Un cri vers le ciel Les cloches de la cathédrale sonnèrent - TopicsExpress



          

Un cri vers le ciel Les cloches de la cathédrale sonnèrent dans la clarté du matin, assourdissantes. Attiré par les clameurs de lairain, je mapprochai du monument. Concert dantesque qui hurlait au ciel la piété des hommes ! Je demeurai au pied de lédifice, fasciné, un peu terrifié aussi. La pierre vrombissait, la cathédrale entière formant une caisse de résonance géante. Telle une montagne solennelle aux ailes de titan, à la gueule vulcanale, le vaisseau grondait. La silhouette gothique qui se détachait dans le ciel éclatait de sainte fureur. Des corbeaux tournoyaient au-dessus de ses multiples sommets. La voix des bourdons montait toujours, emplissant la nue... Bientôt ce fut la tempête. Un orage de sons sourds, denses, graves, qui devint égal, uniforme puis quasi silencieux : je nentendis plus les cloches mais à la place, un son pur. Un léger sifflement. Une note légère, fine, aérienne. Le choeur du métal, par sa beauté simple, saine, brutale, avait déclenché en moi une nouvelle capacité à entendre, louverture dautres yeux, léveil dune autre conscience. Les cloches agissaient sur moi de la même façon que le bruit sourd dune trompe met le cristal en vibration. Ou de manière plus imagée, pareil au son rauque du cor qui occasionne un chant de flûte à travers le verre quil fait vibrer. Jaccédai à une réalité supérieure. Une transfiguration de ma sensibilité ordinaire, de mes capacités de réception matérielle venait de sopérer : jentendais linaudible. Le son des cloches était derrière moi, je nentendais plus que son essence, une musique fluette, comme si je percevais lâme et non plus le corps des choses. Bientôt le silence fut total autour de moi, bien que le clocher fût en branle. Juste la voix dun ange, la corde dun séraphin, le rire dun esprit au-dessus de moi... Emporté par le vent de la Beauté, jétais parvenu jusquà la source du Mystère. Un bref, très bref instant. Lillumination fut furtive : en baissant les yeux vers le parvis, tout redevint fracassant. Je restai un moment, troublé, décontenancé avant de méloigner, le pas chancelant. Les cloches derrière moi sonnaient toujours à la volée. Puis séteignirent progressivement. Cest là que jentendis à nouveau la Voix Suprême qui mavait emmené si haut un instant plus tôt, mais sous une forme inattendue cette fois : la tourmente du carillon passée, les corbeaux prenant le relais se mirent à croasser longtemps, longtemps dans lazur... Paul Valéry
Posted on: Thu, 07 Nov 2013 22:23:59 +0000

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