30 - UN AMOUR PLUS QUE PARFAIT D écembre 1961. C’était un - TopicsExpress



          

30 - UN AMOUR PLUS QUE PARFAIT D écembre 1961. C’était un Lundi. Il est 19 heures. Voilà une heure que le couvre feu a envahi petit à petit, comme un nuage toxique, Théniet-El-Had. Il n’est pas conseillé de mettre le nez dehors. Le char à chenille avec ses deux mitrailleuses va commencer ses rondes de surveillance de la ville. Le Village Nègre de Théniet-El-Had s’apprête à passer la énième nuit l’âtre éteint par manque de bois. Un vent glacial fait hurler les branches des peupliers du cimetière chrétien. Les masures miséreuses du haut sont voisines des deux cimetières. Les habitants des « gourbis » sont des morts vivants, mais ils ont dans le cœur le soleil qui leur manque durant cette saison hivernale. Les maisons d’en bas, en bordure du Boulevard de Taza, sont de type traditionnelle construites en dur, avec une cour intérieure dallée et des chambres tout autour du patio… Parmi elles, la petite maison de Berayhane et de sa femme Bakhta, située à quelques mètres du Boulevard de Taza. Théniet-El-Had commence à s’assoupir dans le silence de la nuit quand, soudain, deux coups de feu déchirèrent ce silence suivit, dix minutes plus tard, d’une troisième détonation. C’était plutôt une déflagration vu son intensité. Quelques voisins se hasardèrent au seuil de leur porte. Tous s’interrogèrent du regard. - C’est des coups de fusil de chasse, dit l’un - Je crois que ça vient de chez Berayhane, réplique l’autre. - Le troisième coup était une explosion ! Au Village Nègre il ne s’y passe rien d’extraordinaire entre habitants. Il dort et s’éveille dans l’incognito des colons qui habitent, eux, de superbes villas du Filèdj Djedid qui est agrémenté d’une superbe fontaine lieu de rendez-vous des jeunes colons. A la « graba » tous les habitants se connaissent parce qu’ils sont, presque tous, unis par des liens de parentés. Commençons d’abord par Benyala, qui tient la petite épicerie du coin qui est un cousin à Kouider, le marchand de bois et charbon ,l’ami et le voisin de Bounoua le boucher dont le jeune fils fait les yeux doux à Djamila sa voisine, la fille du marchand de tissus. Ah ! Djamila, un « patchwork » d’innocence, de beauté, de pureté d’âme, de vertu, une fille bien de chez nous avec « koul sbaâ b-sanaâ » (Chaque doigt de la main avait une spécialité culinaire). Et puis il y a Si Tayeb Tergou qui était l’ami de Hadj Ahmed Berbara, l’imam de la vieille mosquée et de Boutchent Khebizi, l’homme qui nous a appris la politesse. Hadj Ahmed, malheureusement, ne connait pas tout ce bouillonnement de personnes. Tiens ? Et pourquoi l’imam ne connait-il pas tout ce beau monde ? Mais, pardi, c’est la faute à ce sempiternel colonialisme abject qui a essayer par tous les moyens de mettre une distance entre nous et notre religion et, dans sa course contre la montre, pour arriver à ses fins, il nous a servi comme dessert le fait que nos ancêtres c’étaient les Gaulois. Eh ! Oui, les gentils petits Gaulois que Vercingétorix n’a pas su les protéger contre le grand César à Alésia. Ah ! Ces sacrés Gaulois, qui, encore une fois, au lieu de faire front contre les Vikings, terribles marins scandinaves, leur roi carolingien choisit de leurs remettre les clefs de toute la Normandie pour qu’ils ne lui fassent pas la guerre. Au lieu de défendre l’honneur de la Patrie, ils se sont retournés, bien des années plus tard, contre nous pour envahir notre pays un certain 19 Juin 1830 après s’être assuré de l’aide des pays limitrophes et de la Russie tsariste de Nicolas 1er . Maintenant on voit beaucoup plus clair, car et encore, on explique le nombre de bars qui existaient à Théniet-El-Had et qui étaient le lieu de rendez-vous des deux communautés. Ces établissements connurent des jours en or jusqu’à une date très récente. Ce qui explique, par ricochet, pourquoi l’imam ne connaissait pas beaucoup de monde. Et c’est pour cela qu’on a été happé par ce remous de mélange de deux cultures que certains de nos jeunes malheureusement n’arrivent toujours pas à se dire qui des deux est la notre. On comprend que Hadj Ahmed, notre sympathique imam dirigeait la prière avec, derrière lui, des rangs très aérés de pratiquants tous ratatinés, dont le nombre rétrécie comme une peau de chagrin. Pas un jeune. Mais par contre notre Imam avait connu les deux sympathiques agents de la police communale, Daoud Boulice et Abdelkader Boulice et les trois veilleurs de nuit armés de leur fusil de chasse : Bencheikh Bettache, Gririsse, Bouguelil Benmoussa qui, à leur tour, connaissent tout ce monde qui végète au Village Nègre, au boulevard de Taza, à la rue Mexico, à la rue Bugeaud. C’étaient des maestros qui ont dirigé toute une populace à la baguette. Tous étaient unis sous le joug colonialiste, sauf Berayhane qui vit avec sa femme pratiquement en autarcie à l’intérieur de cette agglomération. Il était militaire basé à la colonie de vacances de Théniet-El-Had et s’était automatiquement mis en marge de cette société qui, d’ailleurs, l’a vu naître. Le calme de ce quartier populeux est quelques fois troublé par des rafles de militaires ou des descentes de gendarmes. Il faut préciser que les habitants n’oublieront pas de si tôt le mois d’Octobre dernier où trois moudjahidine se sont faits accrochés et ont péri déchiquetés par des obus de 120 mm. Les détonations de ce soir ont fait que des têtes se sont aventurées dans l’entrebâillement des portes pour aller aux nouvelles. Les premiers à envahir le quartier furent les gendarmes qui frappèrent à toutes les portes. Toutes s’ouvrirent sauf celle du N°05 qui reste muette aux injonctions du gendarme. C’est celle de Berayhane, le militaire. De l’intérieur de la maison des gémissements d’une bête blessée ou malade se font entendre. La maison n’était donc pas vide de ses occupants. Le chef de brigade donne alors l’ordre de défoncer le portail et, une minute après, tous envahir la cour. Dans un coin un chien noir, la tête sanguinolente, à moitié détachée du corps, git à côté de sa niche. Il venait de passer l’arme à gauche. -On ne tire pas cinq coups de feu sur un chien, autrement le corps aurait été déchiqueté. Maugréa le chef gendarme. La porte qui donna accès à l’appartement était fermée de l’intérieur. En étant sûr que quelque chose de grave venait de se passait à l’intérieur, les gendarmes défoncèrent la porte et là, au seuil de l’entrée, ils s’arrêtent pile devant une scène macabre. Une femme, gisant sur son lit inondé de sang, la moitié du visage n’existait plus, des éclats de cervelle, de chair et d’os parsemaient le drap. Dans une autre chambre, un homme sans vie était assis sur un canapé, le dos au mur, la tête, ou ce qui en reste du crâne, était penchée sur le côté, les bras ballants, un fusil de chasse entre les jambes. - C’est un coup du FLN, mon adjudant ! Fait remarquer Ramdane, le gendarme auxiliaire qui, à chaque occasion, tente d’attirer vers lui l’attention du chef - Meuuu non, bougre d’idiot. Tu crois qu’un fidaï se paye le luxe de refermer à clef la porte derrière lui et de laisser traîner un fusil ? Et ce dernier entre les jambes du cadavre ? Comment peux-tu l’expliquer ? Mais mon pauvre Ramdane, tu ne vois pas que c’est un homicide volontaire et un suicide. Même le chien y est passé à la moulinette. L’instruction de l’affaire ou si l’on veut bien l’appeler, par euphémisme, l’enquête, a été confiée à la brigade de Théniet-El-Had qui l’a bâcla en deux temps trois mouvements. On n’était pas trop regardant sur les tenants et aboutissants d’une affaire indigèno-indigène même quand il s’agit d’un suppôt aussi harki qu’il soit. Mais qui était ce Berayhane ? Pourquoi a-t-il assassiné sa femme ? Pourquoi a-t-il tué son chien ? Pour comprendre cet épilogue faisons un recul dans le passé lointain de Berayhane. Au mois de Septembre 1954, Berayhane retourna de Dien Bien Phu après avoir combattu pour un pays qui n’était pas le mien. S’il était revenu relativement sauf, il ne l’était pas sain physiquement. En effet, alors que certains de ses camarades du contingent laissèrent leur peau en plein feu de l’action, Berayhane s’en est sorti avec deux balles dans la cuisse et une fracture du fémur. Après une hospitalisation dans un hôpital militaire de Marseille et une convalescence de deux mois chez lui, il a été récupéré comme « sous traitant » pour casser du « Fel » et muté à Theniet-El-Had où il retrouva quelques ex-camarades de chambrée durant la campagne d’Italie. Il devait aussi et surtout retrouver sa douce dulcinée qui lui a été promise quand il était au casse pipe du Tonkin. Berayhane et Bakhta se connaissent depuis leur tendre enfance et, petit à petit un amour fou s’installa entre eux pour ne plus les désunir jusqu’à l’arrivée de notre militaire à Théniet-El-Had et cette fameuse nuit de Décembre 1961. Il retrouva sa bien-aimée encore plus belle que le jour où il embarqua sur le « Méditerranée » qui le mena au Sud-est asiatique. Leur amour décupla depuis le temps. C’était le grand amour, cest-à-dire le coup de foudre, le pouvoir d’autorité à double sens, la peur de perdre l’être cher, la domination suffocante, le soupçon injuste et les tortures de la jalousie qu’éprouve Berayhane envers sa femme. Mais dans quel registre pouvons-nous inscrire ce couple : dans celui de Roméo et Juliette, de Antar et Abla ou de Rouslane et Ludmila Vous allez me dire que Bakhta était peut être uniquement belle pour faire des ravages sur Berayhane. Et je vous dirais non ! Il est vrai que Bakhta était dangereusement belle et c’est pour cela qu’elle cachait tout le temps cette beauté derrière un « haïk » avec une espèce de fente qui laisse voir une œil noir de toute beauté. Et là je vous dirais oui pour expliquer une partie de la réalité de leurs sentiments. L’autre partie est tout simplement osmotique. L’un se voyait dans le visage de l’autre. Bakhta se contemplait dans le visage fiévreux de Berayhane qui, à chaque fois, se trouve englouti dans le remous des yeux noir de sa femme. Ils se sont follement admirés jusqu’au jour où Berayhane lui tira deux cartouches de chevrotines en pleine tête. Le rapport d’autopsie, établi par le docteur Bertrand, nous dira que Berayhane pleura les larmes de son corps avec de commettre ses actes de désespoir Mais encore pourquoi ? Une année auparavant, Bakhta s’était plainte d’une fatigue générale qui lui empoisonnait la vie. Les tâches ménagères devinrent une éprouvante corvée. Les visites chez ses parents s’espacèrent. Son mari tenta à plusieurs reprises de la faire sortir pour faire de petites balades à travers champs. Le diagnostic du docteur Bertrand était un peu réconfortant. Il mit cette lassitude et cette faiblesse sur le compte d’une méchante bronchite. Mais quelques mois après, Bakhta rechuta. Une toux sèche lui laboure maintenant la poitrine. A chaque toussotement qui ressemble d’ailleurs à d’horrible sifflement, Bakhta a l’impression que son dos s’ouvre de haut en bas et ressent une douleur atroce. Elle sombre petit à petit dans le dépérissement. Elle perd l’appétit et ne dors presque plus. La toux, ajoutée à son état fébrile et l’abattement de son mari, lui sont devenus d’une très pénible épreuve. Bakhta ne fait pas un geste sans que cette terrible quinte de toux ne lui arrache de plaintifs gémissements. C’étaient de véritables tortures pour Berayhane. En désespoir de cause, Berayhane était devenu perméables à toutes les vertus des plantes médicinales dont on lui loue leur efficacité. Sa maison est devenue une véritable foire ou se sont relayés guérisseurs et matrones qui, finalement, repartent comme ils sont venus en laissant derrière eux le vague espoir d’une guérison. Mais le mal persiste et a trop duré. Bakhta était devenue une loque humaine. Un cadavre. Dans un dernier sursaut pour la sauver, le cœur brisé de chagrin, l’air ahuri, Berayhane, accompagné de sa femme, pénétrèrent enfin dans le cabinet de consultation du docteur Bertrand. L’état déplorable de Bakhta, caractérisé par une toux sifflant et une température corporelle très élevée, menèrent le docteur vers une sérieuse piste qui, apparemment, ne laisse aucun doute sur sa gravité. Après avoir procéder à un examen clinique très poussé et posé une mitraille de questions à Berayhane, pour savoir depuis combien de temps les premiers symptômes sont apparus en les lui précisant (toux sèche, température élevée, sueur nocturne), le praticien fait passer Bakhta à la radiologie. Il ressort un moment après de la salle sombre en se tirant presque les cheveux. L’air furieux, le visage rouge de colère, il se tourne vers Berayhane et lui crie presque à la figure. - Mais bon sang, où est ce vous étiez tout ce temps là ! Pourquoi avez-vous attendu jusqu’à l’irréparable ? Il se ressaisi, mais c’était trop tard, le mot « irréparable » a été lâché et rattrapé au vol par Berayhane. - Mais, docteur, la dernière fois vous avez diagnostiqué une bronchite, nous avons tous cru… - La dernière consultation remonte à plus de dix mois, monsieur ! La maladie a eu tout le temps de s’aggraver, le coupa le praticien. Le docteur Bertrand a été toujours conséquent avec sa linéarité tant politique, que sociale. Il ne demande jamais à son malade s’il est indigène ou colon, FLN ou OAS ni s’il est de confession musulmane ou catholique. Aussi, le cas de Bakhta l’a fait sortir de ses gongs. Fou de rage, il prit la fiche de la patiente et écrivis de son écriture symétrique, illisible pour les non initiés, comme s’il écrivait en sténo : 23/02/61 - Tuberculose 3ième degré, stade critique, non extensive, Apexs G. et D. sclérosés, plusieurs cavités opaques saturé d’air d’où importante présence de bacilles K. En général, quand le praticien diagnostique les tous débuts d’une telle maladie, le malade est aussitôt hospitalisé et isolé pour prévenir toute contagion. Mais le cas de Bakhta est désespéré. Tout en se montrant d’une fausse assurance, il dit à Berayhane : - Je vais lui prescrire deux médicaments qu’il faut lui administrer régulièrement, et un analgésique. Le pronostic du médecin était emprunt d’euphémisme. Il contourna les résultats de la radio et de l’examen clinique pour présenter la maladie comme étant sérieuse mais pas désespérante. Pendant que le médecin parlait, Berayhane, soupçonneux, tous ses sens en éveil, le regardait intensément, dans l’espoir de voir le docteur revenir sur son diagnostique et lui dire que c’est un simple rhume. D’une voix tremblante, Berayhane articula une phrase presque inaudible dans un français débité à la machette : - Docteur, est-ce que c’est grave ? Dites-moi la vérité ! - Que voulez que je fasse pour sauver votre femme ? Vous avez trop tardé à venir en consultation. Berayhane compris l’allusion. Sa femme est très malade et ce maudit mal qui la ronge va surement l’emporter. Il n’ose même pas appeler « ce mal » par son nom. Tout le monde a peur de ce nom. La tuberculose est une maladie très ancienne tout autant que le typhus. Dans les années de malheur extrême, toutes deux ont trouvé un foyer infectieux au sein de la population indigène qui vivait dans un état déplorable propice à ces endémies. L’infection pulmonaire laisse jusqu’à nos jours une peur morbide Le médecin était tiraillé entre dire la vérité ou la taire. Comment allait-il dire à Berayhane que sa femme est arrivée au dernier stade de la maladie, qu’il ne lui reste que quelques jours à vivre, durant lesquels les douleurs seront autant une torture pour sa femme que pour lui. D’une voix tremblante, Berayhane lui posa l’ultime question sur l’avenir de Bakhta. Le praticien resta de marbre en le fixant des yeux. Berayhane compris. Ses jambes ne le supportèrent plus. Le dos au mur, il glisse doucement et s’assoit en chien de fusil à même le sol et commence à pleurer comme un enfant. - Je ne veux pas ajouter plus de chagrin à votre malheur, mais je dois vous dire que votre femme est arrivée malheureusement au bout de son destin et qu’il ne lui reste pas longtemps à vivre. Peut-être un mois sans plus. Il ne vous reste plus que d’être auprès d’elle pour alléger ses douleurs et l’accompagner avec courage et sérénité vers la fin. Je lui prescris cet anti douleur que vous lui administrerez à chaque crise aiguë. Berayhane n’a pas entendu les conseils du médecin débités doucement d’une voix réconfortante. Il n’avait saisi que le groupe de mots « accompagné avec courage » Il sait quoi faire maintenant. Il s’est dit qu’il avait le devoir de l’accompagner, de la chérir, de l’aimer et d’être son esclave jusqu’à la fin. Et au-delà. Car, quelle sera sa raison d’être, le vécu sans elle ? Si jusque là leur vie n’était que rime, douceur et raison. Quelle sera cette vie sans l’être cher ? - Je serai sûrement une épave, un raté ou un fou qui déambule les rues à longueur de journée poursuivi par une meute de garnements. Je ne dois pas survivre à Bakhta. Je dois abréger ses douleurs, mes douleurs et celles de notre chien qui va, lui aussi, ressentir le vide et va être malheureux. Décembre 1961, c’était un Lundi. Un affreux silence enveloppa la maison de Berayhane. La camarde planait lugubrement. Trois détonations le déchirèrent. Le dernier coup de feu était une explosion, parce que Berayhane, en se suicidant, appuya avec rage sur les deux gâchettes en même temps pour être sûr de ne pas survivre à sa bien- aimée.
Posted on: Mon, 28 Oct 2013 08:30:26 +0000

Trending Topics



" style="margin-left:0px; min-height:30px;"> Heres a blog of the first week in Canada, of our Surprise Surprise
I have a sincere advice for the voters of our country and that is,
This breaks my heart. Im happy LA moved in the direction of
The cosmos as the primary sacrament: the horizon for an ecological

Recently Viewed Topics




© 2015