Un excellent article : Neuf raisons plus ou moins capitales de - TopicsExpress



          

Un excellent article : Neuf raisons plus ou moins capitales de suivre le championnat du monde déchecs LE MONDE BOUGE | En Inde, saffrontent Vishy Anand et Magnus Carlsen, les deux nouveaux maîtres du roi des jeux. Une bataille sans ola ni vuvuzela mais qui, juré-craché, réserve son lot de grands moments. Le 15/11/2013 à 09h14 Nicolas Delesalle, envoyé spécial à Chennai (Inde) Le tenant du titre Vishy Anand (à droite), régional de létape, opposé au Norvégien Magnus Carlsen (à gauche), numéro un mondial et grandissime favori. © DR Depuis le 7 novembre et jusquau 28, se tient à Chennai, ex-Madras, petite bourgade du Sud-Est de lInde (6 millions dhabitants), le championnat du monde déchecs 2013 qui oppose le tenant du titre Vishy Anand, régional de létape, au Norvégien Magnus Carlsen, numéro un mondial et grandissime favori. Si lévénement soulève la ferveur des foules en Inde, en Norvège ou dans les cercles échiquéens, il demeure pour beaucoup un événement abstrus dont lintérêt sportif et médiatique reste à démontrer. Les échecs de haut niveau sont pourtant bien un sport à part entière. Mais un sport à part tout court aussi. Parce que cérébral, complexe et difficile daccès. A lheure où les joueurs entament ce matin du 15 novembre, la cinquième des douze parties qui devront les départager et tandis quils sont toujours à égalité (quatre parties nulles, le suspense est total), voilà neuf raisons plus ou moins capitales de se pencher sur léchiquier. 1. Cest une occasion unique de voir des sportifs propres et immobiles Les joueurs déchecs ne hurlent pas quand ils ont fait un bon coup, ne pleurent pas en seffondrant comme des flans en cas de défaite. © DR Aux échecs, les champions ne font pas de « high five », ils ne crachent par terre et ne se pincent pas le nez pour expulser virilement la morve qui leur obstrue la narine. Les joueurs déchecs ne hurlent pas quand ils ont fait un bon coup, ne pleurent pas en seffondrant comme des flans en cas de défaite. Bref, pour des sportifs, ils savent se tenir. Ils sont même très propres, quand bien même ils viennent de souffrir cinq heures de réflexion intense et violente. Le champion déchecs est un professionnel de leffort immobile. Il fait des youkaïdis et des roulades de joie dans sa tête. En Inde, les deux joueurs saffrontent dans lauditorium de lhôtel Hyatt et ne craignent pas les hurlements de la foule des supporters en délire. Ils sont séparés du public par une lourde vitre insonorisée. Les travées sont plongées dans lobscurité, eux sont dans la lumière. Ils restent assis des heures daffilée, tout entiers concentrés sur leur noble mission : massacrer ladversaire, le piétiner. Mais attention aux balourdises. Seuls les poids légers sen sortent ici : « Le jeu déchecs est un lac dans lequel peut se baigner un moucheron et se noyer un éléphant », dit un proverbe indien. 2. Ça se passe en Inde Cest une occasion inespérée de voir des journalistes sportifs atteints de tourista essayer de faire le boulot quand même. © DR Cest donc une occasion inespérée de voir des journalistes sportifs atteints de tourista essayer de faire le boulot quand même. Accessoirement, le pays aurait inventé le jeu déchecs voilà quinze siècles. Les échecs actuel descendraient du chaturanga, joué avant le Ve siècle au Nord de lInde. Les historiens se disputent encore sur les origines exactes du jeu, mais en attendant quils se mettent daccord, on peut raconter une légende. Celle de Sissa. Il était une fois, 3000 ans avant notre ère, un roi qui sennuyait. Il navait pas le WIFI, Twitter, les réseaux sociaux, Candy crush, il sennuyait vraiment. Il sennuyait tant quil organisa un concours promettant une récompense fabuleuse à celui qui parviendrait à le tirer de son ennui. Le brahmane Sissa fut celui-là. Il présenta au roi le jeu quil avait conçu tout exprès pour son altesse. Cest peu de dire que le roi kiffa Sissa. « Demande-moi ce que tu veux ! », dit le roi. Sissa ne voulut aucune récompense. Mais nous connaissons les rois, et le roi insista. Alors Sissa demanda quon dépose un grain de riz sur la première case de léchiquier, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, huit sur la quatrième et ainsi de suite sur tout léchiquier. Il emporterait juste ces grains-là. « WTF !, sécria le roi. Tu ne veux que ça ? Quelques grains de riz ? ». Ce sacré Sissa sourit astucieusement à son altesse sérénissime. Le roi ne savait pas quil ne pourrait jamais honorer sa dette. Il faudrait 18 milliards de grains de riz pour remplir léchiquier de cette manière, soit 720 000 millions de tonnes. A titre de comparaison, la production mondiale de riz en 2010 a été de 699 millions de tonnes. Echec au riz. 3. Il ny a pas de débat sur larbitrage Pas de polémiques interminables sur lutilisation de caméra dans le noble jeu. Tout se passe naturellement au ralenti et pendant les trois ou quatre heures que dure une partie normale, vous pouvez faire plein de pauses pipi sans risquer de manquer une action décisive. Nallez pourtant pas croire que les échecs se jouent exclusivement au ralenti sous prétexte que les joueurs poussent un pion toutes les vingt minutes au championnat du monde. Il y a des échecs rapides, des blitz fulgurants souvent très impressionnants. Voici une partie qui opposait cette année Anand et Carlsen, elle a duré à peine sept minutes. On pourrait imaginer que bien filmés, ces échecs spectaculaires pourraient trouver un public beaucoup plus large que celui du jeu traditionnel. Finalement, le tennis de table ou le poker ont changé leurs règles pour devenir plus télégéniques et populaires, pourquoi pas le roi des jeux ? 4. Cest la première fois depuis longtemps quun Championnat du monde oppose deux personnalités aussi opposées Surnommé le Mozart des échecs, Magnus est une sorte dautodidacte génial qui sest construit tout seul dans un pays sans tradition échiquéenne. A 13 ans, le poupin blond battait Karpov et arrachait une nulle à Kasparov. © DR Un championnat du monde déchecs est un show qui se nourrit des contrastes et cette fois-ci, nous sommes servis par deux joueurs qui brillent dun éclat très différent. (« Aux échecs, quand on est pas brillant, on est mat », disait Coluche). Dun côté, le champion en titre, tenant de la couronne depuis 2007, que lon dit déclinant mais qui joue chez lui, Vishy Anand, 43 ans, visage rond et doux, affable en toutes circonstances, sans doute le sportif le plus gentil et le plus poli de la planète, mais dont le jeu dynamique et agressif est redouté. Tel un poulet tandoori qui cache sous une apparente rondeur un piment dévastateur, Anand est un tueur à laffût. Réputé pour sa vitesse de calcul hallucinante, Vishy était dans sa jeunesse surnommé The lightning kid. Il a dailleurs détruit pas mal de pendules de jeu dans ses vertes années en tapant trop vite dessus. De lautre, le norvégien Magnus Carlsen, un jeune homme de 22 ans qui arbore en toute circonstance une tête détudiant fêtard mal réveillé. Surnommé le Mozart des échecs, Magnus est une sorte dautodidacte génial qui sest construit tout seul dans un pays sans tradition échiquéenne. A 13 ans, le poupin blond battait Karpov et arrachait une nulle à Kasparov. Peu porté sur le travail et la théorie (il se dit lui-même feignant) contrairement à tous les autres Grands maîtres, il a en revanche une capacité de mémorisation phénoménale. Montrez lui nimporte quelle position échiquéenne, il vous dira quand elle a été jouée et par qui. Le jeune viking survole actuellement le classement des joueurs, très, très loin devant le deuxième. Il a même battu le record de point ELO (équivalant de lATP au tennis) de Kasparov avec un score de 2870, ce qui fait de lui le joueur le mieux classé de tous les temps. Son style est proche de celui du boa. Il prend son temps et entoure lentement sa proie en létouffant. Il a aussi une capacité inouïe à transformer une partie fichue ou sans avenir en victoire par laccumulation lente davantages microscopiques. Cest une teigne qui ne lâche rien. Un poison. Le match entre le piment et la teigne tient pour linstant toutes ses promesses. 5. Pour la première fois, ce championnat du monde est très bien commenté Oh, ce nest pas du Thierry Rolland dans le texte, il y a peu de chauvinisme et de hurlements, pas de « A mort larbitre » ni de « Maintenant on peut mourir peinard », mais on peut suivre les parties commentées en direct sur le site de la fédération en apprenant beaucoup. Les commentateurs, tous de grands joueurs déchecs, (dont la hongroise Judit Polgar, meilleure joueuse de lhistoire), sy échinent à expliquer (en anglais) le sens caché des coups, à vulgariser pour que le non initié puisse saisir la beauté dune combinaison ou les ressorts dun drame en formation sur un coin de léchiquier. 6. Pour assister à des conférences de presse daprès-match truffées de mots de vocabulaire Le vocabulaire du sportif interviewé après un match de foot se doit dêtre assez limité. Cest la règle. Ne parlons pas de la syntaxe hésitante, obligatoire. Si au football, il est strictement interdit de parler correctement sous peine de passer pour un joueur moyen, aux échecs, rien de tout ça. Bien quils soient réputés repliés sur eux-mêmes tel les héros de Zweig ou de Nabokov, les champions déchecs ont développé une capacité épatante à construire des phrases grammaticalement correctes et complexes pour exprimer leur ressenti. Si on est habitué à suivre les conférences de Ligue 1, les écouter est une expérience nouvelle et captivante. 7. Cest une occasion inespérée pour devenir un pro du « body langage » En apparence, les joueurs déchecs restent imperturbables pendant des heures devant léchiquier. En fait, si on regarde bien, ils bougent. © DR En apparence, les joueurs déchecs restent imperturbables pendant des heures devant léchiquier. En fait, si on regarde bien, ils bougent. Quand lun se gratte loreille ou que lautre se tord le nez, ça peut vouloir dire quelque chose. Oui, mais quoi ? Tenter dinterpréter les attitudes des joueurs est un sport dans le sport, une saine occupation pour affiner votre acuité psychologique. A noter que sil était facile dinterpréter les crises de nerfs ou les grimaces de Garry Kasparov, il est plus complexe de saisir le sous-texte des attitudes de Anand et Carlsen. Il semble que le premier porte plus souvent à ses lèvres sa sempiternelle tasse de thé quand il a lavantage que lorsquil patauge dans les boues dune position marécageuse. Quant à Carlsen, sil tire une tronche de six pieds de long, cest généralement le signe quil va gagner. 8. Les échecs ont peut-être trouvé leur nouveau roi Avouez que si vous nêtes pas intéressés par les échecs, vous ne connaissiez pas le nom de Vishy Anand, pourtant champion depuis 2007 alors que vous connaissiez Kasparov, sans plus apprécier le jeu auparavant. Kasparov était une star, une diva avec un sens aigu du show. Il savait rendre les échecs impressionnants, vivants et tragiques. Il les incarnait à lui tout seul. En 2000, juste avant quil ne perde sa couronne mondiale face à Kramnik, nous lavions rencontré à Paris. Nous lui avions demandé ce que deviendraient les échecs après son départ. « Cest une tragédie, avait soupiré le champion. Il ny a pas aujourdhui sur le circuit de joueurs assez intelligents pour avoir une vue sur le long terme. Mais avec la révolution dInternet, le climat va changer. Garry Kasparov ne sera pas le dernier champion charismatique dans le monde des échecs. » Rétrospectivement, la morgue de Kasparov qui parlait de lui à troisième personne du singulier, était légitime et visionnaire. Il aura fallu attendre presque quinze ans pour retrouver un champion charismatique peut-être capable de le remplacer. Ce champion, cest Magnus Carlsen. Tôt ou tard, vous connaîtrez son nom. Et il est un pur produit dInternet, comme lavait prédit Garry. 9. Il y a plus daventures sur léchiquier que sur toutes les mers du monde Cette phrase de Pierre Mac Orlan est en fait très modeste. Mathématiquement, il y a plus daventures sur léchiquier que dans tout lunivers observable. Pourtant, tout commence simplement. Quand le joueur qui mène les blancs débute la partie, il a 20 choix possibles. Mais son adversaire aussi. Ce qui donne 20 fois 20, soit 400 combinaisons possibles pour le premier coup. Jusquici tout va bien. Le deuxième tour complique la donne avec 20 000 variantes possibles. Ça se corse. Et ça se corse de façon exponentielle à chaque coup. Comme le riz basmati de Sissa. Sachant que le nombre moyens de coups joués dans une partie est de 40 et quà chaque fois, chaque joueur a en moyenne 30 choix différents, le mathématicien Claude Shannon a calculé quil existait aux échecs 10 puissance 120 parties différentes possibles, soit un 1 suivi par 120 zéros. Ce chiffre, dit nombre de Shannon, est encore plus grand que le fameux googol (10 puissance 100), lunité qui a donné son nom au moteur de recherche Google. Et il est aussi plus élevé que le nombre datomes dans lunivers observable : il ny a que 10 puissance 80 atomes dans lunivers. Une peccadille face aux échecs.
Posted on: Mon, 18 Nov 2013 16:50:33 +0000

Trending Topics



Recently Viewed Topics




© 2015