossola revient sur l’anthologie de negro spirituals éditée par Marguerite Yourcenar. « Les plus nobles, les plus grandioses des Spirituals – écrivait-elle – sont ceux où souffre et saigne le sublime Homme des Douleurs. L’optimisme du protestant moderne se détourne trop souvent des angoisses et de la mort du Crucifié ; chez les catholiques au contraire, l’Agonie divine, abondamment visible, clouée au mur des maisons et des églises, est souvent devenue un banal et froid symbole, privé de tout rapport avec la notion de la peine universelle. Le poète noir a su ce que c’était d’être moqué ou battu de verges, et de se taire sous les crachats et les coups. Chaque victime d’un lynch, pendue à un arbre, lui a fait penser à l’arbre de la croix. » S’’insurgeant contre une décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui prétend légiférer sur les symboles et qui évoque la notion improbable de « liberté négative » du non-croyant comme devant s’appliquer dans l’espace public par l’effacement de tout signe religieux, l’auteur cite Natalia Ginzbug : « le crucifix n’enseigne rien. Il se tait. (…) Il est l’image de la révolution chrétienne, qui a propagé de par le monde l’idée d’égalité entre les hommes qui en était jusqu’alors absente ». Carlo Ossola recommande la précaution dans l’exécution de la sentence : « enlever un crucifix poussiéreux laisse, sur la paroi, le suaire de ses contours grisâtres, une croix d’absence blanche sur le plâtre du mur ». « On n’est que ce qu’on a reçu. Le meilleur autoportrait est le mémorial de ces dons qui sont devenus notre habitus », affirme-t-il. Tout le livre l’illustre, à commencer par son autoportrait où figure en bonne place son grand-père, catholique et républicain qui, en tant qu’adjoint au maire de Castagneto Po, dut un jour accueillir le roi qui venait sur ses chasses et pour éviter de le saluer du titre de Majesté s’adressa à lui en dialecte, lui donnant du « Munsù Re » en insistant sur le Monsieur égal pour tous les citoyens. Sa mère figure également dans ce mémorial, « passée au cœur des jours comme une caresse : avec un regard d’une telle fraîcheur qu’il nous a offert une éternelle enfance ».
Posted on: Sat, 15 Jun 2013 03:49:51 +0000

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