À Benghazi, la loi des armes très très bon papier de terrain - TopicsExpress



          

À Benghazi, la loi des armes très très bon papier de terrain par Thierry Oberlé REPORTAGE- Alors que la classe politique se divise entre islamistes, modérés et autonomistes, lanarchie la plus totale règne dans le berceau de la révolution libyenne. Une spirale de violence nourrie par lincapacité des autorités à mettre fin aux assassinats et aux attaques des extrémistes. «Only god can judge me» : seul Dieu peut me juger. Laphorisme du rappeur américain Tupac pourrait résumer létat desprit qui prévaut à Benghazi, berceau de la révolution libyenne. Il barre la lunette arrière dune Kia rouge garée en bordure dun terrain vague du centre-ville. Son propriétaire, un jeune homme aux cheveux gominés, a monté dans la pénombre son stand devant sa voiture. Cest un vendeur du souk aux armes. Livrée à une apparente anarchie, Benghazi est une contrée de «western». À la nuit tombée, entre le grand marché et le siège dune banque, les vendeurs proposent sur des étals de foire des armes de poing, des pistolets-mitrailleurs, des fusils à pompe, des grenades. Ils vantent leurs produits dans ce showroom à ciel ouvert en tirant en lair. Prix dune kalachnikov: 2.500 dinars (1.500 euros). «Elle se vendait à 1.500 dinars (900 euros) au lendemain de la révolution. Ça monte car la demande est importante. Cest le signe que les gens se sentent en insécurité et sont prêts à se défendre. Le pistolet est à environ 6.000 dinars, il est plus cher car plus pratique, discret et facile à porter sur soi», assure Abdallah, un ex-rebelle revenu, si lon peut dire, à la vie civile. Les armes lourdes - lance-roquettes, RPG - sont présentées, par prudence, en pièces détachées pour éviter quelles ne tombent dans les mains de la police en cas dimprobable descente. Bombe découverte devant un hôpital, kidnappings crapuleux, querelles entre automobilistes réglées à la kalachnikov, terminaux pétroliers fermés depuis juillet. Lanarchie règne dans la capitale de la Cyrénaïque, cette région orientale de la Libye marginalisée sous Kadhafi, tandis que la classe politique se divise entre islamistes, modérés et autonomistes qui ont formé un gouvernement fantôme. «En rentrant dexil des États-Unis ou dEurope, on espérait instaurer une démocratie basée sur le droit, la justice et la liberté mais ladministration ne fonctionne pas. Il ny a pas de police, pas darmée, des fonctionnaires incapables. Cela va être long, très long…» commente Ahmed Langhi, un notable, membre dun Parlement national paralysé par les rivalités. Une fatwa envoyée par texto En ce soir de Nouvel An du calendrier musulman, lopérateur de réseau mobile Almadar a expédié à ses abonnés, une fatwa du grand mufti de Tripoli, le cheikh Sadik al-Ghariani. «Tu ne tueras point sous peine daller en enfer» prévient le texto. Lavis juridique du religieux na pas sauvé Souleiman al-Fissi. Cet officier du renseignement militaire a été tué dans lexplosion de sa voiture. Sa femme a perdu ses jambes et ses deux enfants sont gravement blessés. «Ils sen prennent même aux enfants, protestent ses proches rassemblés devant lhôtel Tibesti. Un assassinat comme les autres. Plus de 150 militaires et policiers ont été abattus au cours des derniers mois», affirme un journaliste local qui préfère garder lanonymat. À Benghazi, lincapacité des autorités à mettre fin aux assassinats et aux attaques incite à la méfiance. Qui tue? Pour quel mobile? Depuis Tripoli, le ministère de lIntérieur affirme que les responsables sont connus et vont être arrêtés. Des propos accueillis par des haussements dépaules en Cyrénaïque. Tareq el-Karaz, un porte-parole de la police de Benghazi, na pas grand-chose à déclarer. «Cest de pire en pire! Les tueurs ciblent des militaires, mais nous ne savons pas qui ils sont, reconnaît-il. - Et que fait la police? - Les policiers restent chez eux car ils ont peur darrêter des criminels qui vont ensuite se venger. - Vous avez peur? - Il est dangereux de parler franchement de ces affaires. Jai deux gardes du corps, nul nest à labri: même le premier ministre sest fait kidnapper.» Inutile denquêter au tribunal. Le palais de justice a brûlé comme de nombreux commissariats. Il est parti en fumée dans un attentat commis en juillet, au lendemain de lévasion spectaculaire des 1 300 détenus de la prison de Benghazi et de lassassinat dAbdulassalam Elmessmary, un activiste politique connu pour ses prises de position anti-islamistes. Cet avocat revenait de la prière avec son ami Jamal Bennour, magistrat et ancien maire de Benghazi. Avant dêtre abattu dans une rue déserte, il avait participé à laventure du Conseil national de transition (CNT) soutenu par la France qui avait envoyé ses avions de chasse le 19 mars 2011 pour sauver la ville de lavancée des troupes kadhafistes. Depuis, il sétait fait remarquer en critiquant la loi dite d«isolement politique». Jugé liberticide, le texte écarte du pouvoir tous ceux qui ont servi de près ou de loin sous le régime du raïs libyen, soit un peu tout le monde à lexception des islamistes radicaux. «Les extrémistes religieux libyens ont échoué en Afghanistan. Ils ne sont pas parvenus à simposer par le combat en Irak ou en Somalie. Pourquoi y parviendraient-ils chez nous?» sinsurge le juge Jamal Bennour, pour qui «il existe sans doute une liste noire dont les noms sont barrés un à un». Le rêve dun État islamique Pour comprendre la spirale de violence, il faut remonter au 17 février 2011, le jour du soulèvement de la capitale de la Cyrénaïque contre la dictature. Tandis que la foule fête la prise de la ville par les insurgés, des islamistes foncent sur la Katiba, lancien centre du pouvoir de Kadhafi installé dans des casernes, pour mener une razzia dans les archives de la police et des services de renseignements. «Ils ont raflé les dossiers dannées de répression et ont dressé la liste de leurs inquisiteurs. Ils ont commencé très tôt à se venger et ce nest pas fini», croit savoir un bon connaisseur des arcanes de Benghazi. «La révolution est partie de chez nous mais ils veulent aller dans une direction différente. Leur objectif est de créer un État islamique», poursuit-il. Certains assassinats dofficiers paraissent liés au meurtre du général Abdel Fattah Younès, le prestigieux chef détat-major des brigades anti-Kadhafi et ancien proche du Guide libyen tué dans un mystérieux règlement de comptes en juillet 2011, mais les investigations naboutissent jamais. «La seule personne arrêtée en lien avec les assassinats a réussi à séchapper de sa prison à Tripoli», confie un chercheur dHuman Rights Watch. Arrêté en décembre 2012, Ali al-Fezzani a admis sa participation à plusieurs meurtres dofficiers. À peine connue, la rumeur de ses aveux provoquait une émeute devant les locaux du département denquête criminelle de Benghazi. Des manifestants armés en colère accusaient la police davoir torturé le suspect. Exfiltré vers la capitale, il parvenait à senfuir six mois plus tard du quartier général de la garde nationale à Tripoli. On ne lentendra plus affirmer que les commandants de milices islamistes de la région ont donné lordre de tuer et considérer ces meurtres acceptables puisque cest «halal» (autorisé par la religion) de supprimer des militaires et des fonctionnaires du gouvernement. La piste conduit pourtant aux gros bonnets de la mouvance islamiste paramilitaire de Benghazi et en particulier vers des dirigeants dAnsar al-Charia, impliqués dans lattaque du consulat des États-Unis qui a coûté la vie à lambassadeur américain Christopher Stevens le 11 septembre 2012. Les journalistes vus comme des espions Cest quen parallèle des opérations punitives, une campagne de terreur vise aussi à chasser les Occidentaux. Dès mai 2012, les locaux de la CICR ont été attaqués par une milice qui accusait la Croix-Rouge de distribuer des bibles. En janvier dernier, des hommes armés ont ouvert le feu sur la voiture du consul dItalie. Ce climat dinsécurité a poussé les missions diplomatiques étrangères et les organisations internationales à se retirer de la ville. Peu de temps après la prise dassaut du consulat américain, des habitants ont bien tenté de réagir. Une manifestation de protestation baptisée un «Vendredi pour sauver Benghazi» sest tenue mais elle fut suivie du meurtre dun proche des organisateurs. De quoi décourager les bonnes âmes. «Il vaut mieux ne plus descendre dans la rue. En juin, il y a eu plus de 30 morts lorsque des miliciens islamistes de «Bouclier pour la Libye» ont tiré sur des protestataires qui réclamaient leur départ», assure Misbah al-Awami, lanimateur du forum de la société civile de Benghazi. Chassée de lhôpital Benghazi Medical Center (BMC) où elle filtrait les entrées, la milice Ansar al-Charia, lune des plus puissantes de lest de la Libye, garde désormais la porte ouest de la ville en direction de Syrte et de Tripoli. Dans leur fief du vieux Letti, ses partisans adoptent un profil bas. Ce grand quartier populaire a servi de vivier aux recruteurs de combattants pour la guerre en Irak. Au quartier général dAnsar al-Charia, laccueil est glacial. Un drapeau noir flotte à côté du portail ouvert et aussitôt refermé par des jeunes salafistes, en tenue afghane, lourdement armés. Les gardiens prennent des airs suspicieux. Les journalistes étrangers sont à leurs yeux tous des espions. «Nous avons pour consigne de ne pas vous recevoir. Nos chefs naccordent plus dinterview car les médias déforment leurs propos», explique le chef des plantons. Ansar al-Charia ne reconnaît lautorité «daucun ministère, daucune institution gouvernementale ou daucun appareil dÉtat». Dans lombre, ce mouvement et dautres comme le nouveau groupe armé extrémiste lArmée pour un État islamique en Libye tissent leur toile. Des armes sont stockées dans les montagnes de Derna transformées en base arrière djihadiste des partisans dal-Qaida. De quoi entretenir, dans un pays livré au chaos, un futur foyer dinsurrection. Thierry Oberlé lefigaro.fr selection & comment La Demeure du Chaos - The Abode of Chaos
Posted on: Sat, 23 Nov 2013 22:14:24 +0000

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