À tous ces communistes sentant sous leurs pieds leur monde - TopicsExpress



          

À tous ces communistes sentant sous leurs pieds leur monde politique saffaisser, le XXe Congrès ôta encore quelques points dappui en révisant nombre de dogmes du mouvement international : les théories « staliniennes » (encore que Staline neut pas grande difficulté à les appuyer sur quelques extraits choisis de Lénine) de linéluctabilité de la guerre entre les États capitalistes et le/les États(s) socialiste(s), de laggravation de la lutte des classes après la prise du pouvoir par le prolétariat (labandon de cette thèse fut durement reproché aux Soviétiques par les Chinois), de la crise générale du capitalisme (aussi inéluctable que la guerre - et y menant non moins inéluctablement), de la voie unique vers le socialisme et enfin de la nécessité de lunité organique de la classe ouvrière, cest-à-dire du parti ouvrier unique (fondé sur le « socialisme scientifique » marxiste-léniniste). Sur tous ces points, le XXe Congrès procède à des révisions déchirantes. Au caractère inéluctable de la guerre entre États capitalistes et États socialistes (au pluriel depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale), on va désormais opposer la coexistence pacifique entre systèmes concurrents, mais non plus adversaires. À la théorie de laggravation de la lutte des classes après la prise du pouvoir central dÉtat par le prolétariat (cest-à-dire par le PC), on va substituer la proclamation de lÉtat soviétique comme « État du peuple entier » (il est vrai que toute opposition a été détruite et que la collectivisation forcée de lagriculture, de lindustrie et des échanges a privé de toute « base de classe » déventuelles forces de contestation politique du système stalinien et post-stalinien). La crise générale du capitalisme, elle, nest plus donnée pour inéluctable - ce qui rend crédible la proposition dune collaboration (et dune compétition) pacifique avec le capitalisme ; en même temps, lon affirme une volonté de rompre avec l« idéologisation » de la recherche scientifique et de la création culturelle, tirant ainsi un trait sur les aberrations intellectuelles des décennies précédentes (celles de Lyssenko, de Mitchourine, de Jdanov, …). Plus « perturbatrices » encore pour les communistes occidentaux, et plus provocatrices de débat pour les socialistes, furent les remises en cause de lunicité de la voie au socialisme, de limpossibilité dune voie démocratique au socialiste, et de lunité organique (au sein du parti unique) de la classe ouvrière. Le XXe Congrès, en effet, admit quil pût y avoir plusieurs maisons dans la demeure du Seigneur, plusieurs voies conduisant au socialisme, en fonction des caractéristiques nationales et des contextes spécifiques de chaque État. Le parcours russe nétait donc plus la voie obligée, et le développement historique, politique, économique et socioculturel de chaque pays devenait déterminant dans le choix des stratégies et des méthodes de conquête du pouvoir. Cétait reconnaître la validité théorique de largumentation théorique « titiste », et affirmer à nouveau la nécessité de procéder à une « analyse concrète de la situation concrète ». En somme, cétait donc redevenir léniniste. Mais le principe léninien était en vérité destructeur des fondements de linternationalisme léniniste : « Il ne sagit pas ici seulement de labandon dun principe de Staline, mais de toute lactivité de lInternationale communiste et du léninisme lui-même. La création de lInternationale communiste et son activité avaient pour but dappliquer lexpérience russe (…) aux autres pays et à leur mouvement ouvrier, de la leur imposer. Encore à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque certains chefs communistes des démocraties populaires tentèrent de faire de la démocratie populaire une méthode originale de conquête et dexercice du pouvoir, sans dictature du prolétariat à la manière russe, Staline condamna cette tentative comme une dangereuse hérésie. » (Jules Humbert-Droz, op. cit., p. 15) Le PCUS admit même la légitimité dune recherche du pouvoir par le moyen des élections et du parlementarisme - et donc du respect des institutions politiques « bourgeoises » et du pluralisme. Anastase Mikoyan : « Grâce au rapport des forces de classe et à la situation générale favorable dans le pays, la classe ouvrière acquiert la possibilité, en liaison avec la paysannerie et sous sa propre direction, dunir la majorité du peuple et darriver au pouvoir pacifiquement, sans insurrection armée, sans guerre civile, en utilisant les institutions parlementaires existantes. » (cité par Jules Humbert Droz, op. cit., p. 16). Certes, on fonctionne encore à partir de catégories héritées du léninisme (lalliance ouvriers-paysans, la direction du peuple par la classe ouvrière), mais lusage que lon en fait aboutit à une révision de ce léninisme, ce que Chinois et Àlbanais comprirent parfaitement : lépithète de « révisionnistes » accolée aux Soviétiques fut un constat avant que dêtre une injure). Lénine reconnaissait bien une utilité à laction parlementaire et à lusage des moyens de la démocratie bourgeoise, mais une utilité limitée à lagitation et à la propagande ; il ne pouvait être question de « cultiver lillusion » dune instauration du socialisme par ces moyens, il nétait question que den user pour « couvrir » une action révolutionnaire, une politique de rupture. Les communistes soviétiques semblent ainsi, en 1956, prendre en compte lexpérience du mouvement social-démocrate, et admettre quelle pût être de quelque utilité aux communistes occidentaux… » Mais combien de temps les communistes de Grande-Bretagne, de Scandinavie, de Belgique, dAutriche et de Suisse emploieront-ils pour conquérir le pouvoir par laction parlementaire ? », questionne ironiquement Jules Humbert-Droz (ibid.), qui se garde cependant bien de toute prédiction à propos de lItalie ou de la France… En même temps que cette reconnaissance de la valeur, au moins instrumentale, des traditions démocratiques « bourgeoises » occidentales pour la classe ouvrière, le PCUS va (re)faire une autre découverte dérangeante : celle de la nécessité de lunité daction avec les partis socialistes et les syndicats. Cest reconnaître aux autres courants historiques du mouvement ouvrier une légitimité que Lénine leur avait déniée ; cest donc rompre avec la prétention communiste au monopole de la représentativité politique de la classe ouvrière, et cest abandonner tout objectif dunité organique de la classe ouvrière au sein des PC occidentaux et des syndicats à eux liés (il ne sera cependant jamais question, avant que sa faillite ne soit devenue évidente, dabandonner en URSS le système du parti unique et du syndicat « courroie de transmission » : le pluralisme politique - et donc le multipartisme - et syndical ne refera surface, en tant que revendication dabord, que sous Gorbatchev). En proposant (à nouveau) le « front populaire » en lieu et place du « front unique », les Soviétiques admirent quen Europe occidentale, « le pouvoir ne peut être conquis quen accord avec les partis socialistes et les syndicats libres » (Humbert-Droz, ibid.). Pour autant, les communistes ne renonceront pas à prendre la tête de ces « fronts » (le modèle des « démocraties populaires » aidant), ni à déterminer - en leur faveur - le contenu de cette unité : « Les communistes tentent de nouveau par des manœuvres de front unique et de front populaire10 de collaborer avec le mouvement socialiste. Mais après les expériences faites par les partis socialistes de lEst de lEurope à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est peu probable que cette tactique de désagrégation et de destruction du mouvement socialiste ait quelque succès. Les partis socialistes sont sur leurs gardes. » (Jules Humbert-Droz, ibid.) Le mouvement socialiste, en effet, na pas oublié que, quelques années avant le « tournant » du XXe Congrès, les communistes occidentaux, dans la foulée de leurs camarades « centraux » et « orientaux », ne concevaient lunité du mouvement ouvrier quen termes de disparition de son aile social-démocrate ; ainsi, Maurice Thorez, en 1952 : « Ce que nous voulons quand nous proposons le front unique, cest éliminer complètement linfluence du Parti socialiste sur la classe ouvrière » ; et Palmiro Togliatti, en 1949 : « Le fait que la social-démocratie de droite (ait) cessé dexister dans les pays de démocratie populaire doit être considéré comme une grande victoire de la cause de lunité ». Thorez et Togliatti sont cités par Humbert-Droz, (op. cit., p. 17), qui ajoute perfidement : « le sort de Nicole, à Genève, est un exemple tragique et vivant des conséquences du front unique avec les chefs communistes » (dont le même Humbert-Droz oublie évidemment de préciser quil était, avant de revenir au bercail socialiste). Le « révisionnisme khrouchtchévien » (pour parler chinois) eut donc pour effet de conforter les certitudes des socialistes ; cest encore Humbert-Droz qui lexprimera ici (avec dautant plus de crédibilité quil aura, « tâté des deux églises » - ce qui est bien le moindre de lœcuménisme de la part dun ancien pasteur) : « Les petits partis communistes11 sont partout un obstacle à lévolution démocratique vers le socialisme. Par leur longue soumission aux directives de lÉtat russe, ils se sont placés eux-mêmes en dehors de la communauté nationale, et par leur surenchère démagogique, hors du mouvement ouvrier de leur pays12. Lunité de la classe ouvrière ne peut se réaliser dans la plupart13 des pays occidentaux que par la dissolution des partis communistes (…) La perspective révolutionnaire de 1920, sur laquelle était basées les 21 conditions, est depuis longtemps disparue, mais la scission provoquée dans ces conditions est restée. Il est temps quelle soit liquidée. Le premier pas dans cette voie fut la dissolution du Kominform. Si la tactique de lunité ouvrière est autre chose quune nouvelle manœuvre contre le socialiste démocratique, dautres décisions devront suivre (…). ce serait donc une grave faute que de former maintenant dans nos pays occidentaux des « communautés daction » ou des « fronts communs » avec les petits* partis communistes. La conséquence immédiate serait denrayer le mouvement amorcé et déveiller dans le mouvement communiste de nouveaux et faux espoirs quil sera possible de liquider les organisations socialistes et syndicales occidentales comme ce fut le cas dans lEst de lEurope. » (Jules Humbert-Droz, op. cit., p. 17-18). Humbert-Droz croit dailleurs pouvoir déceler, au sein du mouvement communiste, une tendance favorable au « retour dans la vieille maison » - et donc à la dissolution des partis communistes dans les pays occidentaux « et dans nombre de pays coloniaux où les communistes entravent leffort de consolidation et de construction nationale » (à vrai dire, les socialistes des États colonisateurs ne sont pas en reste lorsquil sagit dentraver lémancipation des colonies, et donc de « construction nationale » des peuples colonisés: lexemple de la politique algérienne de la SFIO nest pas si lumineux quil puisse être opposé à celui du PCF : les communistes français ont été complices de la Guerre dAlgérie - du moins à ses débuts -, mais les socialistes lont menée…). Le même auteur décèle cependant quelque pusillanimité dans lattitude de la tendance « démocratique » au sein des partis communistes : ceux qui en participent « nont pas le courage de prendre eux-mêmes les décisions qui simposent. Ils ont une telle habitude dattendre les directives de Moscou quils ne peuvent plus penser et agir dune façon indépendante. Ils sont restés staliniens » (ibid.). Staliniens, les nouveaux dirigeants soviétiques le sont aussi restés, même dans leur volonté de révision : « La liquidation du stalinisme sopère encore par des méthodes staliniennes » observe Humbert-Droz, qui les connaît bien. Par des méthodes staliniennes, et par un personnel stalinien : Khrouchtchev, Molotov, Mikoyan, Boulganine, Vorochilov, Joukov - et derrière eux, sous eux, ceux qui leur succéderont : Andreï Andreïevitch Gromyko, Kossyguine, Léonid Brejnev, Mikhaïl Souslov… nétaient pas des « opposants » à Staline (ceux-là étaient dans les camps, quand ils avaient survécu), si certains dentre eux (tel Joukov) purent être considérés, surtout par Staline lui-même, comme des « concurrents » potentiels. Que lon sache, les successeurs de Staline, et les déboulonneurs de sa statue, ne furent pas en reste dapologies du Petit Père des peuples lorsque celui-ci vivait, régnait, et les surveillait… De cette encombrante paternité stalinienne, et de leur non-opposition à Staline de son vivant, Khrouchtchev et le Comité central de 1956 ont donné deux explications : lune policière, lautre psychologique. La policière : sopposer était impossible, sauf à y perdre la vie, du fait de la mainmise de Beria sur lappareil répressif ; la psychologique : le « culte de la personnalité » avait fait de tels ravages que sattaquer à Staline eût été perçu par les « masses populaires » comme une trahison. Lexplication policière ne manque pas dêtre crédible : sauf à cultiver le goût du martyre (au double sens de « sacrifice » et de « témoignage », mais dun témoignage envers qui, quand la répression sopère dans le silence épais dun peuple à la fois terrifié et catéchisé, sans autre source dinformation que les media officiels ?). Et, sagissant de lexplication psychologique, on sait bien, par des témoignages de la force de celui dArtur London et dArthur Koestler, par quels tourments pouvait passer un communiste que sa fidélité au parti rendait capable de dire et décrire nimporte quoi pour peu que le parti lexigeât. Le XXe Congrès remit dailleurs en cause la répression de masse, ses moyens et ses instruments : lÉtat de droit fut supposé succéder à lÉtat policier, on proclama labolition des camps de travail forcé, les droits des prévenus et des accusés furent affirmés : « Il va sans dire que lavenir dans ce domaine dépend essentiellement de la façon dont le parti dirigeant et les organes de lÉtat appliqueront les décisions et les intentions », commente Humbert-Droz (op. cit., p. 13), qui visiblement doute que cette application se fasse strictement. La démocratisation du parti, de lÉtat et du procès de décision économique pouvait être posée comme une condition de la rupture avec lÉtat policier, mais à cette démocratisation, la direction du parti sempressa de poser de strictes limites, en affirmant non seulement la pérennité de son rôle dirigeant, mais en précisant aussi que la « direction collective » dont on affirmait le principe ne serait appliquée quaux organes du parti et de lÉtat, et non aux entreprises et à la vie économique : pas question d« autogestion » à la yougoslave, donc. Mais même ainsi limitée, cette volonté de démocratisation put être mise en doute sitôt exprimée : « Peut-on croire aujourdhui que ces responsables du régime stalinien soient capables de procéder à une démocratisation du parti et de lÉtat ? Leurs méthodes restent des méthodes dictatoriales. Même si cest un directoire qui momentanément prend les décisions, le tournant est imposé den haut (…). Les divers partis communistes de létranger acceptent aussi - souvent du bout des lèvres - les nouvelles directives à lunanimité. » (Jules Humbert-Droz, op. cit., p. 19) La porte ouverte (prudemment) par Khrouchtchev et les siens le fut suffisamment largement pour que sy engouffrât une contestation excédant de beaucoup ce que la direction soviétique était prête à assumer : « En Union soviétique et dans quelques partis communistes étrangers, des ouvriers et des intellectuels se sont levés au cours des discussions sur les décisions du Xe congrès pour affirmer que toute la ligne politique de ces dernières décennies était fausse et pour la critiquer. (…) Des militants dÉtats satellites (ont) condamné la soumission de leur pays et de leur part aux ordres du Kremlin. Mais comment lactuelle direction collective a-t-elle réagi à ces premières manifestations démocratiques de la base du parti ? Les membres du parti qui ne se sont pas contenté de répéter les critiques exprimées par la direction et qui ont essayé daller plus loin dans lanalyse des fautes commises ont été stigmatisés (…) comme des éléments corrompus et dangereux et des ennemis du parti et du socialisme. Cela aussi cest du stalinisme ! » (Jules Humbert-Droz, op. cit., p. 19) Les admonestations de la direction du PCUS purent certes freiner le mouvement de contestation en URSS, mais pouvaient-elles limiter l« ébranlement » provoqué dans le mouvement communiste international par la remise en cause du stalinisme qui avait été sa référence, sa logique et son langage pendant trente ans ? Ce que le XXe congrès ébranla, lintervention soviétique en Hongrie achèvera souvent de le faire seffondrer. En attendant cette seconde secousse, des communistes remettent un peu partout en cause ce quils avaient jusque là adoré, affirmé ou soutenu. Dénonciation il y eut donc, mais sans grand effet (sinon celui, déjà considérable, de faire sortir des camps les centaines de milliers de déportés « nationaux » quon y avait entassés). Il faudra attendre le souffle de liberté apporté par le réformisme gorbatchévien pour que les Tatars de Crimée, les Allemands de la Volga, les Baltes, les Arméniens, les Géorgiens, les Tchétchènes, etc. osent publiquement, et massivement, exiger à la fois le respect de leurs droits nationaux et la répudiation de lhéritage stalinien. La « détente » à lextérieur est une condition sine qua non de la « démocratisation » à lintérieur - cette démocratisation rendant dailleurs cette détente possible. Les choix politiques du XXe Congrès visaient lune et lautre, ce qui ne laissait pas de satisfaire les socialistes - même si, à linstar de Humbert-Droz, cette satisfaction se teintait dune prudence et dune méfiance manifestes, voire dune certaine incrédulité (ou dune incrédulité certaine) quant aux chances dune réforme du système soviétique qui nen changerait pas les règles fondamentales de fonctionnement - sachant quun tel changement remettrait en cause le système lui-même : « Les « réformistes », ici, ne sont plus ceux que lon croyait, et les plus anticommunistes dentre les sociaux-démocrates ne se firent pas faute de clamer leur certitude que le système soviétique nest pas réformable dans le respect de ses propres règles, et que seul un changement fondamental de ces règles (bref : une révolution) peut rendre crédibles les intentions affichées par la nouvelle direction du parti et de lÉtat ; a contrario, les « révolutionnaires » pro-soviétiques proclament leur confiance en la capacité du système soviétique de sauto-réformer. Ce paradoxe posé, ajoutons que tous, « réformistes » et « révolutionnaires », pro- et anti-soviétiques, regardent ce qui se passe en URSS avec une attention passionnée. Lenjeu est en effet considérable, enjeu stratégique mais aussi enjeu théorique : il sagit de la paix, mais aussi, pour reprendre les termes de Humbert-Droz, de « la réalisation du socialisme et de la liberté », et du contenu même que lon va tenter de donner, concrètement, à ces termes. Humbert-Droz, encore : « Nous ne considérons pas les décisions du XXe congrès du Parti communiste de lURSS comme un tournant fondamental et décisif de la politique de la Russie. Elles ne représentent quun premier pas, certes important, pour liquider le passé terroriste de Staline et inaugurer un certain relâchement de lappareil policier. (…) Les forces du socialisme démocratique peuvent accélérer ou ralentir ce développement par leur attitude et leur politiques propres. Ce nest pas en admirant tout ce que les Russes font ou promettent que les socialistes et le monde libre accéléreront ce développement, ce nest surtout pas en faisant des partis communistes qui, aujourdhui comme hier, vont chercher conseils et directives à Moscou, leurs alliés. (…) (Des) questions de principe (nous) séparent aujourdhui comme hier des communistes : le principe de la démocratie et la conception fondamentale du socialisme et du parti. Jamais nous ne confondrons le capitalisme dÉtat (…) avec le socialisme. Cette confusion fut la grande falsification historique et la grande duperie de Staline. Àvec Marx, nous pensons que la société socialiste doit être une libre association des travailleurs dans laquelle lÉtat, en tant que domination des hommes, deviendra superflu et mourra. (…) Le socialisme ne signifie pas autre chose que la démocratie économique et sociale (qui) permettra une démocratisation de lÉtat et de la société (…) doit encore être créée et les chefs actuels (de la Russie) nont pas lair de sen rendre compte. » (Jules Humbert-Droz, op. cit., p. 35-36) Cest ici, encore une fois de la nature même du régime et du système soviétiques dont il sagit ; de son caractère « socialiste » ou non - et, puisque nous nous mouvons dans les catégories historicistes du marxisme, du parcours historique qui mena au stalinisme. Ce parcours nous apparaît comme une succession de réductions : lhistoire du mouvement révolutionnaire russe a ainsi comme une forme dentonnoir, du plus large à ses débuts, lorsque ce mouvement pose la Rodnina (la patrie, la Russie entière) comme référence, au plus étroit à son terme, où tout finit par passer par lAparat (lappareil du parti-État). La discipline stalinienne est à la fois collective et individuelle ; collective, elle simpose à des organes dont on exige quils exécutent avec zèle les ordres des organes supérieurs, de haut en bas de la pyramide du « centralisme démocratique » ; individuelle, elle simpose à des hommes et des femmes dont on exige quils remplissent des tâches conformément à la définition donnée par les « responsables », mais dont on attend en même temps quils assument toutes les responsabilités dun éventuel échec : le parti ne se trompe jamais, seules les personnes sont faillibles ; la politique du parti ne saurait être erronée, elle ne peut quêtre mal appliquée, ou malignement faussée, ou sabotée. Lautocritique des échecs ou des erreurs ne mettra plus jamais en cause, jusquau XXe Congrès, le parti et sa direction - et encore le XXe Congrès prit-il bien soin de distinguer le parti et sa direction, de disculper le premier des crimes de la seconde et dattribuer à celle-ci, et personnellement à Staline et Beria, la responsabilités d« erreurs » qui, dès lors, ne purent être attribuées ni à lensemble de la direction du parti, ni et encore moins au parti lui-même, et évidemment pas du tout au « système », le parti étant dailleurs considéré comme une « victime de Staline ». Cest par une logique stalinienne que lon explique en 1956 le stalinisme : les crimes de la « période du culte » sont dus aux erreurs des uns, à lincompétence des autres, à la folie de quelques-uns et aux trahisons et aux sabotages des « ennemis ». Responsables politiquement, les « organes » rendent les hommes responsables individuellement. À chaque défaillance réelle dun organe du parti va correspondre la défaillance officielle dun individu ou dun groupe dindividus, parfois de lensemble des responsables de lorgane en question - mais sans que jamais celui-ci, en tant que structure, quélément de lappareil du parti, soit contesté : Iejov, Iagoda, Beria (mais pas Dzerjinski) ont fauté, mais ni le NKVD, ni le Guépéou (et évidemment pas la Tcheka). Les structures pourront ainsi perdurer, lors même quelles auront été « purgées » de leurs dirigeants, de leurs cadres, voire dune partie de leur personnel. Rien de moins marxiste, évidemment, que cette conception policière et bureaucratique des responsabilités, mais rien de plus efficace, du moins à court terme. Synthèse[modifier | modifier le code] Les 24 et 25 février 1956 : clôture du XXe Congrès du PCUS. Dans la nuit du 24 au 25 février 56, la lecture du fameux “rapport Khrouchtchev” devant les délégués du PCUS médusés, ne fait que confirmer ce que tout le monde savait depuis longtemps. Cependant, en dénonçant les crimes de Staline, Khrouchtchev détruit le mythe de linfaillibilité du « socialisme scientifique, avenir radieux de lhumanité et énigme résolue de l’Histoire ». Les conséquences directes seront triples : LInsurrection de Budapest (Hongrie) en octobre 1956, dont l’impitoyable répression : 10 000 morts sous la direction de l’ambassadeur Iouri Andropov, éloignera du communisme nombre d’intellectuels occidentaux et de larges couches de l’opinion publique en Europe ; Larrivée au pouvoir de Gomulka en Pologne (lOctobre polonais) qui obtiendra la décollectivisation des terres et la restauration d’à peu près toutes les libertés religieuses (libération du cardinal-primat, enseignement religieux aux enfants, etc.). Même si le PC maintient sa pression sur l’Église Catholique, le socialisme “à la polonaise’’ représente la première brèche idéologique que l’Union Soviétique est obligée de tolérer dans son empire et sur laquelle elle ne pourra jamais revenir ; La rupture sino-soviétique, d’abord sous la forme d’un conflit entre partis avant de devenir un conflit entre États. Dans un premier temps, le PC chinois refusera d’admettre la condamnation de Staline puis reprochera au PCUS sa compromission avec le “camp impérialiste”, notamment lors de la crise de Cuba. Ce conflit sera une donnée majeure des années 1960 et aboutira à un quasi-renversement des alliances lors du voyage de Nixon à Pékin en février 1972. Notes[modifier | modifier le code] ↑ a, b, c, d, e, f, g, h, i et j François Brévent, « Abattre Staline sans toucher au système », Le Monde, 16 février 1986, p. 2. ↑ qui ne fut pourtant, non plus dailleurs que Khrouchtchev, le moindre des staliniens ↑ Son grand rival, Malenkov, avait été plus directement que lui associé aux purges de lavant-guerre, et lui-même était peut-être de tous les hauts dirigeants soviétiques le moins directement impliqué dans les crimes de « la période du culte » ↑ Il sagit du texte connu comme « testament de Lénine » et dans lequel Lénine, ce que ne dit évidemment pas le Comité central de 1956, exprime une assez évidente préférence pour Trotski (tout en critiquant son « arrogance » intellectuelle) face à Staline, Zinoviev ou Kamenev. ↑ Que les décisions du XXe Congrès aient eu un « large retentissement » dans tous les partis communistes, cela ne fait aucun doute ; quelles y aient été unanimement approuvées, cela est bien moins évident : les Chinois et les Albanais, en tous cas, montrèrent quelques années plus tard la piètre estime en laquelle ils les tenaient, et qualifièrent de « révisionnisme » ce que les Soviétiques de 1956 présentèrent comme un retour aux principes léninistes. En arrière-fond, on peut aussi entendre le ricanement yougoslave… ↑ « Du courage que pour quelques heures » ? Il y a des heures qui durent des décennies : vingt-cinq ans après Poznan, ce sera Gdańsk, et dix ans plus tard, la chute du régime « communiste » polonais. Et de tous les autres régimes du « glacis » soviétique. Puis du régime soviétique lui-même… ↑ Cité par Jules Humbert-Droz, Le tournant de la politique russe après la mort de Staline, Coopératives Réunies, La Chaux-de-Fonds, 1956, p. 3 ↑ Y compris sans doute, pour Humbert-Droz, Trotski. ↑ « Sensationnelles » pour qui ? Pour qui navait pas lu (ou pas voulu admettre) ce quen avaient écrit les « oppositionnels »… ↑ « Front unique » ou « Front populaire » ? Les deux stratégies sont contradictoires : la première suppose lunité organique au sein du PC, ou dun « front » totalement contrôlé par lui, la seconde suppose lunité daction entre organisations indépendantes les unes des autres (PS, PC, formations indépendantes de gauche). ↑ Les « petits » partis communistes (comme le PdT), mais pas les « grands » (le PCI, le PCF,…) ? Serait-ce que ceux-ci sont décidément (encore) de « trop gros morceaux », des forces (encore) « incontournables » ? ↑ Hors du mouvement ouvrier de leur pays, les « petits » partis communistes ? Cest souvent trop dire, sauf à réduire à des conditions arithmétiques les conditions politiques dappartenance (ou non) à un mouvement ouvrier national : le Parti du Travail nétait pas « hors du mouvement ouvrier » suisse… ↑ La plupart ? Mais lesquels ? Ceux-là seuls où le PC est si « petit » quil ne pourra offrir aucune résistance à sa dissolution ? Mais cétait le cas de la Suisse en 1940…
Posted on: Sat, 19 Oct 2013 02:13:09 +0000

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