Texte 1 : Antoine FURETIERE, roman de la bourgeoisie. Au lieu - TopicsExpress



          

Texte 1 : Antoine FURETIERE, roman de la bourgeoisie. Au lieu de vous tromper par ces vaines subtilités, je vous raconterai sincèrement et avec fidélité plusieurs historiettes ou galanteries arrivées entre des personnes qui ne seront ni héros ni héroïnes, qui ne dresseront point d’armées, ni ne renverseront point de royaumes, mais qui seront de ces bonnes gens de médiocre condition, qui vont tout doucement leur grand chemin, dont les uns seront beaux et les autres laids, les uns sages et les autres sots ; […] Pour éviter encore davantage le chemin battu des autres, je veux que la scène de mon roman soit mobile, c’est-à-dire tantôt en un quartier et tantôt un autre de la ville ; et je commencerai par celui qui est le plus bourgeois, qu’on appelle communément la place Maubert. Un autre auteur moins sincère, et qui voudrait paraître éloquent, ne manquerait jamais de faire ici une description magnifique de cette place. Il commencerait son éloge par l’origine de son nom ; […] Grâce à ma naïveté, je suis déchargé de toutes ces peines, et quoique toutes ces belles choses se fassent pour la décoration du théâtre à fort peu de frais, j’aime mieux faire jouer cette pièce sans pompe et sans appareil, comme ces comédies qui se jouent chez le bourgeois avec un simple paravent. Texte 2 : Emile Zola, préface de lassomoir. Les Rougon-Macquart doivent se composer dune vingtaine de romans. Depuis 1869, le plan général est arrêté, et je le suis avec une rigueur extrême. LAssommoir est venu à son heure, je lai écrit, comme jécrirai les autres, sans me déranger une seconde de ma ligne droite. Cest ce qui fait ma force. Jai un but auquel je vais. Lorsque lAssommoir a paru dans un journal, il a été attaqué avec une brutalité sans exemple, dénoncé, chargé de tous les crimes. Est-il bien nécessaire dexpliquer ici, en quelques lignes, mes intentions décrivain ? Jai voulu peindre la déchéance fatale dune famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de livrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, loubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénoûment, la honte et la mort. Cest de la morale en action, simplement. LAssommoir est à coup sûr le plus chaste de mes livres. Souvent jai dû toucher à des plaies autrement épouvantables. La forme seule a effaré. On sest fâché contre les mots. Mon crime est davoir eu la curiosité littéraire de ramasser et de couler dans un moule très travaillé la langue du peuple. Ah ! la forme, là est le grand crime ! Des dictionnaires de cette langue existent pourtant, des lettrés létudient et jouissent de sa verdeur, de limprévu et de la force de ses images. Elle est un régal pour les grammairiens fureteurs. Nimporte, personne na entrevu que ma volonté était de faire un travail purement philologique, que je crois dun vif intérêt historique et social. Je ne me défends pas, dailleurs. Mon oeuvre me défendra. Cest une oeuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait lodeur du peuple. Et il ne faut point conclure que le peuple tout entier est mauvais, car mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont quignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent. Seulement, il faudrait lire mes romans, les comprendre, voir nettement leur ensemble, avant de porter les jugements tout faits, grotesques et odieux, qui circulent sur ma personne et sur mes oeuvres. Ah ! si lon savait combien mes amis ségayent de la légende stupéfiante dont on amuse la foule ! Si lon savait combien le buveur de sang, le romancier féroce, est un digne bourgeois, un homme détude et dart, vivant sagement dans son coin, et dont lunique ambition est de laisser une oeuvre aussi large et aussi vivante quil pourra ! Je ne démens aucun conte, je travaille, je men remets au temps et à la bonne foi publique pour me découvrir enfin sous lamas des sottises entassées. Texte 3 : Montesquieu, Introduction aux lettres persanes. Je ne fais point ici lépître dédicatoire, et je ne demande point de protection pour ce livre: on le lira, sil est bon; et sil est mauvais, je ne me soucie pas quon le lise. Jai détaché ces premières lettres, pour essayer le goût du public: jen ai un grand nombre dautres dans mon portefeuille, que je pourrais lui donner dans la suite. Mais cest à condition que je ne serai pas connu: car, si lon vient à savoir mon nom, dès ce moment je me tais. Je connais une femme qui marche assez bien, mais qui boite dès quon la regarde. Cest assez des défauts de louvrage, sans que je présente encore à la critique ceux de ma personne. Si lon savait qui je suis, on dirait: Son livre jure avec son caractère, il devrait employer son temps à quelque chose de mieux, cela nest pas digne dun homme grave. Les critiques ne manquent jamais ces sortes de réflexions, parce quon les peut faire sans essayer beaucoup son esprit. Les Persans qui écrivent ici étaient logés avec moi; nous passions notre vie ensemble. Comme ils me regardaient comme un homme dun autre monde, ils ne me cachaient rien. En effet, des gens transplantés de si loin ne pouvaient plus avoir de secrets. Ils me communiquaient la plupart de leurs lettres; je les copiai. Jen surpris même quelques-unes dont ils se seraient bien gardés de me faire confidence, tant elles étaient mortifiantes pour la vanité et la jalousie persane. Je ne fais donc que loffice du traducteur: toute ma peine a été de mettre louvrage à nos moeurs. Jai soulagé le lecteur du langage asiatique autant que je lai pu, et lai sauvé dune infinité dexpressions sublimes, qui lauraient envoyé jusque dans les nues. Mais ce nest pas tout ce que jai fait pour lui. Jai retranché les longs compliments, dont les Orientaux ne sont pas moins prodigues que nous; et jai passé un nombre infini de ces minuties qui ont tant de peine à soutenir le grand jour, et qui doivent toujours mourir entre deux amis. Si la plupart de ceux qui nous ont donné des recueils de lettres avaient fait de même; ils auraient vu leur ouvrage sévanouir. Il y a une chose qui ma souvent étonné: cest de voir ces Persans quelquefois aussi instruits que moi-même des moeurs et des manières de la nation, jusquà en connaître les plus fines circonstances, et à remarquer des choses qui, je suis sûr, ont échappé à bien des Allemands qui ont voyagé en France. Jattribue cela au long séjour quil y ont fait: sans compter quil est plus facile à un Asiatique de sinstruire des moeurs des Français dans un an, quil ne lest à un Français de sinstruire des moeurs Asiatiques dans quatre; parce que les uns se livrent autant que les autre se communiquent peu. Lusage a permis à tout traducteur, et même au plus barbare commentateur, dorner la tête de sa version, ou de sa glose, du panégyrique de loriginal, et den relever lutilité, le mérite et lexcellence. Je ne lai point fait: en on devinera facilement les raisons. Une des meilleures est que ce serait une chose très ennuyeuse, placée déjà dans un lieu très ennuyeux de lui-même, je veux dire une préface. Texte 4 : Alain ROBBE-GRILLET , pour un nouveau roman. Nous en a-t-on assez parlé du « personnage » ! Et ça ne semble, hélas, pas près de finir. Cinquante années de maladie, le constat de son décès enregistré à maintes reprises par les plus sérieux essayistes, rien na encore réussi à le faire tomber du piédestal où lavait placé le XIXe siècle. Cest une momie à présent, mais qui trône toujours avec la même majesté quoique postiche au milieu des valeurs que révère la critique traditionnelle. Cest même là quelle reconnaît le « vrai » romancier : « il crée des personnages »... Pour justifier le bien-fondé de ce point de vue, on utilise le raisonnement habituel : Balzac nous a laissé Le Père Goriot, Dostoïesvski a donné le jour aux Karamazov, écrire des romans ne peut plus donc être que cela : ajouter quelques figures modernes à la galerie de portraits que constitue notre histoire littéraire. Un personnage, tout le monde sait ce que le mot signifie. Ce nest pas un il quelconque, anonyme et translucide, simple sujet de laction exprimée par le verbe. Un personnage doit avoir un nom propre, double si possible : nom de famille et prénom. Il doit avoir des parents, une hérédité. Il doit avoir une profession. Sil a des biens, cela nen vaudra que mieux. Enfin il doit posséder un « caractère », un visage qui le reflète, un passé qui a modelé celui-ci et celui-là. Son caractère dicte ses actions, le fait réagir de façon déterminée à chaque événement. Son caractère permet au lecteur de le juger, de laimer, de le haïr. Cest grâce à ce caractère quil léguera un jour son nom à un type humain, qui attendait, dirait-on, la consécration de ce baptême. Car il faut à la fois que le personnage soit unique et quil se hausse à la hauteur dune catégorie. Il lui faut assez de particularité pour demeurer irremplaçable, et assez de généralité pour devenir universel. On pourra, pour varier un peu, se donner quelque impression de liberté, choisir un héros qui paraisse transgresser lune de ces règles : un enfant trouvé, un oisif, un fou, un homme dont le caractère incertain ménage çà et là une petite surprise... On nexagérera pas, cependant, dans cette voie : cest celle de la perdition, celle qui conduit tout droit au roman moderne. Aucune des grandes œuvres contemporaines ne correspond en effet sur ce point aux normes de la critique. Combien de lecteurs se rappellent le nom du narrateur dans La Nausée ou dans LÉtranger ? Y a-t-il là des types humains ? Ne serait-ce pas au contraire la pire absurdité que de considérer ces livres comme des études de caractère ? Et Le Voyage au bout de la nuit, décrit-il un personnage ? Croit-on dailleurs que cest par hasard que ces trois romans sont écrits à la première personne ? Beckett change le nom et la forme de son héros dans le cours dun même récit. Faulkner donne exprès le même nom à deux personnes différentes. Quant au K. du Château, il se contente dune initiale, il ne possède rien, il na pas de famille, pas de visage ; probablement même nest-il pas du tout arpenteur. On pourrait multiplier les exemples. En fait, les créateurs de personnages, au sens traditionnel, ne réussissent plus à nous proposer que des fantoches auxquels eux-mêmes ont cessé de croire. Le roman de personnages appartient bel et bien au passé, il caractérise une époque : celle qui marqua lapogée de lindividu. Peut-être nest-ce pas un progrès, mais il est certain que lépoque actuelle est plutôt celle du numéro matricule. Le destin du monde a cessé, pour nous, de sidentifier à lascension ou à la chute de quelques hommes, de quelques familles. Le monde lui-même nest plus cette propriété privée, héréditaire et monnayable, cette sorte de proie, quil sagissait moins de connaître que de conquérir. Avoir un nom, cétait très important sans doute au temps de la bourgeoisie balzacienne. Cétait important, un caractère, dautant plus important quil était davantage larme dun corps-à-corps, lespoir dune réussite, lexercice dune domination. Cétait quelque chose davoir un visage dans un univers où la personnalité représentait à la fois le moyen et la fin de toute recherche. Notre monde, aujourdhui, est moins sûr de lui-même, plus modeste peut-être puisquil a renoncé à la toute-puissance de la personne, mais plus ambitieux aussi puisquil regarde au-delà. Le culte exclusif de « lhumain » a fait place à une prise de conscience plus vaste, moins anthropocentriste. Le roman paraît chanceler, ayant perdu son meilleur soutien dautrefois, le héros. Sil ne parvient pas à sen remettre, cest que sa vie était liée à celle dune société maintenant révolue. Sil y parvient, au contraire, une nouvelle voie souvre pour lui, avec la promesse de nouvelles découvertes.
Posted on: Thu, 07 Nov 2013 20:50:44 +0000

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