Voilà déjà quelques années, de longues années que je suis - TopicsExpress



          

Voilà déjà quelques années, de longues années que je suis mort. Est-ce un non-sens ? Peut-être. Pourtant c’est bien ainsi que je le perçois, l’être que j’étais s’est envolé en fumée lors de ma 21ème année. Arraché à mes rêves, à ma vie et même à mon corps, me voilà plongé dans une masse morte n’ayant pour seule sensation que la douleur d’un corps méconnaissable ; visiblement sain mais formellement détruit ; un corps que j’ai pourtant forgé durant tant d’années, sans heurt ou presque, dont le contrôle n’échappait quasiment jamais à ma main, et qui malgré tout, s’est dérobé à moi sans même la moindre erreur de ma part, juste la vie se révélant à moi dans toute sa puissance et par son plus simple appareil qu’est la sensation physique, me révélant alors mon impuissance devant elle et mon illusion passée sur ma capacité à la contrôler. Alors voici, et il m’en coûte, l’éloge de ma mort : L’instant sans sommation Un instant, un court et unique instant, voilà ce qui peut changer une vie, Annihiler vos rêves, vos espoirs et vos envies. Quels que soient les efforts consentis, en un clin d’œil, tout peut s’éclipser Et s’échapper derrière une porte que jamais plus vous ne gagnerez. Tant de volonté et d’efforts voués à la construction d’un avenir, Et balayés en un instant comme une feuille emportée par le vent. Toucher du doigt ses rêves et se les voir enlevés sans sommation, Sans contrôle ni choix, juste la nature dictant sa loi, Telle est la force de cette maladie : Soudainement apparue au saut du lit, Semblant si peu menaçante en cet instant, Ne soulevant en moi pas plus d’interrogation qu’une rougeur sur ma peau ; Si furtive, s’installant en moi avec encrage, Et si subtile, nourrissant faux espoirs et vaines batailles, Voilà l’éveil de la Fibromyalgie, Cette putain de maladie régissant aujourd’hui ma vie. Ce jour morbide, bien que ne m’apparaissant pas ainsi en son temps, fut le tournant de mon existence. Je m’en rappellerai éternellement comme le jour où j’allais m’engager, que je le veuille ou non, sur la voie de la véritable souffrance ; celle qui nous fait prendre conscience que vie et mort ne forment bien souvent qu’un seul et même état, et que c’est justement lorsqu’ils ne sont pas distincts que naît le plus grand des supplices, à savoir se voir disparaître tout en continuant à être. En effet, qu’y a-t-il de pire que voir mourir la plus importante partie de soi et ne voir rester que ce qu’il y a de sensitif et d’émotionnel, tous deux en proie à la torture ? Qu’y a-t-il de pire que n’être plus qu’un corps animé de souffrance et pétrifié par elle ? La mort réelle ? Non car dans la mort, vous perdez tout mais n’êtes plus là pour en pâtir, alors que par cette maladie, vous perdez tout mais êtes encore là pour le voir et souffrir… Présentation de la fibromyalgie Aussi appelée « syndrome polyalgique idiopathique diffus » ou plus simplement « syndrome des douleurs chroniques diffuses », la fibromyalgie est une pathologie totalement invisible puisque le symptôme essentiel est la douleur musculaire. Bien que n’engageant pas le pronostic vital, ce syndrome est parfaitement incurable. Rien n’explique ces douleurs. Aucun examen médical ne révèle d’anomalie. Le traitement causal est donc impossible à l’heure actuelle. « Reste la thérapie symptomatique » me direz-vous, seulement elle est parfaitement inefficace : les médicaments (antidouleurs, anti-inflammatoires, antidépresseurs, relaxants, etc.) ainsi que les médecines parallèles (ostéopathie, kinésithérapie, relaxation, acuponcture, etc.) n’ont aucun effet positif. Ils ne font que vider notre compte en banque. Evidemment je généralise un peu, il est probable que certains patients réagissent positivement à certains traitements, mais ces effets ne sont que temporaires et moindres puisque les douleurs reviennent constamment. Et c’est sur cette notion de constance que repose toute la pénibilité de cette affection. En effet, étant chroniques, les douleurs sont permanentes. Quoi que l’on fasse, elles sont là. Elles font partie de nous au même titre que nos membres. Jamais on ne s’en débarrasse. Ce mal est même en constante évolution. Il a un effet boule de neige : plus on avance dans le temps, plus le nombre de douleurs augmente. Elles apparaissent à un instant T et jamais ne repartent. Et même si parfois nous allons mieux, nous n’allons pas pour autant bien mais juste un peu moins mal. Il nous faut alors y faire face avec les seules armes dont on dispose, nos maigres ressources : notre volonté et notre courage. Encore fortement méconnue, les hypothèses explicatives fusent. Il y en a presque treize à la douzaine ! Certains parlent d’anomalie musculaire, d’altération du système endocrinien, d’infection virale, d’anomalie du système immunitaire ; d’autres encore cherchent des mécanismes déclencheurs d’ordre psychologique (stress, traumatisme, dépression, anesthésie) ; etc. Probablement y a-t-il autant d’hypothèses que de symptômes : douleurs musculaires essentiellement rachidiennes ; douleurs osseuses, tendineuses ; hypersensibilité au toucher ; douleur sciatique ; fatigue chronique ; céphalées ; dessèchement et brûlure des yeux ; sensations de brûlures, de bleus, décrasement ; pertes de mémoire ; insomnie ; sensation de rigidité corporelle ; etc. Comme vous le voyez, la liste est longue. On retrouve tout un tas de symptômes très varié puisque l’expression de ce syndrome varie selon chacun. Et ceci est d’autant plus disparate que la moindre personne souffrante ne sachant pas ce qu’elle a, a tendance à parler de fibromyalgie dès qu’elle en a vent (peut-être suis-je moi-même une de ces personnes), ce qui n’aide en rien à l’identification du problème… Toutefois les recherches actuelles semblent démontrer que le problème se situerait au niveau des zones cérébrales de la douleur. Des expériences démontrent l’hypersensibilité de ces zones. Certains spécialistes affirment que nous aurions un seuil de perception de la douleur beaucoup plus bas que la normale, mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette sémantique car lorsque nous nous cognons ou nous blessons, nous n’avons pas plus mal qu’un individu sain. Nous ne sommes pas devenus des chochottes ! Je dirai même que nous sommes encore moins sensibles que les personnes normales tant notre tolérance à la douleur s’est développée. Si nous sommes hypersensibles, c’est seulement à certaines sensations. Les quelles ? Là est la question car même moi je ne saurais les définir. Je ne croyais même pas ces douleurs possibles ! Mais voici néanmoins une sensation à laquelle nous sommes hypersensibles, la sciatique : sans même en avoir une de réelle, nous pouvons évaluer notre mal à 6/10 alors qu’une personne ayant une véritable sciatique l’évaluera à 3/10… Je préfère donc dire que nous réagissons différemment à la douleur. Des chercheurs de Marseille ont découvert que chez les patients atteints de fibromyalgie, certaines régions du cerveau sont trop irriguées, notamment les zones servant à ressentir la douleur, alors que dautres le sont insuffisamment. Cette irrégularité modifierait donc la manière dont le patient ressent et traite la douleur. Seulement, malgré ces découvertes, et même si la fibromyalgie fut évoquée dès 1960, elle reste encore fortement controversée, peu de médecins l’acceptent. Les uns, comprenant que l’absence de relevés anormaux ne prouve pas l’absence de maladie, veulent bien parler de fibromyalgie que ce soit sous forme d’une maladie organique ou psychosomatique ; tandis que les autres, n’ayant confiance qu’en leurs examens médicaux et refusant ce qu’ils ne peuvent comprendre, plus à tort qu’à raison, parlent tout au plus de polyalgie rachidienne... Pour la défense de ces derniers, je dois bien admettre que cette liste faramineuse de symptômes est probablement trop longue, trop variable. Moi-même je la trouve gênante car si je n’avais pas cette maladie, ce listing pourrait me pousser à douter de son identité. Je sais bien que mes symptômes (sciatique, sensations de brûlures, douleurs dorsales et cervicales, douleurs inflammatoires sacrales, pertes légères de mémoire : oublie de mots, etc.) ne sont probablement pas les seuls recevables mais je pense que parmi cette liste, si certains sont bel et bien liés à la fibromyalgie, d’autres le sont probablement à d’autres pathologies (traumatisme physique ; troubles nerveux ; troubles métaboliques ; drogues ; allergies ; carences ; hypocondrie ; etc.), en plus ou non de la fibromyalgie. Je crois que, dans chaque cas, il faut distinguer une part de symptômes due à la fibromyalgie, une autre à d’anciens et nouveaux traumatismes physiques, et une à l’hypocondrie... Ce n’est pas l’un ou l’autre mais un peu des trois. Et si certains médecins ne nous prennent pas au sérieux, il en est de même avec l’administration : alors que nous sommes cloués à nos lits, inertes, incapables de subvenir à nos besoins, incapables de rester 20 minutes debout tant la douleur nous détruit, on nous refuse le statut d’handicapé si essentiel pour trouver un travail adapté. On nous demande d’être compréhensifs, de faire des efforts, de prendre sur nous et de nous adaptés à la société alors que nous sommes amoindris… Oui, l’Etat, du fait de son inaction ― mais aussi du fait de la passivité des citoyens quant à ce sujet ―, exige de manière implicite, que les handicapés s’adaptent à la société, et non l’inverse... Regrettable n’est-ce pas ? Et pourtant là est bien toute la réalité. Voyez-le par vous-même : y a-t-il systématiquement des rampes d’accès pour personnes en fauteuil roulant ? Trouve-t-on des inscriptions en braille sur tout et partout ? Enseigne-t-on le langage des signes à l’école (au lieu de proposer tout un tas de langues profondément inutiles telles que le Latin) afin d’intégrer les victimes du handicap le plus isolant qui soit ? Non, tout simplement non. On ne s’adapte pas à nous car ils se fichent de ce qui est moral et juste si ça ne rapporte rien (j’en veux pour preuve la non commercialisation, pour cause de marché trop restreint et peu rentable, d’un jeu formidable conçu pour les aveugles par le frère d’un ami). Pourtant on ne demande même pas d’aides financières ― encore que j’estime que toute personne lourdement handicapée ne devrait jamais être contrainte à travailler ; elle devrait être totalement assistée financièrement par l’Etat ― mais juste de l’aide pour trouver rapidement un travail idéal et suffisamment rémunéré pour pallier à nos frais supplémentaires. Mais non, selon eux, nous ne sommes pas handicapés… Pourtant, un handicap, selon ma définition, c’est une tare que l’on ne choisit pas, contraignante et que l’on ne peut changer ; et c’est bien le cas ici : cette maladie, on ne la choisit pas, on la subit !
Posted on: Sat, 19 Oct 2013 06:58:47 +0000

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