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À partir de 10h ce matin du mardi 20 mai 1975, alors que gouvernement et opposition discutaillaient principalement de développement économique à l’Assemblée législative, plus de 10 000 étudiants des institutions secondaires, essentiellement des Plaines Wilhems, marchent sur Port-Louis. Qui coordonnait le mouvement ? Nul ne le savait à l’époque. Même pas la Special Branch (SB), la police politique du régime Parti Travailliste-Comité d’Action musulman, auquel une flopée de transfuges apportait du sérum depuis l’éclatement de la coalition de 1969-73. Mais éja depuis plus d’une dizaine de jours, plusieurs collèges étaient paralysés par des grèves spontanées parfois très désordonnées. D’abord, ce sont les collèges Bhujoharry (filles et garçons) de Port-Louis qui avaient commencé à s’agiter pour une question d’augmentation des Sports Fees de 20 roupies par an, imposée selon la direction pour améliorer les structures sportives et l’état des bâtiments. Les étudiants du collège débrayent pendant toute la journée du 5 mai. Tout en affirmant « ne pas comprendre le comportement de ses élèves parce qu’il a toujours été un directeur très accessible », le directeur de l’institution, M. Manfred Bhujoharry, finira par ceder à la fin de la journée. Une élève au ministre Chaperon: « Restez-là, monsieur ! » Le 8 mai, c’est au tour des étudiantes de la très respectable Queen Elizabeth College de Rose-Hill, de déserter les salles de classe. C’est une grève tout en chansons. Des grévistes qui se déclarant « très disciplinées » montent, tour à tour, sur la scène du hall du collège avec des guitares et chantent pour distraire leurs camarades. La désobéissance est totale, mais cela se fait dans l’ordre et la bonne humeur. La directrice surprise et jure ne pas connaître les raisons du débrayage. Alors que ces raisons avaient pourtant été détaillées dans une lettre adressée au ministère de l’Education depuis le 19 avril, lettre que le ministère prétend avoir égarée. Parmi les doléances: laboratoire de chimie mal équipé, professeurs trop souvent mutés, terrains de jeux pas aménagés pour la pratique des sports, manque de livres de classes, des boursières n’ayant pas reçu leurs allocations mensuelles depuis deux mois. La direction du Queen Elizabeth College de Rose-Hill , complètement dépassée doit – fait unique – faire venir depuis Port-Louis le ministre de l’Éducation, Régis Chaperon, et un officiel, M. Joomaye, pour parlementer avec les grévistes. Les échanges lors de la rencontre entre le ministre Chaperon et les grévistes du QEC, pourtant parmi les étudiants les mieux lotis du pays, illustrent toute la hardiesse et le culot dont pouvaient faire preuve les étudiantes et les etudiants des années 70. Sur un ton paternel, le vieux Dr Chaperon leur demande de lui envoyer leurs représentantes pour discuter. Mais, en chœur, elles refusent et réclament un dialogue sur place. Immédiatement ! Régis Chaperon: Vous ne pourrez pas dialoguer avec moi toutes ensemble. C’est pas possible. Les grévistes (en chœur): Oui, c’est possible ! Le ministre cause avec les prefects et des déléguées des grévistes désignés sur place. De temps en temps, il revient sur la scène, prend le micro et fait une promesse. À un moment, il déclare qu’il va partir. Une élève insiste et dit : « Restez-là, monsieur ! » Le ministre de l’Education est obligé de rester et de faire face à environ 600 étudiantes. Dans le cours du dialogue, il affirme que la lettre de doléances du 19 avril s’est égarée et qu’il mènera une enquête pour savoir comment et pourquoi. « Nous allons vous remettre une copie dans cinq minutes », s’entend-t-il dire aux étudiants . Il promet d’examiner les doléances et de trouver des solutions. Il demande aussi aux élèves de retourner en classe, mais elles refusent catégiriquement. Il réitère son appel à plusieurs reprises mais elles continuent à refuser. Il leur accorde une heure de récréation et leur demande de retourner en classe ensuite. Elles refusent encore. Le ministre Regis Chaperon déclare finalement, que celles qui veulent rentrer à la maison peuvent le faire, les etudiantes acceptent et l’applaudissent. Mais le ministre de l’Éducation de mai 1975 n’avait encore rien vu. Le 19 mai 1975, plusieurs milliers de collégiens rangent stylos et cartables aux collèges privés Bhujoharry, Islamic, Port Louis High School, London, Eden, New Eton, à l’Ecole normale (Teacher’s Traning Center) et se réunissent au collège gouvernemental John Kennedy, Beau Bassin, devenu un foyer de la contestation. Plusieurs autres défilent dans le centre de Rose-Hill et commencent à affronter des éléments de la Riot Unit et les gardes bâton du régime. Cette dernière unité de la police était spécialisée dans la répression des foules, d’où l’appellation gardes bâton. Les revendications estudiantines se font plus précises. Elles réclament « la décolonisation du système de l’Éducation, contestent la mentalité coloniale imposée aux étudiants à travers les liens avec Cambridge, et exigent l’enseignement d’une Histoire plus proche des réalités du pays et qui accorderait plus de place à la lutte des travailleurs ». Circulation d’une pétition parmi les étudiants grévistes, réclamant « une éducation qui puisse développer chez la jeunesse un véritable sens de l’entité mauricienne ». Ironie de l’histoire au collège Royal de Curepipe, les grévistes réclament carrément l’abolition de l’étude des langues orientales ! « Nous ne sommes pas intéressés par ces cours qui ne font que perpétuer le communalisme et créer une division artificielle parmi les étudiants. Nous demandons qu’ils soient remplacés par l’enseignement de sujets modernes, tels la sociologie et la linguistique », déclare une porte-parole. Entre le 5 et le 19 mai 1975, le Dr Regis Chaperon doit intervenir en deux occasions à la télévision pour exhorter les parents à rappeler leurs enfants à l’ordre. Mais l’autorité parentale n’y peut absolument rien. Les ténors politiques de l’époque, de tous bords confondus, passent complètement à côté de la plaque et ne comprennent plus ce qui se passe vraiment. Le Dr Seewoosagur Ramgoolam, Premier ministre trouve que ses enfants sont « bien impatients ». Le journal The Nation, proche du tandem Boolell-Jagatsingh, préconise d’abord la « fermeté et le dialogue ». Mais devant la déferlante estudiantine, le lendemain, 20 mai, le journal se ravise et titre: « Play it cool ! ». Le 20 mai 1975, les collégiens des Plaines Wilhems ont la volonté de descendre rejoindre leurs semblables à Port-Louis. « On ne peut pas les laisser venir à Port-Louis. Que vont-ils venir y faire ? Jeter des pierres sur l’Hôtel du Gouvernement ? », s’écrie le Dr Chaperon, qui décide d’aller à leur rencontre. Comme un brave ! Le pont de la GRNO est verrouillé et les étudiants se trouvant déjà dans la capitale sont séquestrés par la Riot Unit. Vers 13h, ils seront aux environs de 20 000, bloqués dans la partie sud du vieux pont en fer de la Grande-Rivière/Nord Ouest. Arrivée aux alentours de 14h30, devant la sombre perspective d’une énorme pagaille à la sortie des bureaux et profitant du fait que quelques éléments étrangers à la grève eurent envoyé des projectiles contre le ministre Chaperon lors de la bravade de ce dernier face aux manifestants, la police donne la charge aux manifestants massés. Ce fut aussi le coup du départ d’une série d’affrontements violents à Rose-Hill et à Port-Louis. Gaëtan Duval, dont le PMSD soufflait le chaud et le froid, profite de l’incendie de la maison d’un de ses députés, Henry Ithier, à Rose-Hill, pour tenter d’impliquer le MMM, sans toutefois le citer. « Les étudiants ont été manipulés par des communistes et des criminels », affirme-t-il. Paul Bérenger s’empresse de donner la garantie, publiquement, que son parti n’avait absolument rien à voir avec l’organisation de la grève,, bien qu’il ne pût que souhaiter « bonne chance » aux étudiants dans leur lutte contre un système d’éducation « pourri ». Dans le sillage de la révolte des étudiants du 20 mai 1975, feu le leader de l’Independent Forward Block, Sookdeo Bissoondoyal, réglera ses comptes avec son vieil ennemi politique, Seewoosagur Ramgoolam. Parodiant Shakespeare (Macbeth) au Parlement, il invite « le Père de la Nation » à « Quit the throne. The pupils are coming ! ». Ramgoolam ne s’en alla évidemment pas et joua les prolongations avec le PMSD au gouvernement jusqu’en 1982. Mais déja les étudiantes et les étudiants avaient déjà gagné la bataille et le vieux Premier ministre avait reçu le message. Effectivement, si on ne prend pas les raccourcis fréquents et propres à certains historiens officiels, objectivement, on doit reconnaître que c’est grâce à la mobilisation estudiantine – sans doute accentuée par la suite par le challenge du MMM aux élections de 1976 – que le droit de vote à 18 ans et l’éducation secondaire gratuite furent obtenus du gouvernement travailliste de SSR. Le pouvoir avait vraiment tremblé ce 20 mai 1975. Ces acquis, les étudiants de 1975 ne les devaient qu’à leur propre prise de conscience.
Posted on: Sat, 03 Aug 2013 12:57:13 +0000

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