Un village âpre, couleur de cendre ; des maisons de pierre - TopicsExpress



          

Un village âpre, couleur de cendre ; des maisons de pierre sèche, des portes vergogneuses, dedans c’est noir. Partout, la pierre sur la pierre. Les âmes qui vivent dans ces pierres sont dures, inhospitalières, comme elles. Les montagnes, les maisons, les gens, tout est du même silex. Rarement, et seulement dans les bonnes années, un éclat de rire, parfois, retentit dans un coin du village. La chose parait tellement anormale que c’en est presque un sacrilège. Les vieux se retournent, froncent les sourcils ; le rire s’étrangle. Pendant les fêtes, quand ils ont un peu plus à manger, et qu’un chant nait dans leur gorge, c’est comme un lamento, déchirant, monocorde, il passe de bouche en bouche, avec des modulations funèbres, interminablement. Issu de quelles terreurs immémoriales, massacres, esclavage, famine, pandémies, déportations, expropriations ? Mieux qu’une plainte, ce chant porte la marque indélébile de la faim, du fouet, de la mort, endurée pendant tant de siècles. Mais eux, comme des herbes folles, des figuiers de barbarie, se sont accrochés à ces pierres hostiles et n’en décollent plus. Ils ont la tête dure. Jusqu’à la fin du monde, ils n’en décolleront plus. Leurs corps, leurs âmes ont pris la couleur, la dureté des pierres ; celles-ci semblent devenues une part d’eux-mêmes. Ensemble, ils supportent la pluie, la sècheresse, la neige, comme s’ils étaient tous des hommes, comme s’ils étaient tous des pierres. Quand un homme et une femme s’isolent des autres, après la bénédiction de l’imam, ils n’ont pas de mots doux à se dire, ils n’en connaissent pas. Muets, ils se mêlent sous leurs couvertures de laine rude et ne pensent qu’à une chose : faire, rapidement, des enfants pour leur transmettre ces pierres, ces montagnes et la mouise.
Posted on: Mon, 24 Jun 2013 15:26:48 +0000

Trending Topics



Recently Viewed Topics




© 2015