Je vais te raconter en secret qui je suis, moi comme ça, à voix - TopicsExpress



          

Je vais te raconter en secret qui je suis, moi comme ça, à voix haute tu me diras qui tu es, combien tu gagnes, l’atelier où tu travailles, la mine, la pharmacie, j’ai une obligation terrible, celle de le savoir, de tout savoir, nuit et jour savoir comment tu t’appelles, voilà mon métier, connaître une vie ne suffit pas, il n’est pas nécessaire non plus de connaître toutes les vies, tu comprends il s’agit de fouiller, de racler à fond, et tout comme dans une étoffe les lignes ont occulté par la couleur la trame du tissu, moi j’efface les couleurs et je cherche jusqu’à trouver le tissu profond, c’est ainsi que je trouve aussi l’unité des hommes, et dans le pain je cherche au-delà de la forme : j’aime le pain, je le mords, et alors je vois le blé, les champs de jeunes pousses, la verte forme du printemps, les racines, l’eau, à cause de çà, au-delà du pain je vois la terre, l’unité de la terre, l’eau, l’homme, et ainsi je goûte les choses, et en chacune je te cherche, je marche, nage, navigue jusqu’à te trouver, et alors je te demande comment tu t’appelles, ta rue et ton numéro, pour que tu reçoives mes lettres, pour te dire qui je suis et combien je gagne, où j’habite, et comment était mon père. Tu vois si je suis simple, si tu es simple, il ne s’agit pas d’une chose compliquée, moi, je travaille avec toi, toi, tu vis, tu vas, tu viens, d’un côté, de l’autre, c’est tout simple : tu es la vie, tu es aussi transparent que l’eau, et je le suis aussi, voilà mon obligation : être transparent, chaque jour je m’éduque, chaque jour je me peigne en pensant comme tu penses, et je marche comme toi tu marches, je mange, comme tu manges, je tiens mon aimée dans mes bras comme toi ta fiancée, et alors quand tout cela est clair, quand nous sommes les mêmes, j’écris, j’écris avec ta vie et avec la mienne, avec ton amour et les miens, avec toutes tes douleurs, et alors, alors nous sommes différents, parce que, la main sur ton épaule, comme de vieux amis, je te dis à l’oreille : ne souffre pas, le jour arrive, viens, viens avec moi, viens avec tous ceux qui te ressemblent, les plus simples, viens, ne souffre pas, viens avec moi, parce que même si tu l’ignores moi je le sais, je sais où nous allons et voici la parole : ne souffre pas, parce que nous gagnerons, nous gagnerons, nous les plus simples, nous gagnerons, même si tu n’y crois pas, nous gagnerons. *** Pablo Neruda (1904-1973) – Odes élémentaires (Odas elementales, 1954)
Posted on: Wed, 31 Jul 2013 23:41:42 +0000

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