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Une université française (image dillustration).Une université française (image dillustration). (Photo Marc Wattrelot. AFP) RÉCIT Le doctorant sénégalais, chargé de travaux dirigés à la faculté de droit de La Rochelle, avait implicitement menacé un étudiant qui lui envoyait des messages racistes. Alioune Gueye est intarissable. L’enseignant-chercheur sénégalais revient inlassablement sur sa carrière universitaire, ses états de services «irréprochables» et surtout, cette «histoire de mails racistes». Après avoir joué le jeu de la discrétion pendant des mois sur les conseils des mandarins de la fac de droit de La Rochelle, le doctorant ne veut plus se taire. Surtout depuis que son contrat d’attaché temporaire d’enseignement et de recherche (Ater) n’a pas été renouvelé à la fin de l’année scolaire. Le juriste, après avoir contacté le quotidien Sud Ouest, menace aujourd’hui de saisir le tribunal administratif. Les faits remontent à novembre 2012. Gueye, qui prépare une thèse sur le règlement intérieur du parlement européen, encadre un travail dirigé (TD) de droit public. La consigne a été donnée aux élèves de rendre une synthèse d’une copie-double. Quand l’un d’eux lui présente un devoir de six pages, Alioune Gueye refuse de corriger la copie, «pour être équitable avec les autres étudiants». Le ton monte entre l’élève et le professeur, qui menace de lui coller un zéro. De retour chez lui, l’étudiant de 22 ans envoie un long mail à Gueye, dans lequel il considère que «selon [son] humble avis, un Africain ne peut pas faire de telles corrections.» L’enseignant affirme avoir découvert le message deux jours plus tard, dans sa messagerie professionnelle. «C’était un véritable roman, incroyablement raciste» dit-il. Il transfère le message à son supérieur hierarchique et répond vertement à l’étudiant. Qui réplique en long et en large, dans un style maurassien qu’il a peaufiné sur des blogs d’extrême droite dont on trouve encore des traces aujourdhui. Excédé, Gueye dérape : il écrit à l’étudiant de venir lui répéter ses propos «face à face à la bibliothèque». Avant de conclure : «Ce problème, nous le réglerons quand vous voudrez en dehors de la fac.» «L’affaire a été réglée à l’amiable» Selon le doyen de l’université, André Giudicelli, «l’affaire a été réglée à l’amiable». L’étudiant n’est pas inquiété, on se contente de le changer de TD et de rappeler aux élèves le respect qu’ils doivent aux enseignants. «On ne pouvait pas faire plus, explique le doyen. Parce que si l’on traduisait l’étudiant en conseil de discipline, on se devait aussi de prendre une sanction forte contre M. Gueye. En proférant de telles menaces, il s’est mis en position difficile. Il n’a pas eu le comportement normal d’un enseignant-chercheur, mais nous avons préféré en rester là pour protéger sa réputation.» Sur les conseils de Marc Blanquet, son chargé de thèse à l’université de Toulouse, Alioune Gueye accepte ce «jugement à la Salomon» et se remet au travail. Mais les relations avec les deux autres chargés de TD et ses supérieurs hierarchiques se dégradent. «J’ai subi un véritable harcélement moral, estime Gueye. Je recevais convocation sur convocation pour tout et rien.» Alors qu’il a rédigé 8 des 10 plaquettes de TD pour dépanner les autres Ater, il se voit reprocher ses notations trop sévères et son manque de volonté pour assurer la surveillance des examens. «Je devais me rendre à Toulouse, où je passe ma thèse, pour un rendez-vous prévu de longue date», se justifie-t-il. «Monsieur le professeur, je ne suis pas votre esclave» Face à une nouvelle convocation, il craque et lâche au maître de conférence chargé des cours «Monsieur le professeur, je vous rappelle que ne suis pas votre esclave.» Selon Gueye, les vexations se multiplient d’autant plus. «Il était très déprimé, très secoué par leur manque de compassion après l’affaire», insiste Joseph Uwoh, un autre doctorant africain qui a bouclé sa thèse de droit public à La Rochelle au même moment. Ce dernier évoque «l’attitude condescendante de nombreux professeurs de l’université envers les étudiants et collègues africains». Il raconte que l’université a refusé de lui payer les frais occasionnés par un colloque de deux jours à Paris alors qu’elle avait financé sans rechigner plusieurs voyages aux Etats-Unis pour d’autres doctorants. A la fin de l’année universitaire, Alioune Gueye n’est pas reconduit, alors qu’il avait été recruté en première position lors de la rentrée précédente. Il envoie sa candidature à trente universités à travers la France. A ce jour, aucune réponse positive, alors que plusieurs lui avaient offert un poste lan dernier. «Qui bloque mon dossier? Je ne demande qu’à partir de La Rochelle», sindigne le doctorant. Il avait jusqu’alors effectué un sans-faute, assurant pendant quatre ans les TD à Toulouse sans qu’aucun incident ne soit rapporté. Jean-Arnaud Mazères, professeur émérite de droit public à Toulouse, voit toujours en lui «un garçon intelligent, sérieux, qui avait fait sous ma direction un mémoire brillant. Je suis très surpris de voir comment les choses tournent pour lui actuellement». «Double peine» «Il n’y a aucun lien entre le non-renouvellement de M. Gueye et cette affaire qui a presque un an, martèle de son côté le doyen de la fac de La Rochelle. La procédure a été respectée : la reconduction des Ater n’a rien d’automatique.» Selon lui, l’université a choisi de confier le poste à un «thésard du cru» plutôt qu’au doctorant toulousain. «Et puis, sans vouloir le blesser d’avantage, il n’a pas donné entière satisfaction à l’équipe pédagogique», ajoute André Giudicelli. «Ça peut arriver que quelqu’un ne fasse pas l’affaire, ça n’a rien à voir avec le racisme, soupire-t-il. S’il veut aller devant le tribunal administratif, qu’il y aille.» Ce que compte bien faire l’enseignant sénégalais, qui a pris un avocat en début de semaine. Alioune Gueye vit la situation comme une «double peine, alors [quil est] une victime au départ». Il fustige «lopacité et le manque dobjectivité» du recrutement dans les facultés. Dans un milieu universitaire plus habitué au silence, sa décision d’aller devant la justice et de parler à la presse risque de compliquer plus encore sa situation. «Je n’ai plus rien à perdre, explique-t-il. Aujourd’hui, je n’ai plus de travail et plus de moyen de financer ma thèse [dont la soutenance est prévue pour avril 2014]. J’ai l’impression qu’on m’a enlevé ma dignité.» Marc Blanquet, qui avait conseillé à son doctorant de ne pas ébruiter l’affaire, ne peut que constater sa détermination nouvelle : «C’est quelqu’un qui avait une très haute image de l’université, de la notion de communauté universitaire. Sa déception est à la mesure de l’image qu’il avait de cette communauté.» En mai dernier, la faculté de La Rochelle avait été lobjet d’une vive polémique autour d’une pièce de théâtre étudiante jugée antisémite par un enseignant et des associations juives. Ne souhaitant pas que lamalgame se fasse entre les deux affaires, le président de l’université Gérard Blanchard se range derrière la position du doyen, en attendant une éventuelle décision du tribunal administratif. Quant à l’étudiant, il ne s’est pas présenté aux examens du deuxième semestre et ne s’est pas réinscrit à l’université. Guillaume GENDRON
Posted on: Wed, 23 Oct 2013 22:05:40 +0000

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