UNE INTERVIEW EXCLUSIVE DU PRESIDENT MATHIEU KEREKOU parue dans le - TopicsExpress



          

UNE INTERVIEW EXCLUSIVE DU PRESIDENT MATHIEU KEREKOU parue dans le n°67 de SPECIAL DAHOMEY du lundi 7 octobre 1974 (pages 29-30) Le lieutenant-colonel Mathieu Kérékou, chef de l’Etat, répond à nos questions sur la situation et l’avenir du Dahomey. · Depuis la venue au pouvoir du gouvernement révolutionnaire, les rivalités régionales, qui avaient si fortement marqué la vie politique du pays, se sont apparemment apaisées. D’où vient, selon vous, une telle modification de la situation ? § Nous aurions atteint plus vite un des objectifs prioritaires que nous considérons comme conditions préalables pour le redressement de notre pays si nos rivalités régionales avaient été rapidement éteintes ou tout au moins apaisées. Mais, hélas, ces rivalités régionales ont, comme vous le dites avec raison, fortement et tristement marqué la vie politique de notre pays. Certes, les diversités régionales sont naturelles dans un pays quel qu’il soit, et elles contribuent le plus souvent à sa richesse culturelle et même économique. Mais chez nous, les différences régionales ont constitué un facteur inhibant pour les forces constructives de la nation. Cette malheureuse constatation a été d’ailleurs l’une des raisons du déclenchement de la Révolution par les Forces armées dahoméennes. C’est pourquoi, dès son avènement, le 26 octobre 1972, le Gouvernement militaire révolutionnaire se devait d’attaquer le mal à sa source. Il s’agissait d’abord pour nous d’écarter les « anciens leaders politiques » qui provoquaient les rivalités politiques, les entretenaient savamment et les exploitaient à des fins d’ambition et d’intérêts personnels. Ainsi, après avoir écarté les agitateurs professionnels, notre gouvernement a défini des objectifs nationaux par un « Discours-Programme » autour duquel tous les Dahoméens de bonne volonté, jeunes comme anciens, ont été invités à se mobiliser pour l’édification d’une société nouvelle dans un pays libre et prospère, une société où il fait bon vivre. Enfin, nous avons mis sur pied, par une vaste réforme, des structures administratives, économiques et politiques favorables à l’établissement d’un équilibre entre nos régions. Ce sont là les mesures efficaces et salutaires par lesquelles nous nous sommes efforcés d’apaiser nos rivalités régionales qui paralysaient notre pays et le poussaient pas à pas à la ruine. Le diagnostic de la situation à cet égard ne nous fait pas perdre de vue qu’il faut rester vigilant car les forces rétrogrades veillent et attendent le moment propice pour ressusciter et semer à nouveau la division au sein des masses populaires. · Malgré l’accession à l’indépendance, les sociétés commerciales étrangères continuaient à dominer l’économie du Dahomey. Quelles ont été les mesures pour renverser cette situation ? § Il va de soi que ce n’est pas en moins de deux années qu’on peut détruire des structures économiques vielles de plus de cent ans. Le commerce dahoméen, tout comme du reste le commerce africain, est satellite jusqu’ici, et pour longtemps peut-être encore, du commerce des pays capitalistes. Les pays industriels et les puissances d’argent continuaient d’imposer leur loi au monde. Devant une telle situation certains pays ont pris conscience de leur aliénation et ont essayé de réagir en prenant progressivement le contrôle des secteurs vitaux de leur vie économique. C’est ce que le Gouvernement militaire révolutionnaire s’efforce de faire depuis le 30 Novembre 1972, date de la proclamation de son « Discours-Programme » de construction nationale. C’est dans cet esprit que nous avons été amenés à prendre un certain nombre de mesures radicales destinées à orienter notre économie en fonction des intérêts réels du peuple dahoméen. Ainsi, nous avons commencé par faire payer ce que certaines sociétés devaient au titre d’arriérés d’impôts et de supplément d’imposition sur les bénéfices camouflés. En effet, nous avons constaté que la plupart des sociétés de traite installées dans notre pays sont restées des années durant redevables à l’Etat de plusieurs millions de francs CFA. De même, notre nouvelle politique économique vise à donner à l’Etat dahoméen le contrôle de l’appareil économique du pays dans les secteurs de la production agricole, de la transformation industrielle et de la distribution. Pour ce faire, nous procédons par la prise en charge progressive des secteurs vitaux de notre économie nationale. En tout état de cause, il a été mis au point une réglementation assez stricte en matière d’activités économiques, dont le but n’est pas de créer des tracasseries aux investisseurs étrangers mais de définir clairement les conditions dans lesquelles leurs activités seront profitables pour les masses populaires tout en leur assurant un profit raisonnable. Nous ne tenons pas à décourager les investisseurs privés étrangers, nous les encourageons au contraire à venir, mais nous leur précisons tout simplement qu’il ne faudrait pas que leurs activités s’exercent au détriment de nos intérêts nationaux. · Dans quelles mesures les organisations de masse (syndicats, mouvement de femmes, etc.…) participent-elles à la vie du nouveau Dahomey ? § Le Gouvernement militaire révolutionnaire a pu venir et se maintenir au pouvoir grâce au désir de changement des masses populaires qui souhaitaient la disparition de l’ancien régime dont la politique rétrograde et antinationale conduisait le pays à la dérive. Nous militaires, étant arrivés au pouvoir par la volonté de ces masses, nous nous devons de travailler pour elles et gouverner avec elles. Au départ, nous avons demandé à ces masses de s’organiser volontairement et spontanément. Cependant, devant le danger qui se dessinait de voir les organisations démocratiques être accaparées par les tenants et les nostalgiques de l’ancienne politique, celle des intérêts particuliers, le Gouvernement militaire révolutionnaire s’est vu obligé de réorganiser ces masses afin qu’elles soient plus aptes à assumer les grandes responsabilités que le nouveau régime était disposé à leur confier. Les syndicats dahoméens étant bien actifs, il leur a été donné, dans le cadre de la Réforme des structures administratives, les moyens de prendre part aux décisions engageant la vie de la nation, à tous les niveaux, depuis la base où ils sont représentés dans les Conseils révolutionnaires locaux, jusqu’au sommet, dans le Conseil national de la Révolution, organe suprême qui soutient, oriente et contrôle la politique du gouvernement. Il en est de même pour les organisations de femmes. Le Dahomey nouveau, ayant opté pour une voie révolutionnaire, se devait de réserver à la femme dahoméenne la place qui lui revient. Quant aux organisations de jeunes, elles ont eu droit à une large place dans le Dahomey nouveau. Elles ont pleinement participé à l’élaboration du « Discours-Programme » du 30 novembre 1972 que le Gouvernement militaire révolutionnaire se doit d’appliquer scrupuleusement. Si à un moment donné nous avons éprouvé la nécessité de dissoudre les organisations de masse, c’est pour les refondre dans des structures nouvelles conformes aux mutations sociopolitiques intervenues dans notre pays. C’était également pour éviter certaines querelles intestines qui risquaient d’anéantir leur énergie et, aussi, pour les préserver de l’action de quelques aventuriers. Cela n’empêche que nous laissons encore aux jeunes de larges responsabilités dans l’édification de notre pays. · Le Dahomey révolutionnaire a fait preuve d’une grande prudence à l’égard des organisations purement francophones (Conseil de l’Entente, C.E.A.O., etc.) et a semblé en revanche esquisser un rapprochement avec ses voisins naturels (Togo, Nigéria, Niger, voire même le Ghana). Que pensez-vous d’une éventuelle Union du Bénin ? § Notre option révolutionnaire ne signifie ni bouleversement inconsidéré, ni précipitation, ni isolement, ni rupture. Notre option, profonde et réfléchie, est historique parce que nationale. Nous n’avons aucun problème particulier avec les organisations purement francophones que vous avez citées. Cependant, nous croyons fermement qu’il faudrait absolument dépasser les considérations linguistiques pour n’envisager que les intérêts de nos peuples. Le Dahomey souhaite vivement des regroupements plus conséquents et plus viables. C’est pour cette raison que, tout naturellement, nous avons jugé utile de resserrer nos liens de toute sorte avec nos voisins. L’avenir nous dira si ces relations sont susceptibles de déboucher sur la création d’une Union du Bénin. A priori, nous n’en voyons pas l’urgence puisqu’il y a de fortes chances que même la C.E.A.O. devienne la C.D.E.A.O. dans laquelle francophones, anglophones et lusophones de la sous-région se retrouvent en partenaires égaux, débarrassés de tous complexes de néo-colonisés. · Pensez-vous que le Gouvernement militaire révolutionnaire doive s’efforcer de recréer, dans les plus brefs délais possibles une vie démocratique dans le pays, et si oui, par quelles voies ? § Si je comprends bien, selon vous, il n’y a pas de vie démocratique dans le pays à l’heure actuelle ? Si vous entendez par « vie démocratique » les désordres d’autrefois, avec des élections truquées, une Assemblée nationale irresponsable, des conseils généraux sans assise populaire, les luttes fratricides, les injustices sociales, la corruption et la surenchère, etc., alors il n’est pas dans notre intention de rééditer cette ancienne politique rétrograde. Mais soyez assurés que le Gouvernement militaire révolutionnaire n’a rien de dictatorial. Il est secondé par le Conseil national de la Révolution composé de militaires, de paramilitaires, des représentants des travailleurs, des mouvements de femmes et de jeunes, démocratiquement élus par leurs mandants. Les membres des institutions locales révolutionnaires sont également élus par les populations elles-mêmes. Mieux, par le truchement de colloques et de séminaires, le G.M.R. intéresse toutes les couches sociales à la vie nationale. En tout état de cause, que personne ne s’y trompe car nous ne saurions donner parole aux fauteurs de troubles qui, sous le prétexte d’une pseudo-démocratie, jettent le discrédit sur notre peuple et freinent le développement harmonieux de notre cher Dahomey. · On a parlé de la création d’un poste de Premier ministre qui serait confié à un civil, premier pas vers une meilleure intégration des diverses forces vives de la nation. Que doit-on penser de ce projet ? § Tout d’abord, je dois vous dire qu’aucun Dahoméen digne de ce nom n’a encore émis une telle idée, laquelle, au demeurant, ne me fait pas peur. Il est heureux que cette rumeur vous soit parvenue. C’est certainement un ballon d’essai et le souhait de ceux qui ont intérêt à ce qu’il en soit ainsi. C’est la faillite congénitale des différents gouvernements civils qui a amené pour la cinquantième fois les militaires au pouvoir dans notre pays. Cette fois-ci, ils y resteront tant que les masses populaires en auront besoin. En tout cas, il n’est pas prouvé qu’il faille nécessairement avoir un Premier ministre civil pour que tous nos problèmes soient résolus. La nomination d’un Premier ministre n’est ni une panacée ni la condition sine qua nonpour une meilleure intégration des forces vives de la nation. La prétendue nécessité de créer un poste de Premier ministre civil est un faux problème et une manœuvre de diversion qui ne trompe plus personne.
Posted on: Wed, 07 Aug 2013 14:10:58 +0000

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