Le secret de Kytura Cyrane avait froid. Trop froid. Elle - TopicsExpress



          

Le secret de Kytura Cyrane avait froid. Trop froid. Elle grelottait jusqu’aux os. Ses dents claquèrent violemment lorsqu’elle entrouvrit la bouche. Ses paupières lui semblaient si lourdes et… endolories ? Elle essaya de bouger, mais son engourdissement la paralysait. L’eau-de-vie l’avait à ce point assommé qu’elle en avait oublié d’alimenter le feu. Elle devait seulement réussir à se lever… Atteindre le tisonnier… Elle remua les jambes, entreprit de se dresser sur un coude. Un cri de douleur déchira son gosier. Elle retomba lourdement sur le sol dur. Dur ? Et froid… si froid ! Dans un effort surhumain, elle tâtonna dans les ténèbres. Les fourrures avaient disparu. Kytura avait disparu. À la place, un sol de pierre, glacial, humide. Et le silence, amplifié par l’obscurité. — Ky… Kytura ? Aucune réponse. Cyrane serra les paupières, puis battit plusieurs fois des cils. Peu à peu, une faible lueur rougeâtre apparut dans son champ de vision. Elle scruta longtemps les ténèbres, incapable de discerner son origine. Jusqu’à ce qu’elle comprenne. Cyrane toucha son visage, et ce simple geste lui arracha un gémissement. Toute cette douleur… Et la lueur ? Celle de sa balafre. La couleur de la vengeance luisait sur sa joue. Sous sa peau. L’empreinte de Vigdis, identique à celle de ses tatouages et de son épée runique…. Trop irréel ! Non. Ce devait être un rêve, un simple rêve. Ou peut-être les effets de l’eau-de-vie ? — Kytura ! implora-t-elle tout bas. Soudain, elle entendit un froissement, puis une voix de femme, douce et jeune, mais faible et brisée. — Chut ! C’est moi, mère… C’est moi… pas de Kytura… pas d’autres… existe pas… dors… dors… demain… sera fini… Cyrane se raidit. Elle tenta une seconde fois de s’asseoir, en vain. — Qui… qui êtes-vous ? La jeune femme resta silencieuse. Mais Cyrane l’entendit bouger, ramper jusqu’à elle, sentit sa main la toucher tendrement… Aussitôt, la guerrière se redressa sur ses fesses, à bout de souffle. Elle retrouva la douceur de la fourrure sous son corps, et la noirceur tamisée par les cendres rougeoyantes du foyer. Près d’elle, Kytura dormait à poings fermés. Cyrane enfouit sa main dans ses cheveux en bataille. Son cœur battait la chamade. Elle avait toujours aussi froid, mais sa peau était moite de sueur. « Merde. Qu’est-ce qui m’arrive ? » Un rêve ? Non, impossible. Les rêves ne sont pas aussi réels. Un songe, alors ? Son père avait beau vanter la richesse de son imagination, il y avait quand même des limites ! Cyrane inspira lentement par le nez, un peu nauséeuse. Il lui arrivait rarement de boire avec autant d’ardeur, mais elle gardait de ses autres beuveries des souvenirs beaucoup moins agréables, sinon confus. Sa nausée, comme sa migraine, était tolérable. Étonnant, pour de l’eau-de-vie. Apparemment, elle tenait mieux l’alcool fort que le vin ou la cervoise. À l’inverse de Kytura… Cyrane regarda son amie dormir, sans vraiment la voir. La voix de cette fille mystérieuse, dans son rêve, continuait de la hanter. Sans aucune raison précise, elle se remit à songer à Vigdis, au contact de sa lame divine sur sa joue… Puis, une pensée lui traversa l’esprit. Elle se leva et se jeta sur le miroir à main qui traînait sur son lit. Ses yeux s’écarquillèrent de surprise. Sa balafre émettait une lueur rouge sang qui se détachait nettement dans l’obscurité. Un peu effrayée, Cyrane effleura le renflement de la plaie du bout des doigts. Tout autour de la cicatrice, la peau était rosée, comme luminescente. La guerrière déglutit avec effort. Peu à peu, le nœud qui étranglait sa gorge se relâcha et elle fut secouée d’un petit rire nerveux. Elle s’assit sur son lit, toujours en riant bêtement. Puis, le rire se transforma en sanglot. Le miroir lui glissa des mains et elle laissa les larmes couler sur ses joues, dans son cou. De grosses larmes chaudes, sincères, mais brèves. Cyrane renifla. Elle resta un long moment immobile, à fixer le vide, l’esprit tout aussi vide. Mais le froid la ramena à la réalité, et elle se traîna malgré elle jusqu’au foyer. Elle y entassa cinq ou six rondins, brassa les braises, y ajouta un peu de brindilles sèches. Le feu se ranima et inonda la guerrière d’une chaleur grandissante. Cyrane s’assit sur ses talons, tout en se frottant les tempes. Une fois qu’elle fut certaine que le feu était bien pris, elle retourna près de Kytura. Elle écarta une mèche de cheveux blonds qui lui barrait le front, et fut choquée de voir combien sa peau était glacée. La jeune fille remua à peine, encore sous l’effet soporifique de l’eau-de-vie. Elle ne se réveillerait sans doute pas avant plusieurs heures. Cyrane étendit d’autres fourrures sur son amie pour la réchauffer. Elle ajouta deux autres rondins dans le foyer, puis elle se prépara à sortir. Au cas où, elle attrapa son arc et son carquois. Si une bonne chasse parvenait toujours à atténuer sa gueule de bois, elle avait surtout besoin de se changer les idées. D’oublier son rêve, si c’en était un. Juste… se replonger dans la réalité. Elle s’assura de ne pas manquer de flèches, passa son équipement en bandoulière, puis sortit. Dehors, le soleil bâillait déjà dans le ciel hivernal. Cyrane mit sa main en visière, aveuglée par le changement de luminosité. Un peu partout, des colonnes de fumée grise s’élevaient des cheminées du quartier. Quelques femmes étaient assises devant leur porte, à bavarder ou à cuisiner dans une grosse marmite en fonte. Une vieillarde au teint flétrit la salua timidement. — Bon matin, Cyrane. Alors, vous partez à la chasse ? — Peut-être bien. Cyrane lui adressa un sourire forcé et allongea le pas vers le sentier qui bordait la muraille. Elle n’avait aucune envie de bavarder. Elle préférait garder le peu de salive qui lui restait pour Ryne. L’artisane lui avait signalé son besoin en matière de fourrures, sans toutefois lui préciser l’espèce ou la couleur désirée. Elle n’ignorait pourtant pas que les animaux des latitudes du Grand Nord muaient plus précocement que ceux du sud du Yavork. De toute évidence, Cyrane pariait plutôt sur son humeur taciturne pour son manque de précision. La guerrière ralentit le pas, intriguée par l’absence de fumée chez Ryne. D’ordinaire, l’artisane prenait soin de ne jamais laisser son feu s’éteindre. La largeur de sa chaumière, qui lui servait aussi d’atelier, exigeait un chauffage constant ; sans compter qu’elle ne la quittait pratiquement jamais. Cyrane aperçut des empreintes de pas, à demi voilés sous la neige fine. Celles de Ryne, vu la grandeur et la profondeur. La guerrière leva les yeux au ciel. Il avait cessé de neiger depuis un bon moment. Soit l’artisane n’était pas rentrée chez elle après l’enterrement de Didrik, soit elle dormait encore. Deux hypothèses possibles, mais fortement improbables. Cyrane hésita devant la porte. Elle regarda à gauche et à droite, mais les vitres opaques ne laissaient filtrer aucune lumière. Ryne avait peut-être bu un coup ? Peut-être qu’elle s’était laissée entraînée, exceptionnellement, chez un garçon dans l’intention d’y passer la nuit ? — Cyrane ? Cyrane se tourna à demi et découvrit Otvard, le conteur, debout derrière elle. « Comment allez-vous, ce matin ? s’enquit-il gaiement. Oh ! » Il se tapota la joue gauche de son index. « Un souvenir de la veille, je suppose ? » Cyrane soupira d’agacement. — Ryne n’est pas là. Vous êtes là pour le recensement ? — Si fait ! Je viens tout juste de frapper chez vous, et comme vous ne répondiez pas… — Vous gérez aussi les déplacements ? Ça m’étonne des archivistes… Otvard eut un petit rire discret. — Le dernier recensement date d’il y a quatre ans, vous savez… Et celui-ci se doit d’être parfait dans sa précision. Rassembler les archives, les compulser, comparer les résultats… Il s’agit d’une tâche complexe et monumentale pour une simple journée. Mon habileté à manier la plume leur sert bien, mais je vous avoue que ce travail manque dramatiquement de fantaisie. Le conteur tira la plaque de pierre enfouie sous son aisselle. Il se mit à écrire d’une main soigneuse sur le parchemin qui y était couché. — Cyrane… Der…ker, fille d’Anovis et d’Ulrick Derker. Voilà ! Célibataire ? — Évidemment, grogna Cyrane. Inscrivez le nom de Kytura, aussi. Elle dort chez moi. — Oh… oh ! Parfait. Cyrane jeta un dernier regard sur la porte de Ryne, haussa les épaules, puis reprit son chemin vers le centre du village. — Attendez ! s’exclama Otvard. Pour Kytura… son nom de famille, s’il vous plait ? J’ai un oubli… — Guevrell ! Kytura Guevrell ! Cyrane poussa un son de dérision. Si les archivistes n’étaient guère reconnus pour leur sens de l’humour, ils faisaient preuve d’une originalité certaine en engageant un conteur comme recenseur. La guerrière examina le contenu de son outre en peau. Pleine au tiers. Elle décida de bifurquer vers le puits, histoire de ne pas mourir de soif en pleine traque. Elle avait eu vent d’un troupeau de rennes errant, quelque part vers l’ouest. Le genre de peau dont Ryne ne se lassait jamais. Et qu’elle payait à bon prix ! Elle aurait préféré la chasse à l’otarie, mais elle devrait prendre son mal en patience. Les banquises se trouvaient à plusieurs jours de marche vers l’est, et elle avait décidé d’assister à la réunion du Conseil le soir même. Après tout, elle le devait bien à son père… * * * Le feu dans l’âtre s’obstinait à survivre. Les flammes ronflaient, les rondins crépitaient. Une horreur pour Erys. Elle détourna les yeux, écœurée par son propre malaise. Toute cette chaleur… ce rougeoiement si… vivant ! L’Odoacre réprima un frisson et croisa les jambes. Le canapé de la jeune Derker se révélait plus confortable qu’il ne le paraissait. Heureusement. Elle attendait le réveil de Kytura depuis près d’une heure. La jeune fille dormait à ses pieds, emmitouflée sous une montagne de fourrures noires et blanches. Erys la contempla avec détachement, même si une infime part d’elle-même s’avouait fascinée par sa beauté. Une beauté tranquille, presque timide, dont le charme évoquait celui de… d’un souvenir qu’elle aurait préféré oublié. Erys crispa les mâchoires et donna un léger coup de pied sur la bouteille vide qui gisait au sol. De l’eau-de-vie téluzienne… Elle aurait dû s’en douter. Comme elle s’était doutée que Kytura passerait la nuit chez Cyrane, et non dans sa propre chaumière du bas quartier. Pas étonnant… cet endroit douteux grouillait de miséreux, de mendiants, de paresseux. Pourtant, le travail ne manquait pas à Darcos. Encore moins à l’Urganòf. Il suffisait de penser au Safran Pourpre. Un endroit peu vertueux, certes, mais chaleureux et bien entretenu. Enfin… dans sa mémoire. Erys décroisa les jambes et s’assit au bord du canapé, un brin impatiente. Cyrane ne reviendrait de la chasse que tard dans l’après-midi. Les dispositions pour la réunion du Conseil avançaient comme prévu. Pourtant, la nervosité la gagnait. Et pour cause ! Son projet entier reposait sur une pauvre cuisinière de bas quartier. Sur sa naïveté, tout particulièrement. Et l’occasion était trop belle. Surtout opportune. Privée du soutien de la jeune Derker, Kytura se montrait fragile et vulnérable. Un pantin, facile à manipuler. Pas comme son ancêtre… Or, si la convaincre de sa bonne volonté était une chose, l’amener à placer sa confiance en elle plutôt qu’en Cyrane en était une autre. Un défi de taille, peut-être, mais bien précaire si elle le mesurait à ses ressources personnelles. Erys quitta le canapé et s’agenouilla près de Kytura. La jeune fille respirait doucement, allongée à plat ventre, les traits ombragés par les flammes. L’Odoacre avança la main pour la réveiller. Elle lui brassa l’épaule, lui tapota la joue. Kytura poussa un grognement et se roula en boule. — Mm… Cyrane, laisse-moi dormir. — Réveille-toi, ordonna sèchement Erys. Kytura s’étira avec paresse. Elle entrouvrit les yeux et eut un sursaut de surprise, en découvrant l’Odoacre penché sur elle. — Q… qu’est-ce qui se passe ? marmonna-t-elle d’une voix pâteuse. L’Odoacre se releva et s’assit sur le bras du canapé. « Tu n’as pas très bonne mine, ma chère. » Kytura se redressa lentement, les sourcils un peu froncés. Elle regarda autour d’elle et prit un moment avant de comprendre la situation. — Erys ? Mais… où est Cyrane ? — À la chasse. — Vous… êtes entrée sans sa permission ? Vous êtes là depuis combien de temps ? — Suffisamment longtemps. Je vois que ta petite copine et toi avez trinqué dur, hier soir. Kytura se frotta la tête, tout en continuant d’examiner les alentours. « Nous sommes seules, lui certifia Erys. Et c’est tant mieux. » Kytura semblait de plus en plus perplexe. — Qu’est-ce que vous me voulez ? — Parler. L’Odoacre contint le sourire satisfait qui pendait au coin de sa bouche. Elle savait parfaitement ce que pensait Kytura, en cet instant même. Elle le devinait à l’expression incrédule qui naissait dans ses yeux violets. Des yeux d’une couleur si rare. Si déterminante. « Ne crains rien, la rassura Erys, d’un ton mielleux. Je sais que Cyrane se méfie de moi. Je connais l’influence qu’elle exerce sur toi. Mais certaines situations exigent une prise de position, disons-le, plus viscérale. Tu me respectes, et je sens qu’une partie de toi s’oppose aux suspicions de la jeune Derker. Je le sais. Je le sens bien. » Kytura ramena l’une des fourrures contre elle, sans grande énergie. Elle poussa un long bâillement et se rallongea pour chasser son vertige. — … Pas très envie de parler. Voudrait dormir… mal au crâne. Erys s’inclina vers elle. — Je sais ce que tu as fait, Kytura. Je connais les réponses à toutes les questions que tu te poses. Du moins, à peu de chose près. Ai-je besoin de préciser que ta vie ne tient qu’à un fil ? Un fil que Vigdis caresse de ses griffes, à l’heure même où les mots coulent de mes lèvres ? Kytura battit des cils, trois fois. Puis, ses traits s’altérèrent sous l’inquiétude. Son teint livide tourna au verdâtre. La nausée commençait visiblement à la dominer. Elle cherchait quelque chose des yeux. Le vase de nuit, sans doute. Erys secoua tranquillement la tête. Son rire se fit onctueux. « Oui. J’ai beaucoup à t’apprendre. Mais, tiens. Bois ceci. Je tiens à ce que notre conversation se déroule à double sens. » L’Odoacre tira d’une de ses poches une petite fiole de verre, rempli d’un liquide vert foncé, d’aspect sirupeux. Kytura l’interrogea du regard. « Prends, insista Erys. Après, tu te sentiras mieux. » La jeune fille saisit l’objet d’une main lourde. Elle s’assit à demi, avec précaution. — C’est quoi ? — Un cordial magique. Erys lui décocha un clin d’œil. « Bois. Ensuite, nous discuterons de ta… situation plus que délicate. Je suis là pour t’aider, Kytura. Tu dois me faire confiance. » Kytura retira le goulot de la fiole et huma son contenu. Elle ouvrit la bouche, comme pour ajouter quelque chose. Mais la nausée grandissait et, comme elle hésitait, elle porta l’objet à ses lèvres et but à petites gorgées. Rapidement, son teint retrouva sa fraîcheur de pêche. La lucidité s’installa de nouveau dans ses prunelles, où se livraient des émotions brutes, violentes. Troublantes. « Voilà », sourit Erys. L’Odoacre tendit la main pour récupérer son bien. Kytura referma la fiole et la rendit sans grande conviction. — Je… me sens encore un peu bizarre. — L’angoisse est la plus coriace des ennemis, minauda Erys. Détends-toi. Ton secret est en sécurité avec moi. Cette fois, les joues de Kytura virèrent au pourpre. — Mon… secret ? — Inutile de jouer avec moi, ma chérie. Oublierais-tu qui je suis ? Je suis l’Odoacre de Darcos. Le Delfroast lui-même, dans toute son obscurité, n’échappe à mon savoir. Erys se leva et marcha d’un pas lent dans la pièce, sans quitter Kytura des yeux. — Tu te demandes probablement pourquoi Vigdis t’a épargné. Pourquoi la déesse de la vengeance a outrepassé ses obligations divines, en fermant les yeux sur le seul acte qui pourtant régit son existence. Kytura garda le silence. Mais sa nervosité était palpable. Elle tripotait la fourrure dans ses mains, se mordillait férocement la lèvre inférieure. « La vérité finit toujours par poignarder le mensonge, poursuivit Erys. À ton avis, que dira la jeune Derker, lorsqu’elle apprendra que tu l’as trompé ? Que tu lui as caché ce terrible secret ? » — Ne lui dites pas, la supplia Kytura, les yeux humides de larmes. Je vous en supplie ! Elle ne doit pas savoir… je ne veux pas… — Quoi ? La perdre ? Te sentir rejetée ? Incomprise ? — C’est ma meilleure amie… La voix de Kytura se brisa. Son menton tremblait d’un mélange d’effroi, de colère et d’affliction. Erys s’adossa au manteau de la cheminée. Ses traits anguleux s’adoucirent autant que possible. — Parfois, il vaut mieux rester maître de son intimité, approuva-t-elle, satisfaite. Toi et moi, nous sommes liées dans le secret. Je peux t’aider, Kytura. Il te suffit de me le demander. Kytura essuya les larmes qui coulaient silencieusement sur ses joues. Ses lèvres frémissaient encore, mais elle s’efforça de maîtriser ses émotions. — Comment avez-vous su, pour Didrik ? — Aucune importance. — Vous disiez répondre à toutes mes questions, se plaignit Kytura. — Si fait. Selon leur pertinence. Cet entretien m’oblige à différer mes responsabilités envers le clan, et tu n’es pas sans savoir que cette journée s’annonce plus que chargée. Je te dirai donc ce que tu dois savoir. Sans détour. Erys retourna s’asseoir sur le canapé et croisa ses jambes avec élégance. L’attention vigilante que lui vouait Kytura devançait quelque peu sa prédiction. — Pour commencer, je veux que tu m’accompagnes à la réunion du Conseil. Ce soir. — M… moi ? Vous plaisantez ? — Non pas. — Mais le Conseil a toujours fermé ces réunions aux chefs du bas quartier, et je ne suis qu… — Je suis le Conseil, gronda l’Odoacre. Ne l’oublie pas. Kytura avala sa salive de travers. — Je ne comprends pas, avoua-t-elle piteusement. En quoi ma présence au Conseil vous serait-elle utile ? — Tout acte assumé dans la lumière est déjà mieux perçu que ceux dérobés par les ténèbres, répondit Erys. Tu le sais mieux que quiconque, non ? — Mais Cyrane sera peut-être là, ce soir ! Je suis sûre qu’elle y sera ! — Raison de plus pour choisir ton camp. Ici, et maintenant. — Quoi ? Que voulez-vous dire ? Le regard d’Erys s’assombrit. Sa gorge blanche, dénudée par ses cheveux nattés, palpita discrètement. — Écoute-moi bien, Kytura. Écoute, car je ne le répéterai pas. Ce secret derrière lequel tu comptes te retrancher finira un jour ou l’autre par te consumer. Crois-en mon expérience. Je te mentirais si je ne t’avouais pas l’intérêt que ton cas éveille en moi. Je suis convaincue de connaître la clef à ton problème ; la solution concernant les intentions de Vigdis à ton égard. Cependant, cette quête, ni toi ni moi ne pouvons l’accomplir seules. Nous devons à tout prix nous impliquer de manière égale et intègre. Pouvoir compter l’une sur l’autre. Tu saisis ? Kytura hocha le menton, d’un geste mécanique. Mais ses yeux trahissaient son désarroi. — Pourquoi voulez-vous m’aider ? Vous savez pourtant ce que j’ai fait. Ce que je mérite… — Oui, c’est juste. Je sais tout ce que tu as fait. Mon écart professionnel est toutefois justifiable, vu l’importance de l’enjeu. Erys laissa le soin à Kytura de peser chacun de ses mots. La jeune fille marqua un temps de silence, encore indécise. — Et… Cyrane ? — La jeune Derker n’est qu’une distraction, trancha l’Odoacre. Évidemment, elle n’ignorera rien de notre projet, tout comme le Conseil. Seulement, tu devras la convaincre du bien-fondé de ta décision. Tout en préservant ton secret. Elle insistera, c’est obligé. Ce dont j’aimerais être sûre, c’est si tu trouveras le courage de lui tenir tête. — Il le faut, souffla Kytura. Pour notre amitié. Pour notre bien à toutes les deux. — Bien. Erys croisa ses mains sur ses genoux, et son expression devint grave, presque dramatique. « Je suis heureuse de l’entendre. Il est important pour moi de m’assurer que tu seras prête à aller jusqu’au bout de notre quête. Coûte que coûte. » L’Odoacre s’inclina vers l’avant. Elle renforça son air patibulaire, consciente de l’intimidation qu’elle exerçait sur Kytura. « À présent, il est temps de t’apprendre une vérité des plus choquantes. Car je ne t’ai pas encore tout révélé. Il s’agit du seul et unique motif de ma présence. Ma découverte sur le sens de la marque de sang… »
Posted on: Mon, 08 Jul 2013 01:07:33 +0000

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